Le point sur l’IA au service de la vente de vin avec Thomas Dayras, CEO de Matcha

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Morgan Autret, Manager Corporate chez Bpifrance Le Hub, a eu l’occasion d’échanger avec Thomas Dayras, sommelier, co-fondateur et CEO de Matcha, afin d’avoir son analyse sur la WineTech, l’intelligence artificielle et le vin. Quelle réalité recouvre la WineTech ? Qu’est-ce-qui légitime le recours à la technologie, et a fortiori à l’intelligence artificielle dans le vin ? Quelles sont les opportunités sur le marché du vin mondial ?

Créée en 2016, Matcha développe des technologies d’aide à la vente pour tous les distributeurs. Présente en France avec des acteurs comme Monoprix, Intermarché ou encore Promocash, la startup se décline désormais à l’étranger.

Morgan Autret : La FoodTech fait beaucoup parler d’elle depuis plusieurs années. A côté, la WineTech fait figure de parent pauvre. Comment expliquez-vous cela ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le mouvement WineTech ?

Thomas Dayras : C’est un paradoxe. Le secteur des vins et spiritueux est un ambassadeur de l’excellence française. C’est surtout le 2e secteur le plus dynamique à l’export, derrière l’aéronautique, pesant près de 13 Mds d’euros de chiffre d’affaires et présentant une croissance de plus de 8% en 2017. Une puissance peu délocalisable, concurrencée certes, mais qui bénéficie d’une image de marque indéniable. En particulier dans les “nouveaux” pays du vin : les Etats-Unis déjà depuis plusieurs années, mais surtout la Chine, le Brésil ou bientôt l’Inde. En France, les vins et spiritueux représentent plus de 500 000 emplois. On a tendance à oublier la puissance de ce secteur.

La WineTech est un regroupement de startups liées aux vins et spiritueux, en France en premier lieu mais aussi de plus en plus à l’étranger. C’est aujourd’hui un mouvement de près de 70 acteurs, qui ne parle à ce stade que trop rarement d’une seule voix. On est encore trop dans une attitude défensive, plutôt que collaborative. Il faut aussi comprendre que la WineTech s’est construite en réaction à l’ogre FoodTech, qui a concentré ces dernières années l’attention des media et des investisseurs. Avec les levées impressionnantes des acteurs de la livraison (Uber Eats, Deliveroo, Frichti…), les éclats du foodservice qui redessinent les contours de la restauration (Tiller…), les acteurs du coaching ou encore de la transparence alimentaire (Yuka…).

A côté, la WineTech a pris du retard, clairement. Et souffre d’une image innovante relativement faible, souvent concentrée sur des nouveaux modes de distribution.

M. A. : Le panorama WineTech réalisé par Bpifrance Le Hub compte 70 acteurs WineTech. Cela semble à la fois beaucoup et peu, compte tenu de la taille et de la variété du secteur. Vous nous en dites plus sur les acteurs qui composent ce marché ?

T. D. : Historiquement, il faut bien reconnaître que le côté “tech” de la WineTech est assez faible. C’est en train de changer avec l’émergence de positionnements autour de la data, de l’intelligence artificielle voire de la blockchain. En France, les startups du vin sont en effet historiquement orientées vers la distribution : dominées par les positionnements e-commerce, marketplace ou app (Vinatis, Les Grappes, Kol, Twil…), elles sont aussi box vins. Le Petit Ballon, qui est entré dans le giron de Vente Privée en 2017, n’est-elle pas la startup du secteur la plus (re)connue ? Sur la partie e-commerce, app et marketplace, le modèle économique est par définition sous contraintes : marges limitées, implications logistiques, et donc obligation de volume. Avec des taux de casse forts à la sortie.

En amont de la chaîne, on retrouve un segment dédié à la production au sens large : robotisation et optimisation de la culture de la vigne et de la vinification, services liés à la gestion d’un domaine vini-viticole ou encore innovations de conditionnement. C’est un segment hybride entre hardware et software.

Enfin un 3ème segment, assez atomisé, est constitué par les services apportés aux consommateurs de vin. On y trouve des acteurs de l’oenotourisme, des outils de management de cave, de stockage, des services de recommandations produits ou encore des conseillers virtuels. Deux leaders non-français se détachent sur ce segment : Vivino (Danemark), aujourd’hui l’app vin n°1 dans le monde, ou encore Wine Searcher, le moteur de recherche vin leader.

VOUS SOUHAITEZ ENTRER EN CONTACT AVEC DES STARTUPS INNOVANTES ?

M. A. : Le secteur du vin a une image conservatrice, peu innovante. Cela est donc en train de bouger ? Comment se positionne la France dans le marché mondial du vin ?

T. D . : Le dynamisme du marché des vins et spiritueux mondial est incontestable, en particulier dans les nouveaux marchés eldorados du vin que sont la Chine, l’Asie du sud-est ou encore le Brésil. Mais également aux Etats-Unis, marché toujours en forte croissance et n°1 en valeur. Ce dynamisme rejaillit à plein sur la France, considéré comme LE pays du vin. La France est donc en position de force, en première place dans la premiumisation déjà enclenchée. La demande de vins et spiritueux est structurellement supérieure à l’offre, en témoigne l’envol ciblé des prix des vins de Bordeaux ou encore de Bourgogne ces dernières années. Cette demande est tirée par les nouveaux entrants.

Dans l’équation française, il y a d’une part la nécessité de valoriser la tradition – héritage culturel, place de l’artisanat, force et centralité du terroir – pour valoriser la marque France à l’export. Et d’autre part, le besoin dans un marché vins et spiritueux concurrentiel car mondialisé, d’innover. Dans l’hexagone, la première des deux forces domine encore. L’innovation est là, seulement elle se fait plus discrètement, avec moins de fracas que d’autres secteurs.

A ce titre, un premier domaine d’innovation prometteur est la blockchain, lié au besoin de traçabilité et de certification, exacerbé par la premiumisation du marché. Le taux de contrefaçons vin sur le marché chinois serait par exemple très haut (même si difficile à mesurer), on parle de près d’une cuvée sur deux sur le segment des vins moyen et haut de gamme.

Par ailleurs, il y un champ d’exploration, un terreau très fertile entre la data, les technologies d’intelligence artificielle et l’univers des vins et spiritueux.

M. A. : On a du mal à voir le vin, produit sensoriel par excellence, et la technologie dialoguer. En quoi le secteur des vins et spiritueux est-il propice à la technologie, en particulier au traitement de la data et à l’intelligence artificielle ? Et pourquoi y-aurait-il un créneau à prendre dans la technologie appliquée à la vente de vin ?

T. D. : On retrouve ici un paradoxe inhérent au vin. C’est à la fois un produit naturellement attractif, associé au plaisir… mais également insaisissable, très majoritairement perçu comme complexe. Près de 9 français sur 10 en France jugent d’ailleurs l’expérience d’achat de vin intimidante ! Et le constat est le même dans les autres pays consommateurs de vin.

Le vin est par essence un magma de données : pays, région, appellation, cépages, domaine, cuvée, etc. Tous ces paramètres, dont beaucoup sont évolutifs et combinatoires (effet millésime, vinification…) font exploser la complexité.

Les consommateurs expriment le besoin d’être guidés, accompagnés. Depuis quelques années sur le segment des services apportés aux consommateurs, les algorithmes de conseil vin fleurissent. App ou tablette d’aide au choix en magasin, algorithme de détermination de mes goûts, de mon profil d’amateur de vin etc. Ces approches sont intéressantes, mais se heurtent très souvent à deux obstacles que la data science et les technologies d’intelligence artificielle permettent désormais d’appréhender plus sereinement : l’importance de la connaissance produit et du conversationnel, ou plus largement de la relation humaine dans le vin. En effet, les cavistes et les sommeliers ont forgé auprès de consommateurs une norme de l’expérience d’achat idéale. Dont les principaux ingrédients sont notamment le dialogue, l’empathie, la défense de coups de coeur, la force de l’anecdote ou encore un langage accessible .

Le vin exige une maîtrise de ses données, de la connaissance produit. Pour offrir une démarche de conseil efficace, agréable et pertinente, un vendeur de vin apprend, se forme en continu pour maîtriser sa gamme et son univers produit.

Cette démarche est celle de Matcha. Assemblage de sommeliers, développeurs et data scientist, l’équipe constitue, enrichit et fait vivre un faisceau de bases de connaissances encyclopédiques sur les terroirs, les appellations, les cépages, les millésimes, etc. Puis fait dialoguer ces bases de données pour forger une connaissance produit robuste et dynamique. La technologie Matcha est capable, automatiquement, grâce à ses bases de connaissances et algorithmes sensoriels, de “déguster” et de caractériser chaque vin. Au-delà d’un simple système de tagging (ex. : “puissant”, “léger”, etc.), la modélisation mathématique est ici indispensable pour passer à l’échelle et saisir la complexité du vin. C’est d’ailleurs le mode de fonctionnement d’un sommelier. Ce dernier réfléchit implicitement sur un spectre de valeurs graduées pour chaque caractéristique d’un vin.

L’intelligence artificielle de conseil vin Matcha fonctionne à l’identique. Et joue à fond la carte du conversationnel en étant à la pointe des technologies de compréhension du langage appliquées au vin. Notre service de caviste virtuel, utilisé par des clients comme Monoprix et Intermarché, illustre cette approche. Avec des résultats probants : un fort taux d’engagement des utilisateurs et 30% de conversion, soit 3 à 4 fois plus qu’habituellement.

Plus largement, notre ambition est de devenir la 1ère force de vente digitale du vin : pour guider les consommateurs, accompagner les distributeurs, aider les commerciaux en vin.

En parallèle d’une vie de consultant, il se professionnalise dans le vin et forme depuis 2013 un duo de sommeliers-conseil avec Benoît. Thomas est CEO de Matcha, prend en charge le développement commercial, le marketing & la communication.

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