Du concept de Smart City à la réalité des territoires connectés durables

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Photo par Vince Gx via Unsplash

 

Apparu il y a déjà plus d’une décennie, le concept de Smart City peine encore à se transformer en réalité pour la plupart des territoires français. Afin de convaincre tous les élus et citoyens des bénéfices de la ville intelligente, l’écosystème français du secteur cherche aujourd’hui à jouer plus collectif. Une mobilisation qui concerne les grands acteurs économiques, les territoires, mais aussi les startups.

 

30 millions d’euros. C’est le montant de l’appel à projets Territoires intelligents et durables annoncé par l’Etat, le 26 octobre dernier, afin d’accompagner les collectivités territoriales, les syndicats mixtes ou les syndicats intercommunaux dans leurs projets innovants en matière de politiques publiques ou de services aux usagers. Deux vagues de sélection sont prévues pour cet appel en janvier et septembre 2022. De quoi laisser un peu de temps aux territoires afin de concevoir et de déposer leurs dossiers.

 

Afin de les aider dans cette tâche, l’alliance Data Publica et KPMG France ont présenté, le même jour, les conclusions d’un rapport sur la réalité du déploiement des outils et des méthodes de territoire intelligent en France. Commandé fin 2020 par la Direction générale des Entreprises (DGE) conjointement avec plusieurs associations d’industriels, cette étude propose non seulement de réaliser un état des lieux de la Smart City en France, mais surtout de diffuser des recommandations à destination des territoires. Objectif : aider les élus et décideurs publics à s’inspirer des exemples qui marchent. Et pas seulement dans les grandes métropoles.

 

Interopérabilité, sobriété, hybridation

Alors, comment faire émerger un modèle français de la Smart City ?

 

Expert associé du secteur public au sein de KPMG France, Erwan Keryer ne souhaite pas dresser d’emblée un constat trop sévère. Certes, aucune ville française n’apparaît dans le Top 30 du récent Smart City Index 2021. Bordeaux, la mieux placée, se hisse seulement à la 32ème place d’un classement dominé par Singapour (1), Zurich (2) et Oslo (3). Le spécialiste préfère mettre en avant les projets français les plus exemplaires parmi les 70 analysés dans cette étude.

 

Il ne faut en effet pas négliger la  réussite d’un certain nombre de projets français de territoires connectés durables. « En règle générale, ils partagent trois points communs : le caractère interopérable des solutions déployées, le choix d’une sobriété numérique qui permet de faire le lien entre ville intelligente et développement durable, et enfin l’hybridation entre outils digitaux et physiques pour mieux s’intégrer aux réalités du terrain. En plus de ces trois signes distinctifs, les projets les plus exemplaires se différencient également par la volonté de leurs initiateurs d’impliquer largement les acteurs de terrain. Citons ici le projet de territoire zéro carbone de la ville de La Rochelle qui a mobilisé dès sa conception des entreprises, des startups, des établissements universitaires, mais aussi évidemment des citoyens. L’implication d’une variété de parties prenantes, définitivement un facteur-clé de la réussite de ce projet.

 

Répondre aux besoins des territoires

Si l’attention médiatique s’est souvent portée sur des projets de Smart City très intégrés comme ceux de Dijon ou d’Angers, le récent rapport national encourage davantage des projets plus resserrés. “Les projets incrémentaux qui visent à couvrir l’ensemble des usages de la ville risquent de devenir l’exception. Ils demandent en effet un niveau de pilotage trop élevé pour la plupart des territoires. Nous recommandons aujourd’hui d’opter plutôt pour des initiatives ciblées sur un sujet précis comme la circulation, le stationnement ou le tourisme. Ce choix facilite la gouvernance du projet et permet de mieux appréhender l’ensemble de ses futurs impacts, positifs comme négatifs”, appuie Erwan Keryer.

 

Sur le plan technologique, les auteurs proposent également de mettre fin à la démarche expérimentale. Ils conseillent aux élus de se tourner plutôt vers des outils existants ayant déjà fait leurs preuves dans leurs champs d’applications et dont l’interopérabilité est garantie. Une approche plus pragmatique qui ne doit pas empêcher de rester vigilant sur un sujet clé pour tous les projets : la souveraineté des données. “Pour la collectivité, il ne s’agit pas seulement de veiller à ce que ses données restent en France, mais bien de s’assurer qu’elle en sera propriétaire à l’avenir. Aujourd’hui, la loi impose d’ailleurs aux délégataires de délivrer chaque année leurs données aux collectivités dans un format exploitable. Il faut faire appliquer cette obligation” prévient Erwan Keryer.

VOUS SOUHAITEZ ENTRER EN CONTACT AVEC DES STARTUPS INNOVANTES ?

Ville médiane intelligente : l’exemple arrageois

Cette approche pragmatique et centrée sur les usages, c’est justement celle retenue par la Ville d’Arras (Hauts-de-France, 41 000 habitants) lorsque son maire Frédéric Leturque a impulsé, il y a quatre ans, la création d’une Direction numérique au sein de sa commune. “J’ai coutume de dire que la stratégie numérique d’une collectivité doit lui ressembler.  C’est-à-dire qu’elle doit s’aligner sur les caractéristiques de son territoire, les attentes de sa population et de ses ambitions de développement, explique Pierre Ferrari, directeur de la stratégie numérique de la ville d’Arras. Dans notre ville, nous voulons prendre le virage de la  transition numérique sans jamais oublier l’humain. Toutes nos actions en la matière visent donc à répondre aux besoins des trois catégories cibles : les agents du service public, les acteurs du monde économique et bien sûr les habitants.”

 

En pratique, les différents services de la ville sont invités à identifier les domaines possibles d’application du numérique dans leurs champs de compétences. Des actions qui pourront ensuite être mises en œuvre grâce à un budget spécifiquement dédié au numérique. Une méthode qui a déjà permis de faire émerger de nombreux projets innovants et concrets : mise en ligne d’une application de signalement d’incidents, gestion intelligente des files d’attente dans les services publics, outil de gestion numérique des médiathèques de la ville, ou encore intégration de la solution Picto Access à destination des personnes à mobilité réduite (PMR).

 

“Sur un territoire comme le nôtre, il ne faut surtout pas viser la révolution, mais bien s’engager dans une transition. Notre objectif doit être de rassurer et d’accompagner pour réduire la fracture numérique. Cela passe par des outils qui sont véritablement utiles à la population et dont l’usage est accompagné par la ville. La transition numérique doit servir la participation citoyenne.” Ultime exemple ? La naissance à Arras d’un collectif baptisé les “seniors reporters”. En plus de former les habitants à l’usage du numérique, ce joyeux groupe relaie également sur son blog l’actualité et les événements de la ville sur un ton décalé. Le symbole d’un territoire intelligent, mais avant tout humain.

 

Des startups dans la ville

Pragmatique, humain et utile, ce nouveau modèle français de la Smart City devra s’appuyer sur l’énergie et le potentiel innovant des tous les acteurs tricolores du monde économique. Cela concerne en premier lieu les grands groupes qui travaillent historiquement avec les collectivités (Veolia, EDF, Engie, Bouygues, Suez…). Sans oublier les nombreuses startups qui trouvent dans nos territoires de belles opportunités pour se développer et démontrer leur savoir-faire.

 

C’est le cas de certaines à la réputation installée comme eLichens (qualité de l’air), Actility (solutions IoT) ou DCBrain (optimisation des réseaux), et de nombreuses autres qui adressent des enjeux très spécifiques. Dans l’univers du tourisme, la ville d’Arras travaille ainsi avec la société parisienne Timescope pour proposer aux curieux des bornes 3D de réalité virtuelle. Grâce à cette solution, les promeneurs de la citadelle peuvent se transporter au 17ᵉ siècle pour découvrir le chantier de construction de cet ouvrage par Vauban !

 

Autre domaine de la ville intelligente dans lequel rayonnent les startups françaises : la mobilité. Une excellence qui se manifeste par la réussite de services comme ceux proposés par Virtuo, EasyMile, Ector, EyeLights, Getaround ou encore Ornikar. En septembre dernier,  Vulog – pionnier français de la mobilité partagée – a pour sa part officialisé le déploiement à Lyon d’une flotte de  véhicules en free floating dans le cadre du service d’autopartage Leo&Go. “ Vulog avait besoin d’une vitrine expérimentale et Lyon colle bien au profil recherché, une ville pionnière et engagée dans les nouvelles formes de mobilité “ explique (dans Brefeco) Grégory Ducongé, directeur général de Vulog. Au total, la start-up déploiera 300 véhicules qui seront disponibles 24 heures sur 24 à Lyon et Villeurbanne. 

 

Vers une logique de co-innovation

La ville intelligente s’annonce-t-elle donc comme un débouché commercial majeur pour nos startups ?

 

Pas si vite ! Si les promesses de la Smart City attirent les entrepreneurs, l’accès aux marchés publics reste encore aujourd’hui compliqué pour des jeunes entreprises peu habituées aux spécificités de ce type de contrats. Pour accélérer les choses, Erwan Keyrer leur conseille de s’inscrire dans une logique de co-innovation en se rapprochant de grands groupes déjà installés dans cet univers. “Les élus sont très sollicités par de jeunes entreprises qui souhaitent leur proposer des services innovants dont ils ont souvent du mal à mesurer l’intérêt. Plutôt que de prospecter seuls, je conseille aux startups de s’associer avec des acteurs historiques pour proposer ensemble des solutions adaptées et interopérables. Elles auront ainsi plus de chances de convaincre les élus et donc de mettre un pied sur un marché qui leur reste encore parfois difficile d’accès.”

 

Des grands groupes et des startups innovantes qui font équipe pour se mettre au service de besoins réels des territoires et de leurs habitants. Voilà peut-être comment se dessine sous nos yeux ce fameux modèle français de Territoires intelligents attendu par tous. 

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