PERSPECTIVES+ | Tourisme en temps de pandémie, et après ? L’analyse du CEO d’Ector Manoel Roy

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Photo de Angela Compagnone via Unsplash

 

Sonné par la pire année de son histoire, le secteur du tourisme se cherche aujourd’hui un avenir. Quelles seront les conséquences de la crise sur le tourisme de demain ? À quelle échéance espérer une reprise ? Quelles sont les opportunités à saisir pour les acteurs innovants ? Manoel Roy, cofondateur de la start-up parisienne Ector, livre ses prédictions pour l’avenir de son secteur.

 

70 % d’activité et 500 millions d’arrivées en moins pour l’Europe. Près de 1 300 milliards de dollars de pertes à l’échelle mondiale. Les chiffres communiqués fin janvier par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) suffisent à mesurer l’impact effroyable de la Covid-19 sur le secteur. À côté des compagnies aériennes internationales ou des grandes chaînes hôtelières, des acteurs plus modestes (voyagistes, transporteurs…) ont également souffert des conséquences de l’épidémie. C’est le cas d’Ector, un service de voiturier parking qui facilite depuis 2015 le stationnement des particuliers et des professionnels dans le centre des grandes métropoles, mais aussi dans les aéroports et les gares. Une start-up qui compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs répartis en trois équipes : opération, technologie et développement commercial. 

 

« La crise sanitaire a commencé alors que nous venions de réaliser une levée de fonds ‒ avec le soutien de Bpifrance ‒ pour nous étendre à l’international, après avoir déjà implanté notre service dans 30 gares et aéroports, explique Manoel Roy, son fondateur. Notre activité liée au tourisme s’est alors effondrée. Cela nous a obligé à nous diversifier sur un nouveau segment de marché : la logistique automobile. Cela dit, nous ne remettons pas en cause notre secteur historique. Nous sommes persuadés que les voyages vont reprendre. » Un optimisme qui fait écho avec celui des acteurs historiques du tourisme. Souvent impactés par les crises internationales (sécurité aérienne, tensions diplomatiques, terrorisme…), le monde du tourisme a toujours réussi à se relever en adaptant ses pratiques et ses offres pour se relancer. Pas de raison qu’il en soit autrement avec cette crise-ci.

 

Un retour à la normale en 2027 ?

Malgré cet esprit de résilience, une chose semble déjà certaine : la reprise du tourisme ne sera pas pour demain. Et sans doute pas non plus pour après-demain. Si un acteur agile comme Ector pense pouvoir retrouver son niveau d’activité de 2019 (l’année de référence du secteur) dès la fin 2021, la plupart des grands noms du tourisme s’avèrent beaucoup plus prudents. 

 

Deux ans ? Cinq ans ? Voire même 10 ans ? Difficile de fixer une échéance précise pour le « retour à la normale ». Il y a quelques jours, Augustin de Romanet, directeur général du Groupe ADP (100 millions de passagers en 2019) estimait ainsi que Roissy et Orly retrouveraient leur niveau d’activité de l’année 2019 entre 2024 et 2027. Symbole de cette mauvaise passe, le gouvernement français a acté en février dernier l’abandon du projet  d’extension de Roissy CDG (T4) dont la construction devrait augmenter la capacité du premier aéroport français de 40 millions de passagers supplémentaires par an. À l’heure de justifier cette décision, Barbara Pompili, Ministre de la Transition énergétique, évoquait l’annulation d’un projet obsolète. Une critique qui cible évidemment les impacts environnementaux d’une telle extension, mais aussi son caractère non prioritaire dans un contexte de crise majeure du tourisme. 

 

Enfin, un dernier indicateur important empêche de croire raisonnablement à une reprise rapide du secteur : l’état de santé de ses entreprises. Dans l’attente d’un retour massif des voyageurs, la série de faillites, entamée au printemps dernier dans le  monde entier, semble devoir encore se poursuivre pendant plusieurs mois. Tout comme la fuite des talents vers d’autres secteurs économiques aux perspectives plus favorables.

 

L’effondrement des voyages d’affaires

Comment expliquer une reprise si contrariée pour le tourisme pendant que d’autres secteurs misent au contraire sur une croissance exponentielle après la pandémie ? D’abord en raison de la chute brutale et durable d’un pilier du marché : le voyage d’affaires. Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, le monde économique semble s’être désormais accoutumé à une nouvelle organisation « distancielle » du travail (visioconférence, télétravail, démarchage commercial en ligne…). Bien sûr, certains salariés témoignent d’une certaine lassitude par rapport au travail à distance. Pour autant, ils sont encore nombreux à vouloir prolonger l’expérience du télétravail – de façon ponctuelle – après la pandémie (40% des actifs français selon un sondage OpinionWay-Square de mai 2020). Il semblerait donc étonnant d’imaginer ces mêmes salariés pressés de renouer, demain, avec des voyages d’affaires les éloignant régulièrement de leur domicile et de leur famille. 

 

Et même dans le cas inverse, ils seraient sans doute confrontés à la réticence de leurs employeurs. Depuis plus d’un an, les entreprises ont en effet  pu mesurer les économies d’argent et de temps réalisées grâce à la réduction massive des déplacements de leurs salariés. « Le monde des affaires reste un monde de confiance. Certains dirigeants se déplaceront toujours pour des missions ou des contrats stratégiques. Mais une grosse partie du voyage d’affaires risque de disparaître. Je pense notamment aux événements internes et à certains salons de second rang dont les entreprises ont du mal à saisir désormais l’utilité après s’en être passés pendant des mois », estime Manoel Roy.

 

En plus de pertes nettes pour les spécialistes du voyages d’affaires, cette nouvelle donne risque d’avoir des conséquences sur l’ensemble du monde du tourisme. Le B2B constitue en effet un socle pour toute la filière. Ce type de voyages assurant ainsi aux entreprises du secteur (compagnies aériennes, hôtels…) des revenus à l’année (sans variation saisonnière) et des marges bien plus confortables que sur les offres destinées aux particuliers. La réduction drastique des voyages d’affaires devrait donc engendrer notamment une diminution des fréquences aériennes et une hausse du prix des prestations (billets d’avions, nuitées…).

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Un tourisme de loisirs marqué par la crise

Plus résilient, le segment du voyage de loisirs est promis à une reprise plus rapide. Mais attention, des acteurs attentifs du secteur comme Manoel Roy n’imaginent pas pour autant un retour immédiat à un niveau d’activité similaire à celui de l’avant-pandémie. « Il y a d’abord une dimension psychologique à prendre en compte. Depuis le printemps 2020, les voyageurs ont pris l’habitude de limiter leurs déplacements et de privilégier les petites distances à travers des séjours nationaux. C’est une approche qui a d’ailleurs été encouragée par les gouvernements et les écosystèmes locaux. Mon sentiment c’est que – de la même façon que des amis ne vont pas se faire à nouveau la bise du jour au lendemain – les particuliers ne vont sans doute pas programmer immédiatement de grands voyages à travers le globe. » 

 

Les nouvelles habitudes de tourisme “relocalisé” nées pendant la crise pourraient donc encore perdurer dans les prochaines semaines, mois et peut-être même années. C’est d’ailleurs la tendance qui semble s’affirmer pour la prochaine saison estivale avec des réservations – souvent de dernière minute – en France et dans les pays voisins. 

 

Dans ce contexte, le marché spécifique des vols touristiques long-courrier pourrait ainsi être durablement impacté par la crise. Certaines destinations (Mexique, Barbade, Île Maurice…) espèrent pouvoir compenser une partie de ce manque à gagner en conviant des télétravailleurs du monde entier à venir s’installer sur leur territoire, pendant plusieurs mois, grâce à des visas au long cours. Séduisante sur le papier, cette pratique devrait néanmoins rester marginale. « Cela concerne une clientèle de jeunes actifs, dans la vingtaine, dont les métiers et les vies sont très mobiles. Ce type de projets de voyages me semble par exemple beaucoup plus complexe pour un couple avec enfants, propriétaire de son appartement. Dans leur cas, le télétravail à l’étranger se limitera à des séjours d’une ou deux semaines. » 

 

Le rôle central des pouvoirs publics

Dans ce climat de totale recomposition, quel rôle doivent jouer les pouvoirs publics pour accompagner et soutenir le tourisme ? Avant tout gérer l’urgence. C’est-à-dire aider les entreprises du secteur à tenir le choc afin d’éviter de nouvelles faillites qui, en plus de répercussions sociales immédiates, risqueront de compliquer le retour à la normal dans les prochaines années. C’est la stratégie retenue par la France – première destination mondiale en 2019 avec 90 millions de touristes internationaux – depuis mars 2020. « L’État a été à la hauteur de l’enjeu, il a vraiment joué son rôle. Son soutien a permis de préserver les salariés comme les entreprises. Cela permet aujourd’hui au tourisme français de se tenir prêt à repartir, dès que la situation sanitaire l’autorisera ».

 

Maintenues à flot, les entreprises du secteur souhaitent donc désormais se remettre dans le sens du vent. Problème : elles manquent encore de de visibilité. Elles attendent notamment  des décisions de leurs dirigeants politiques sur des sujets cruciaux comme l’ouverture des frontières, l’entrée en vigueur d’un passeport sanitaire ou le niveau d’affluence autorisé dans les sites et établissements touristiques. « La saison d’été représente entre 20 et 50 % de chiffres d’affaires pour tous les acteurs de l’écosystème. Malheureusement, la  réussite de nos entreprises ces prochaines semaines n’est pas entre nos mains, mais plutôt dans celle des pouvoirs publics. Nous sommes conscients des difficultés actuelles du gouvernement pour prendre des arbitrages, mais le secteur reste en attente d’un cadre clair et stable pour cet été. »

 

Innover pour survivre, comme toujours

Heureusement, à l’heure d’envisager la reprise, les professionnels conservent quelques raisons d’y croire. D’abord parce que rien n’assure que les prévisions pessimistes dressées actuellement par les leaders du secteur touristique ne seront pas contredites par un enthousiasme inattendu des voyageurs. Sous réserve que la situation sanitaire s’améliore nettement, ces derniers pourraient tout à fait reprendre – massivement et plus rapidement que prévu – le chemin des gares, des aéroports et des hôtels. Ce fut d’ailleurs le cas après la crise de la fin des années 2000. Selon les chiffres de l’OMT, le tourisme avait ainsi ralenti de 2,1% en 2008 puis de 3,8% en 2009, avant de rebondir largement les années suivantes (+ 6,6% en 2010, + 5% en 2011, + 4% en 2012).

 

L’autre motif d’espoir se nourrit de l’agilité des entreprises du secteur. Comme à chaque fois qu’un secteur économique se retrouve bousculé, des opportunités sont à saisir pour les acteurs les plus innovants. Le tourisme ne devrait pas échapper à cette règle. Malgré les conséquences économiques de l’épidémie, il existe encore des centaines de millions de personnes dans le monde qui disposent d’un pouvoir d’achat suffisant pour voyager et qui sont prêtes à repartir dès que possible. Une clientèle qui pourrait être séduite par de nouvelles formes de voyage. « Pour un entrepreneur, il est toujours intéressant de se lancer dans une période où le paysage est très mouvant. Il y a matière à inventer des offres inédites qui correspondent à de nouveaux segments de marché, pas encore captés par les  leaders historiques du secteur. L’après-pandémie devrait permettre à de nouveaux entrants de répondre aux envies du moment des voyageurs, comme le tourisme écologique ou la recherche d’authenticité. » 

 

Rythme de la reprise, nouvelles tendances, résilience des acteurs historiques, comportement des voyageurs… Les observateurs du secteur du tourisme ne manqueront donc pas de sujets à suivre dans les prochains mois. Manoel Roy fera partie de ceux-ci. En attendant, lui et ses équipes d’Ector attendent avec impatience les futurs voyageurs – valises en mains – en quête d’un stationnement facile à l’heure du grand départ. En espérant que l’été qui s’annonce marque le retour des beaux jours pour la start-up et pour tous les professionnels du tourisme.

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