Les collaborations en Santé numérique : une promesse d’avenir
Derrière les laboratoires, les essais cliniques et les blouses blanches : l'espoir ! Dans un environnement économique bousculé par la crise sanitaire, le secteur de la santé s'est naturellement retrouvé au cœur des attentions et des attentes ces derniers mois.

Si la course au vaccin a animé bien des discussions, d’autres spécialités de la santé ont également connu un éclairage inédit en raison du contexte épidémique. C’est notamment le cas de la santé numérique dont les représentants ont ainsi fait salle (virtuelle) comble lors du Consumer Electronics Show de Las Vegas en janvier dernier. Solutions de consultation en ligne, capteurs biomédicaux (bracelets…) ou encore dispositifs d’auto-surveillance : ces technologies émergentes semblent démontrer que l’avenir de la santé ne passe plus obligatoirement par les salles d’attente des médecins. Une perspective qui semble d’ailleurs approuvée par les citoyens. En janvier dernier, une étude Odoxa indiquait que la télémédecine recueillait près de 73 % de jugements positifs dans la population française, un record en Europe. De quoi laisser espérer un avenir radieux à la HealthTech ? Oui, à condition que groupes et startups tricolores du domaine se mobilisent pour travailler et se développer ensemble. Retour sur les raisons d’y croire à l’heure où Alan rejoint le rang des licornes françaises.
Un écosystème français de premier plan
Grâce à l’importance historique du secteur de la santé en France, la HealthTech française a connu une réelle montée en puissance ces dernières années jusqu’à s’imposer aujourd’hui comme l’un des écosystèmes les plus actifs dans son domaine en Europe. C’est même le deuxième mondial avec plus de 2.000 entreprises innovantes réparties dans trois disciplines : les biotech (750), les medtech (1.100) et la e-santé (200). Pour grandir, les acteurs français de la santé numérique peuvent s’appuyer aujourd’hui sur un environnement solide d’incubateurs (Eurasanté, Agoranov, Paris Biotech Santé, Digital Pharma Lab…) et d’investisseurs (LBO France, Karista, Kurma, Axa Venture Partners, Patient Autonome de Bpifrance…). Ce contexte favorable se confirme désormais dans les chiffres. En 2019, le secteur a ainsi généré un chiffre d’affaires global de près de 800 millions d’euros en France, montant qui a plus que doublé en cinq ans. Toujours en 2019, les HealthTech françaises ont levé 1,8 milliard d’euros dans l’hexagone (60 % par le capital-risque, 29 % en refinancement, et 11 % via des entrées en Bourse). Parmi les opérations les plus spectaculaires : la levée de 48 millions d’euros en décembre 2019 par ImCheck (anticorps contre le cancer) ou celle de 65 millions d’euros réalisée en avril dernier par BioSerenity (diagnostic et monitoring des patients). De quoi soutenir au passage la reprise du marché du travail. Selon le panorama publié par France Biotech en novembre 2020, la filière HealthTech représenterait déjà 50.000 emplois directs et indirects en France, et pourrait générer 130.000 emplois supplémentaires d’ici 2030 sur tout le territoire.
Portés par ces belles perspectives, les acteurs de l’écosystème revendiquent leur rôle à jouer dans la sortie de crise sanitaire et économique. Comme il semble loin, ce mois de septembre 2019 durant lequel la HealthTech française regrettait la présence de seulement deux de ses représentants (Doctolib et BioSerenity) dans le classement Next 40 publié par le gouvernement. Depuis le début de la crise sanitaire, les startups françaises de la santé numérique captent au contraire toute l’attention des médias, des grands groupes et des institutions. « La transformation Tech de nos sociétés est en train de s’opérer », jugeait ainsi Marine Cotty Eslous, CEO de Lucine (thérapies numériques) en décembre 2020 dans le cadre d’une discussion sur la place de la HealthTech dans le système de soin français (retrouvez l’intégralité de ce TOTEM organisé par Bpifrance Le Hub). « Bien sûr, nous avons encore besoin de faire preuve de beaucoup de pédagogie. Mais je tiens à le dire : en France, nous ne sommes pas en retard. Nous sommes en train de changer le modèle ». Autrement dit : le système de santé, jusqu’ici entièrement tourné vers le curatif, est en train de s’orienter lentement vers le préventif. Une nouvelle donne qui devrait laisser davantage de place aux innovations portées par les entreprises de la santé numérique (communication, dépistage, analyse et encouragement de l’activité physique….)
Reste un problème majeur : comment orienter une part des investissements du soin vers la prévention ? Une équation complexe que n’a pas manqué de signaler Vincent Vercamer, Head of Health Innovation & Strategy Europe de Withings, lors de cette même émission Totem de décembre 2020. Référence française des objets connectés, Withings a entamé, depuis deux ans, un virage du bien-être vers le médical en travaillant sur de nouveaux dispositifs conçus pour les professionnels de santé. Une ambition qui se heurte encore parfois aux réalités économiques. « Aujourd’hui les acteurs [traditionnels]de la santé (assurance maladie, assurances privées…) peinent déjà à couvrir les coûts du curatif. Ils disposent donc de peu d’argent à investir dans la prévention. Il leur est difficile de financer aujourd’hui des solutions qui permettront de réduire les AVC dans seulement 10 ou 20 ans ». Le changement s’annonce donc lent, mais à force d’accompagnement, de sensibilisation et de coopération, les acteurs de la santé numérique peuvent espérer contribuer à faire bouger les lignes à moyen terme. L’application Covidom développée conjointement, au printemps dernier, par les équipes de l’AP-HP et la PME française Nouveal e-santé en est l’illustration. Ce service a permis aux patients porteurs ou suspectés du Covid-19 sans signe de gravité de bénéficier d’un télésuivi à domicile via des questionnaires médicaux proposés une ou plusieurs fois par jour, en complément de mesures de confinement. Un exemple emblématique des perspectives du marché de la santé préventive.
Les collaborations structurent l’écosystème
Alors que l’avenir du secteur pourrait se jouer dans les deux ou trois années à venir, les professionnels français de la HealthTech et de la santé devront donc miser sur les partenariats et les collaborations pour s’inventer un avenir commun. Un enjeu d’ailleurs identifié par Bpifrance, en décembre 2020, dans le cadre d’un rapport intitulé « La collaboration entre grands groupes et startups deeptech dans la santé digitale, l’agriculture et la décarbonation – Un levier pour la compétitivité industrielle des marchés prioritaires français ». Réalisé en partenariat avec Hello Tomorrow et France Industrie, ce document cible ainsi trois leviers principaux pour accélérer les collaborations et, plus largement, assurer le renouveau de l’industrie française. Les auteurs préconisent ainsi de rendre les startups deeptech plus visibles et accessibles, de fluidifier les parcours de collaboration et les outils associés et enfin d’utiliser la commande d’achat public pour favoriser les consortiums publics, grands groupes et start-up. « La croissance de ces ‘jeunes pousses’ à haute intensité technologique est au cœur du Plan Deeptech, et doit permettre de répondre à des enjeux de compétitivité internationale, mais aussi de renouveau du tissu industriel de notre pays », affirme Pascale Ribon, directrice Deeptech de Bpifrance dans le cadre de ce rapport. « Cette croissance passe par la capacité des startups et grands groupes industriels à mieux mettre leurs forces en commun à l’échelle d’une filière, pour multiplier les collaborations commerciales et technologiques et faire circuler les talents. »
Bonne nouvelle : cet état d’esprit « partenarial » semble déjà irriguer la filière française de la santé numérique. C’est en tout cas ce que semble indiquer l’existence de nombreuses plateformes et initiatives de soutien ouvertes aux jeunes pousses du secteur. Citons d’abord ici le Digital Pharma Lab, un incubateur lancé en 2019 et soutenu par la Bpifrance. Sa mission ? Faire le lien entre les start-up du domaine de la e-santé et les laboratoires. « Bien sûr, notre objectif est d’aider les start-up de la pharmatech à se développer », explique Pascal Bécache, fondateur de la structure. « Mais aussi de faire entrer l’innovation dans les laboratoires pharmaceutiques et leur faire adopter de nouvelles méthodes de travail, plus agiles ». Autre projet : l’incubateur Santé Numérique lancé en octobre 2020 par Bpifrance et Université de Paris. Ce dispositif s’articule autour de trois grandes actions : la création d’une communauté d’acteurs associant donneurs d’ordre et start-up pour favoriser les relations d’affaires et les opportunités ; l’ouverture à des souscripteurs tiers du fonds « Patient autonome » de Bpifrance (qui investit au capital d’entreprises innovantes dans la santé numérique) ; et enfin la création d’un incubateur national d’entrepreneurs en partenariat avec Université de Paris et sa fondation. Chaque année, dix projets du secteur seront ainsi accueillis et accompagnés pendant six mois. Objectif ? Accélérer le changement d’échelle des entreprises identifiées. Une ambition publique qui s’inscrit dans le prolongement des efforts déjà menés ces dernières années, puisque 52 % des healthtech sont aujourd’hui issues de travaux de la recherche publique.
Dernière initiative récente, celle des groupes Sanofi, Capgemini, Generali et Orange qui ont dévoilé, fin janvier 2021, leur projet de création d’une société commune en France visant à affirmer le positionnement international de la France en matière de santé digitale. Un enjeu crucial pour le marché de la santé dont les acteurs sont fortement tournés vers l’international, et notamment vers les Etats-Unis, premier marché mondial. Cette future structure aura non seulement pour ambition d’accélérer le développement de solutions concrètes en matière de santé, mais aussi d’aider à leur mise sur le marché. Pensée au service des patients, cette future société commune souhaite tout simplement fédérer les meilleurs experts et les meilleures technologies françaises et européennes de la santé digitale. Alignée avec le projet « PariSanté Campus » annoncé par le Président de la République en décembre 2020, la future société se concrétisera à travers une plateforme numérique et un lieu physique à Paris.
Toutes ces initiatives illustrent une des conditions indispensables au succès de la santé numérique en France : le rapprochement entre grands groupes et startups. Une logique qui a guidé la collaboration annoncée par BioSerenity et April en janvier dernier. Grâce au service « Cardiopathie Check-up » de la start-up, le groupe d’assurance simplifie son parcours client pour les personnes souhaitant souscrire à un contrat d’assurance emprunteur ou de prévoyance professionnelle. En pratique : les futurs clients réalisent les formalités médicales d’adhésion à leur domicile. Un infirmier équipé du matériel se rend ensuite chez le futur contractant pour réaliser son bilan cardiovasculaire. Les résultats sont alors transmis par la plateforme de télémédecine de BioSerenity et étudiés par un médecin cardiologue. Une application simple et concrète de la télémédecine déjà déployée en région parisienne et qui sera disponible dans toute la France dès cette année.
Avis aux entrepreneurs, Bpifrance a lancé l’appel à manifestation d’intérêt « AMI Santé Numérique » auquel vous pouvez répondre jusqu’au 16 juin 2021 ! Une initiative qui a pour but de faire émerger des solutions françaises innovantes capables d’aller conquérir le marché mondial de la e-santé.
Le dispositif Santé Numérique s’appuie sur le fonds Patient Autonome, il fédère une communauté de donneurs d’ordre et de startups ainsi qu’un incubateur national d’entrepreneurs qui a récemment dévoilé ses premiers lauréats. N’hésitez pas à répondre à l’appel à candidature pour rejoindre la Communauté Santé Numérique ouvert jusqu’au 31 décembre.
Startups françaises : les nouveaux talents à suivre
Les observateurs attentifs du secteur (et les lecteurs de cet article), connaissent sans doute déjà les start-up les plus emblématiques de la santé numérique tricolore comme Withings, Doctolib, BioSerenity. À leurs côtés, de nouvelles équipes entendent bien jouer les premiers rôles dans les prochaines années en ciblant des sujets d’avenir comme la formation, le service aux patients et bien sûr, l’intelligence artificielle au service de la médecine. Dans ce dernier domaine, citons notamment Incepto, un distributeur de solutions d’IA qui conçoit et distribue (en partenariat avec d’autres entreprises innovantes) des applications pour l’imagerie médicale diffusés aux professionnels de la santé grâce à une plateforme unifiée. L’intelligence artificielle est également au cœur des solutions proposées par deux autres jeunes sociétés innovantes françaises : Kiro et Primaa. Basée à Marseille, la première permet aux laboratoires de biologie médicale d’améliorer l’expérience du parcours de soins. Sa consœur parisienne Primaa développe pour sa part des logiciels basés sur l’IA pour automatiser et perfectionner les diagnostics de tissus biologiques. Deux jeunes pousses promises à un avenir florissant.
Autre champ d’inspiration pour nos start-up : la formation des professionnels. Un enjeu qui a particulièrement gagné en importance durant la crise sanitaire. Lors des pics d’occupation des hôpitaux, certains membres du corps médical ont dû se former en urgence à de nouvelles techniques, notamment pour la réanimation des malades. Sur ce marché, Santé Académie propose des formations médicales continues – en ligne et à la demande – pour les médecins et les infirmiers. Dans un registre complémentaire, Invivox commercialise une offre permettant à des médecins spécialistes de se former auprès d’experts reconnus, directement au sein de leur bloc opératoire. Ouverte à toutes les spécialités médicales, cette formation – de type « compagnonnage » – permet ainsi à des docteurs d’acquérir une nouvelle technique directement d’un confrère, avant de la reproduire dans son propre établissement.
Enfin, l’écosystème français de la santé numérique n’oublie pas de prendre soin du bien-être des patients. Une attention qui se manifeste par la conception et la commercialisation d’outils destinés à l’équipement des établissements et professionnels de santé. Avec son interface simple et intuitive, Ambler développe ainsi un service de mise en relation entre transporteurs et unités médicales. Sa promesse ? Permettre aux équipes de soin de réserver un transport médical en seulement 30 secondes et avec un taux d’attribution des courses proche de 100%. Tournée vers la patientèle des enfants, avec ses singularités propres, la société parisienne Mila Learn propose un outil de rééducation des troubles du neuro-développement comme la dyslexie. Grâce à cette solution, l’enfant joue en toute autonomie à la maison autour d’activités musicales, rythmiques et gestuelles. Les praticiens ont ensuite accès aux résultats, qu’ils vont pouvoir exploiter pour adapter leurs prochaines séances « physiques » aux progrès de l’enfant. Une réponse ludique et technologique à un trouble du langage écrit qui touche 4 à 5 % des élèves d’une classe d’âge en France.
Inventer la santé du monde d’après
Des citoyens convaincus, un écosystème organisé et mobilisé, des pionniers déjà présents à l’international… Même s’il n’a pas encore atteint sa pleine maturité, l’écosystème français de la santé numérique affiche incontestablement de belles promesses. D’autant plus que les grands enjeux de santé identifiés à l’occasion de la crise épidémique devraient contribuer à soutenir le développement de cette filière pendant encore plusieurs années. Même lorsque le virus aura quitté les esprits et les gazettes. À l’occasion du panorama publié par France Biotech, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Economie, estimait ainsi que les sociétés de healthtech française pourraient générer « un chiffre d’affaires annuel de 40 milliards d’euros » d’ici 2030. Pour atteindre de telles performances, grands groupes et start-up sont incités à se parler, à se comprendre, et à envisager des opportunités de collaboration. Il s’agit non seulement de proposer de nouveaux services aux patients mais aussi d’inventer ensemble un nouveau modèle – économique et médical – pour le système de santé français. Un espoir partagé par toute une filière.
Retrouvez ci-dessous les fiches des startups présentées dans l’article :
Antoine Sternchuss