Crédits photos : Alice & Bob, C12 Quantum Electronics, Quandela
3 ans ? 5 ans ? 10 ans ? Bien difficile d’affirmer à quelle date sera commercialisé le premier véritable ordinateur quantique de l’histoire. Une chose est sûre : ce super-calculateur qui remplacera les 0 et les 1 par des bits quantiques devrait bousculer des pans entiers de notre économie. Les entreprises ont donc tout intérêt à anticiper son arrivée et étudier les futures applications qu’ils pourront trouver à cette nouvelle technologie. Si vous n’avez jamais entendu parler du chat de Schrödinger, vous n’aurez malgré tout aucun mal à comprendre les enjeux du quantique grâce à notre panel !
Making-Of
Dans le cadre de cet entretien croisé, nous avons interrogé les représentants d’acteurs majeurs de l’informatique quantique en France :
- Théau Peronnin, CEO d’Alice et Bob qui ambitionne de commercialiser le premier ordinateur quantique, universel et sans erreurs pour l’industrie.–
- Pierre Desjardins, CEO de C12 qui développe un processeur quantique à base de nanotubes de carbone.
- Olivier Tonneau, Partner du fonds d’investissement Quantonation qui a investi dans les startups Quandela et dans Pasqal. Cette dernière développe des unités de traitement quantique basées sur la technologie des atomes froids.
- Valerian Giesz, co-fondateur Quandela qui conçoit des ordinateurs utilisant la photonique quantique.
Comment résumer, le plus simplement possible, le concept d’informatique quantique?
Valérian Giesz – Quandela
Il y aurait 1000 façons différentes d’expliquer l’ordinateur quantique. Pour ma part, j’aime bien partir de la différence avec l’informatique actuelle. Dans un ordinateur classique, se trouvent aujourd’hui des transistors. Ceux-ci vont calculer des 1 ou des 0, de la manière la plus rapide possible. L’ordinateur quantique abrite lui des qubits. Ce n’est plus 1 ou 0, mais plutôt 1 et 0. En effet, le calculateur est capable de proposer une superposition d’état. Cette approche n’a rien de nouveau. Elle remonte en fait à Einstein et tous les savants de la théorie quantique. Depuis 50 ans, une série d’expériences a permis de démontrer que ce concept existait réellement et que l’on pouvait donc l’appliquer à des problèmes complexes. Une autre manière très simple de comprendre l’informatique quantique consiste à utiliser l’image du labyrinthe. L’ordinateur classique va tester tous les chemins possibles, un par un, pour trouver le plus court. L’ordinateur quantique va lui pouvoir avancer de façon plus diffuse, puisqu’à chaque intersection il ne va pas aller à droite ou à gauche, mais simultanément dans les deux directions. Il ira donc plus vite que son concurrent.
Pourquoi un tel emballement actuellement sur cette technologie associée à un concept déjà ancien ?
Olivier Tonneau – Quantonation
Ce qui est nouveau aujourd’hui dans le monde de l’informatique quantique, c’est que nous sortons de la recherche initiale pour passer aux applications. Nous arrivons au stade de l’ingénierie. Il s’agit désormais de transformer les expériences de laboratoire en de véritables machines implémentables dans des centres de calcul haute performance. Il ne semble plus exister de barrières technologiques pour donner naissance à ce fameux ordinateur quantique. L’heure est venue de passer de la théorie à la pratique. D’ailleurs de grands groupes privés comme IBM, Google ou Microsoft l’ont compris puisqu’ils investissent désormais massivement dans cette technologie.
Théau Peronnin – Alice et Bob
J’ajouterais qu’il existe aujourd’hui un véritable besoin pour ce type d’ordinateurs. En effet, depuis environ 10 ans, la data est au cœur de nos économies et de nos vies. Cette masse de données à traiter a considérablement augmenté les besoins en puissance de calcul. Puisque nous savons désormais qu’on ne pourra pas réduire la taille d’un transistor en dessous d’une atome, il faut chercher d’autres solutions. C’est de ce besoin que naît l’avancée technologique. Beaucoup d’acteurs économiques partagent ce constat qu’il faut miser sur le quantique pour répondre à la croissance de la demande de calcul. Cela crée une course technologique. Les grands groupes comme les startups souhaitent être parmi les premiers à livrer un ordinateur quantique.
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Dans quels secteurs cette nouveauté technologique devrait rapidement trouver des applications ?
Pierre Desjardins – C12
C’est une technologie qui va, à coup sûr, transformer un grand nombre d’activités économiques. À commencer par le monde de l’industrie. Avec cette nouvelle manière de calculer, des projets qui pouvaient sembler inimaginables hier vont pouvoir être lancés demain. Si je devais citer les premières applications, je parlerais de tous les secteurs très utilisateurs de calculs comme la chimie, la pharmacie, la santé mais aussi la finance ou la logistique. L’autre avantage pour les industriels, c’est qu’aujourd’hui, les ordinateurs dédiés aux calculs consomment beaucoup d’énergie. Le fait de les remplacer par des versions quantiques devrait permettre d’avoir une approche beaucoup plus durable.
Théau Peronnin – Alice et Bob
La puissance de calcul d’un ordinateur quantique est exponentielle. Tous les marchés dans lesquels se posent des problèmes d’optimisation vont s’intéresser à cette technologie. Qu’il s’agisse d’optimiser un portefeuille financier ou de déterminer la forme optimale d’une pale d’éolienne. Ce sont des problèmes aujourd’hui complexes à traiter pour lesquels l’émergence d’ordinateurs quantiques devrait accélérer la résolution. La deuxième catégorie d’application porte plus généralement sur les problèmes d’ingénierie. Autrement dit : la résolution de problèmes d’algèbre linéaire. Là encore, les applications seront très diverses : de la simulation de la signature radar d’un avion de chasse à l’entraînement d’un réseau de neurones en vue de proposer des suggestions sur Netflix.
Concrètement, à quoi ressemblera l’ordinateur quantique ?
Valérian Giesz – Quandela
Il y a plusieurs technologies qui s’affrontent et chacun espère aboutir à la plus performante. Concernant l’usage, il dépendra des applications et des utilisateurs. Certains de nos clients nous disent déjà qu’ils voudront acheter notre machine et l’utiliser de façon autonome. D’autres envisagent plutôt une relation de prestations de services. Autrement dit : ils identifient un problème à résoudre et nous nous chargeons de le solutionner grâce à notre ordinateur quantique et à l’expérience de nos équipes pour le faire fonctionner. Très concrètement, nous avons par exemple un contrat en cours de signature dans le secteur de l’aérospatial. Dans le cadre de celui-ci, notre mission sera d’aider nos partenaires à comprendre et à optimiser le fonctionnement de propulseurs de fusées ou d’avions. Il ne s’agira donc pas de leur vendre un ordinateur mais plutôt une technologie.
La France et l’Europe sont-elles bien positionnées dans cette course technologique ?
Olivier Tonneau – Quantonation
C’est assez ouvert. Il y a eu quelques startup aux États-Unis qui ont levé beaucoup d’argent, mais qui n’ont finalement pas une si grande avance technologique par rapport aux entreprises européennes les plus prometteuses. La course n’est absolument pas perdue. Dans le monde académique non plus, nous n’avons pas à rougir devant les américains. Les laboratoires européens ont déposé un nombre assez similaires de brevets que leurs homologues d’autres régions du monde. Nous disposons même d’un sérieux atout par rapport à nos concurrents : l’avant-gardisme de notre industrie. En Europe, de nombreux grands groupes comme Airbus, Bosch, Total ou les grands laboratoires pharmaceutiques planchent déjà sur des collaborations avec des startups en vue de premières expérimentations. C’est une vraie chance pour notre écosystème.
Pierre Desjardins – C12
Le financement sera un sujet majeur. Aux Etats-Unis, les startups de l’informatique quantique sont plus anciennes et ont donc souvent levé davantage de financement que leurs concurrentes européennes. Cela dit, il y a encore peu d’acteurs sur ce marché et la France et l’Europe sont déjà bien représentées avec un certain nombre de champions locaux. Les conditions sont donc réunies pour proposer une approche technologique différente. D’ailleurs, je constate qu’une entreprise comme la nôtre parvient à attirer des talents de l’informatique quantique venus du monde entier. Cela me semble un très bon signal. Les startups qui émergeront seront celles qui auront réussi à convaincre les meilleurs spécialistes de les rejoindre.
Pourquoi les acteurs économiques doivent-ils s’intéresser dès aujourd’hui aux promesses de l’information quantique ?
Théau Peronnin – Alice et Bob
Qu’on soit une grande, une moyenne ou une petite entreprise, il est absolument urgent de s’intéresser sérieusement à l’informatique quantique Soyons clairs : il ne s’agit pas seulement d’avoir une personne qui fasse de la veille technologique ce sujet. Cela n’est pas suffisant. Il faut constituer dès aujourd’hui une petite équipe pour commencer à monter en compétence et comprendre comment ces futurs supercalculateurs vont venir changer votre activité demain. Je recommande d’ailleurs aux industriels, de lancer des collaboration dès aujourd’hui avec les acteurs du secteur pour ne pas se faire dépasser, demain, par ses concurrents. Les feuilles de route, pour parvenir à cet avantage quantique, vont de cinq à dix ans maximum. Il ne faut plus perdre de temps.
Pierre Desjardins – C12
Bien sûr, nous sommes encore aujourd’hui en amont de la vague technologique attendue. D’ailleurs, les premiers ordinateurs ne seront pas des ordinateurs quantiques, mais plutôt des accélérateurs quantiques qui seront spécifiques à certaines applications. Pour autant, il ne faut pas négliger l’avantage compétitif dont disposeront les entreprises qui seront en capacité d’utiliser cette incroyable nouvelle puissance de calcul dès son arrivée. En tant que dirigeant, il faut essayer d’identifier et de comprendre dès maintenant les futures applications de l’informatique quantique pour son entreprise. Nous travaillons d’ailleurs déjà avec certains industriels qui souhaitent construire leur avantage compétitif de demain.
À quelle échéance peut-on espérer vivre les premières applications industrielles de l’ordinateur quantique ?
Valérian Giesz – Quandela
Je n’ai pas de boule de cristal, mais j’aurais tendance à dire que, dans cinq ans, toutes les entreprises achèteront du temps de calcul quantique. C’est donc maintenant qu’il faut se lancer. D’ailleurs, chez Quandela, nous avons fait le choix de proposer notre langage de programmation en open-source pour faciliter sa diffusion et son adoption. Cela concerne les entreprises, mais aussi les professionnels de l’information qui ne doivent pas passer à côté de cette technologie. Il faut commencer à s’instruire sur le sujet maintenant pour être prêt d’ici cinq ans.
Olivier Tonneau – Quantonation
Même s’il n’est jamais simple de prévoir l’avenir d’une technologie, je pense que tout va se jouer ces dix prochaines années. D’ailleurs, le développement de l’informatique quantique me semble plus rapide que ce qui avait été imaginé il y a quelques années. Nous avons commencé à investir dans ce secteur il y a quatre ans. A l’époque, nous ne pensions pas qu’une startup comme Pasqal disposerait de trois machines et comptait déjà plusieurs clients au printemps 2022. Les gouvernements ne s’y trompent pas. La France a annoncé un plan national d’1,8 milliards sur cinq ans tandis que l’Allemagne va mobiliser 1,9 milliards sur la même période. Grâce à ces financements publics et à l’engagement des investisseurs privés, nos startups devraient disposer des moyens pour continuer de grandir et développer des produits. Désormais, tout peut aller très vite.
Notre équipe accélère le développement des startups investies par les fonds d’investissement en capital risque de Bpifrance.
One Response
Merci pour cet article qui illustre notre capacité à maîtriser cette technologie critique à travers un écosystème dynamique et innovateurs, regroupant startups et investisseurs (décrit dans l’article), avec des centres de recherches qui ont accompli des travaux reconnus mondialement, et un plan national de 1,8 Mds sur 5 ans.
Je me permets d’ajouter un sujet complémentaire sur lequel il faudra investir, car le succès des solutions opérationnelles en dépend. Il s’agit du stack complet (couvrant Applications/Algorithmes, frameworks et outils de développements, jusqu’aux couches de contrôle et du hardware).