Implicity est une plateforme de télésurveillance de prothèses cardiaques connectées, une brique essentielle de l’écosystème de santé contemporain à l’heure où les patients télésuivis sont de plus en plus nombreux. C’est avant tout un dispositif de haute technologie mobilisant l’IA au service de la santé. Pour mieux comprendre les enjeux qui font avancer cette pépite HealthTech, nous avons interviewé le Dr. Arnaud Rosier, son CEO et co-fondateur.
- Vous avez créé Implicity, comment résumeriez-vous votre activité ? Quelle est la genèse de l’entreprise ? Quelles convictions vous animent ?
J’ai créé Implicity pour répondre à une problématique que je vivais quotidiennement pour la prise en charge de mes patients porteurs de prothèses cardiaques. La création d’Implicity en 2016 a été la suite logique d’une attente de 10 ans dans mon domaine médical, celui du suivi à distance des patients porteurs de prothèses rythmiques implantées (stimulateur cardiaque par exemple), et le prolongement de mon doctorat en intelligence artificielle appliqué à ce suivi au sein d’une équipe INSERM.
Ma conviction, alimentée par de nombreuses études cliniques, est que le télésuivi des patients porteurs de prothèses cardiaques sauve des vies tout en étant une des rares innovations médicales qui réduit les coûts de prise en charge. Les prothèses cardiaques telles que les pacemakers et défibrillateurs implantables sont des dispositifs implantables informatisés qui enregistrent tous les événements du patient et transmettent ces données au personnel soignant pour une prise en charge rapide et efficace des patients.
En France, 500 000 personnes portent ce type d’implant, produit par cinq fabricants (Abbott, Biotronik, Boston Scientific, Medtronic et Microport). Chacun des 5 fabricants dispose de sa propre plateforme de télésuivi, mais il n’existait pas d’outil unifié. Développer une interface unique pour suivre et interpréter les événements des patients équipés de toutes les prothèses du marché est une évidence attendue de tous, et surtout permet d’envisager d’y adosser des algorithmes qui seuls permettront le passage à l’échelle de l’analyse des données. La plateforme Implicity, déployée dans plus de 60 centres médicaux et auprès de plus de 30 000 patients, s’impose comme la première solution en Europe dans ce domaine, et une des seules dans le reste du monde.
Ma deuxième conviction forte est que rendre disponible la donnée est indispensable pour améliorer le suivi des patients. Le traitement de masse des données de santé et l’intelligence artificielle permettent d’importants progrès dans l’accompagnement des patients, l’évaluation et le choix des traitements. Ces algorithmes permettent à la fois de faire gagner du temps aux équipes de soignants, mais aussi de prévenir les événements graves en les prédisant, et de mieux évaluer en continu quelle est la meilleure prise en charge. En remplaçant le suivi en consultation des dispositifs qui est normal dans 99% des cas, le télésuivi permet de rediriger les ressources sur les patients qui en ont réellement besoin tout en maintenant une vigilance accrue quotidienne sur toute la population concernée.
Les prothèses cardiaques sont des dispositifs médicaux électroniques incroyables qui collectent et transmettent énormément de types données (rythme cardiaque, mais aussi activité, respiration etc.). Simplifier l’analyse des flux de données disponibles sans surcharger les équipes en charge est un défi croissant qui concernera à terme tous les appareils générant de la donnée en continu (implantables, mais aussi « smart watch » et autres équipements à domicile). Filtrer les données pertinentes à remonter aux médecins ou croiser ces données avec les informations du dossier patient pour sélectionner le bon moment d’intervention passera nécessairement par des algorithmes d’IA sur lesquels de nombreuses équipes y compris la notre travaillent actuellement.
Implicity est lauréate du premier appel à projets en 2019 du Health Data Hub donnant accès à la base de données de santé partagées pour la recherche. D’ailleurs, nous venons d’obtenir l’accord final de la CNIL pour exploiter ces données afin de développer un algorithme de diagnostic et de prédiction des crises de décompensation cardiaque. Très prochainement nous pourrons commencer le travail effectif sur ce projet, ce qui est très excitant sur le plan scientifique et porteur de perspectives fabuleuses pour nos patients.
- Dispositifs cardiaques et télésurveillance : quelle est la réalité des choses aujourd’hui en France ? Dans le monde ?
En France il y a eu une prise de conscience collective de l’intérêt du télésuivi pour les patients porteurs de dispositifs cardiaques implantables et pour les patients insuffisants cardiaques avec le lancement du programme ETAPES (Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours En Santé). La France et les Etats-Unis sont désormais parmi les premiers pays à proposer un remboursement des actes de télésuivi de ces patients.
Pourtant en France, seulement 10 – 15% des porteurs de dispositifs cardiaques implantables (défibrillateurs implantables ou pacemakers) bénéficient de la télésurveillance de leur dispositif connecté, malgré le consensus scientifique des sociétés savantes (2015) recommandant le télésuivi généralisé de ces patients sur la base des bénéfices maintes fois démontrés. La réticence initiale de la CNAM à voir les dépenses augmenter a sans doute contribué à la lenteur du remboursement en France, qui n’est qu’expérimental. Pourtant il existe un consensus sur les économies potentielles.
En Europe en général, plusieurs actions conjointes devraient être entreprises : appuyer le remboursement de l’acte de télésuivi en droit commun, faire connaître le cadre réglementaire et les recommandations des sociétés savantes aux médecins en charge du télésuivi, mais aussi informer les patients sur les bénéfices du télésuivi en termes de réduction de la mortalité afin de réduire les biais de l’offre actuelle (1 patient sur 10 concerné). Il a été démontré que le télésuivi réduit le nombre de visites à l’hôpital, la satisfaction et le pronostic vital du patient et réduit les coûts de prise en charge.
Aux Etats-Unis, le taux d’adoption est estimé plus élevé qu’en Europe (autour de 30% des prothèses sont télésuivies). Le télésuivi des prothèses cardiaques est pris en charge dans le cadre du Medicare (programme fédéral de santé pour les plus de 65 ans) et aussi par des assurances privées. Tant que le télésuivi fait gagner du temps, améliore les coûts et la prise en charge des patients, c’est une option considérée et retenue par les hôpitaux américains.
VOUS SOUHAITEZ ENTRER EN CONTACT AVEC DES STARTUPS INNOVANTES ?
- La situation actuelle met en lumière certains des avantages de la télésurveillance : quelle est votre analyse sur le futur de la pratique ?
Dans le contexte de Covid-19, les cardiologues qui avaient mis en place un télésuivi efficace se sont rendus compte à quel point celui-ci permettait de continuer une prise en charge optimale à distance, sans friction.
Les patients porteurs de prothèses rythmiques, généralement âgés ou atteints d’insuffisance cardiaque sont particulièrement à risque face au virus. Le télésuivi a permis de ne pas briser la chaîne de la prise en charge et de permettre un suivi de qualité, malheureusement limité pendant la période à ceux déjà installés en télésuivi, soit environ 10 à 15% seulement des Français concernés.
Les sociétés savantes dans le monde s’accordent pour recommander la télésurveillance des dispositifs cardiaques implantables comme solution de référence y compris en dehors du cadre de la crise sanitaire. Elles encouragent les fabricants et les établissements de santé à activer la télésurveillance médicale pour les patients non-télésuivi. Nous voyons que les mentalités ont changé en quelques mois chez les médecins les plus en retard sur cette innovation. Il faut espérer qu’ils seront soutenus par leur administration hospitalière et par les grandes orientations nationales en matière de politique de santé.
Nous vivons un changement de paradigme. La crise a clairement accéléré l’adoption de la télémédecine en général, de la télécardiologie, du télésuivi en particulier. J’envisage difficilement un retour en arrière surtout que ces modèles ont prouvé leur efficacité clinique.
- Le Ministère de la Santé et des Solidarités référence Implicity parmi les solutions de télésuivi dans le cadre de la crise sanitaire : quel message souhaiteriez-vous particulièrement faire passer aux patients et aux professionnels de santé ?
Le Ministère des solidarités et de la santé soutient la plateforme Implicity au titre des solutions disponibles et la référence comme solution de télésuivi dans le contexte de la pandémie Covid-19. Nous avons voulu participer à l’effort collectif de ces derniers mois et mettre à la disposition des professionnels de santé non équipés notre solution universelle gratuitement pendant la crise sanitaire.
Cette crise sanitaire a confirmé l’importance de la modernisation des modalités de suivi. Les modèles économiques doivent accompagner cette innovation. Les médecins doivent s’engager dans la démocratisation de cette offre à tous leurs patients et pas uniquement une sous-partie. En parallèle, les patients doivent être mieux informés des solutions disponibles dans leur cas, et être mis dans la boucle des données qui les concernent afin de les autonomiser en partie dans le suivi aux côtés des professionnels.
Enfin, il est très important que les autorités de santé promeuvent les modalités de financement des solutions innovantes proportionnellement à leur usage, notamment dans le relai du financement du programme national ETAPES. A ce jour Implicity représente 50% des patients télésuivis en France et n’a bénéficié d’aucun financement à ce titre, ce qui pose question.
Le potentiel médical pour les patients, de gain de temps pour les professionnels et d’économie pour le système de santé étant démontrés, aucune raison valable ne nous retient d’accélérer sur ces pratiques !
Conquise par la mise en récit et la tech complexe, Claire met aujourd’hui sa détermination, ses bons mots et son expérience en com au service des startups investies par Bpifrance.