Les Clubs Métiers du Hub sont une initiative née de la volonté de créer un savoir commun au sein des startups investies par les fonds d’investissement en capital risque de Bpifrance. Le principe est simple : réunir des experts d’un même métier pour croiser les points de vue et les pratiques. Le Club Produit a été initié en janvier 2021 par notre Operating partner Octave Letellier.
OKR pour Objectives and Key Results, l’acronyme anglo-saxon s’est popularisé en France ces dernières années sans toutefois réussir à bien en cerner les enjeux sous-jacents. Définition, priorisation, process, etc. : y-a-t’il une bonne stratégie pour faire des OKR une réalité pérenne pour les entreprises ?
Après une session consacrée à la Discovery, le Club Produit du Hub s’est réuni pour y voir plus clair dans la jungle des OKR grâce à l’œil avisé Pierre Fournier, ex-CPO de ManoMano. Retour sur les enseignements majeurs de cet échange passionnant !
1. POURQUOI FAIRE DES OKR ?
“Les meilleurs startups mettent en place des OKR, c’est forcément utile”, “ c’est essentiel pour suivre l’avancement des équipes et s’assurer qu’elles travaillent sur les bons sujets” : à la question “pourquoi faire des OKR”, les réponses sont souvent les mêmes et semblent passer à côté du sujet selon Pierre Fournier.
La mise en place des OKR permettent de répondre à trois objectifs :
- rester focus : dans la liste à la Prévert des priorités, Pierre conseille à chaque entreprise de se concentrer sur trois objectifs maximum, connus de tous, atteignables ou en étant clair sur le niveau d’ambition attendu (roof shot vs moon shot).
- donner de la visibilité : l’approche OKR conduit à connaître l’état d’avancement de l’équipe mais cela ne doit pas s’apparenter à une stratégie de “command & control”. Savoir sur quels objectifs est en train de travailler une équipe doit plutôt servir à “orienter et supporter” pour Pierre afin de contribuer au mieux à la mise en oeuvre des OKR.
- rester aligné : lors de la phase de définition et de priorisation des OKR, il est essentiel pour Pierre d’aligner la demande et sa bonne compréhension, au risque de créer une distorsion. Par exemple, chaque équipe doit savoir si elle travaille sur une optimisation (roof shot) ou totalement repenser la manière de voir un problème (moon shot). La phase de réflexion initiale sur la mise en place des OKR doit aussi permettre de comprendre les interdépendances entre les équipes pour atteindre ces derniers. Objectif : éviter les points de frictions.
« Les OKR ne sont pas une fin en soi mais bien un moyen pour donner du pouvoir aux équipes. Les bons OKR créent de l’impact pour l’entreprise.«
Pierre Fournier
2. NE CASCADEZ PAS LES OBJECTIFS
Multiplier les OKR est sans doute le meilleur moyen de ne pas atteindre les plus importants. D’un point de vue opérationnel, cela revient “à demander à une personne qui commence à courir de finir un marathon en 2h30” selon Pierre Fournier.
Pour éviter cette distorsion, il est essentiel d’accorder du temps à la phase de discovery mais aussi de bien garder en tête les deux éléments clés pour mettre en place des OKR : la co-construction et l’empowerment des équipes autour de ces derniers.
Surtout, gardons en tête que les OKR ne sont pas la chasse gardée des équipes Produit mais de l’ensemble de l’entreprise comme le rappelle Pierre.
La solution : mettre en place des OKR d’entreprises bien ciblés qui permettent à chacun de savoir sur quoi il peut contribuer (Orient & Support plus que Command & Control), et se mettre d’accord en amont pour régler les potentiels problèmes d’interdépendance des OKR si il y en a malgré tout.
Exemple : ManoMano avait créé 24 équipes, regroupées en 3 tribes de 8 équipes, chacune responsable d’un OKR de l’entreprise. Au lancement de l’offre B2B de ManoMano, il y avait une dépendance entre les équipes sales B2B, l’équipe produit et l’équipe tech. Ils devaient d’assurer en amont du trimestre que d’autres équipes n’allaient pas prendre 100% de leur bande passante. On comprend que les enjeux de coordination représentent ici un risque de déperdition de productivité si les OKR sont trop imbriqués.
« Ce qui a tout changé pour nous c’est quand on a laissé les squads remplir eux mêmes leurs OKR : managers et fondateurs ont pu complètement lâcher.«
Flora Vidal, CPO @ Captain Contrat
3. RESTEZ FIDÈLES À VOS OKR
Bien souvent, les OKR définis en amont du trimestre ou du semestre disparaissent du paysage pendant le temps imparti. Deux raisons peuvent l’expliquer :
1/ Les OKR ont été mal définis
- On peut par exemple confondre output et outcome. S’il est évident qu’une mise en conformité suite à une nouvelle législation est inscrite à l’agenda des OKR (outcome), il ne faut toutefois pas généraliser automatiquement la démarche pour tous les objectifs.
- Si le comportement des users est mis de côté, on risque aussi de passer à côté de ses OKR. L’enjeu c’est vraiment de réussir à comprendre quels sont les comportements de nos utilisateurs qui mesurent l’outcome (user centric metric vs business centric metric).
- Il faut aussi s’assurer des interdépendances entre les équipes et viser à minimiser les micro-optimisations.
2/ Accepter que la mise en place des OKR prenne du temps
On ne peut y couper : allouer les ressources nécessaires pour être en accord avec les ambitions initiales des OKR… est le seul moyen de les atteindre.
La solution : rendre les OKR accessibles (par spreadsheets par exemple) et les suivre chaque semaine individuellement avec les owners.
Exemple : Chez ManoMano, la donnée relative à chaque OKR sert de boucle de feedbacks et permet de savoir si le suivi est fluide. Chaque semaine lors de la business review, Pierre demande ainsi à chaque équipe produit d’updater sa « KR » principale pour en faire un bref examen.
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4. EVITEZ D’EN FAIRE TROP !
Avec la multiplication des OKR, le risque de dispersion s’accroît ce qui peut brouiller à terme le sens de la priorisation à l’échelle d’une équipe.
La solution : se limiter à 3 OKR maximum par personne avec des temporalités plus ou moins courte en fonction de la maturité (1 mois en bootstrap, 3 mois en startup et 6 mois en phase plus mature), tout en s’assurant que l’impact soit clair et mesurable. Cette période permet normalement de couvrir les trois phases qui composent les OKR : discovery, solutions et résultat. Cela permet de garantir une bonne concentration des efforts tout en laissant du champ à chacun pour bien implémenter les OKR dans leur quotidien.
Expérience : A son arrivée chez ManoMano, Pierre a découvert une liste de 9 OKRs macro et 250 sous OKRs ! Il a défendu une transition vers 3 OKR d’entreprise, en roulement tous les 6 mois pour assurer une certaine agilité au dispositif.
5. MÉNAGEZ VOS AMBITIONS
La subtilité des OKR revient à pouvoir allier ambition et pragmatisme. Si le dosage n’est pas le bon, la motivation des équipes à leur égard se dilue automatiquement et risque de nuire à l’allocation des ressources sur le projet d’entreprise global.
Il est aussi important de ne pas seulement traduire les objectifs business en OKR comme on pourrait avoir tendance à le faire avec le taux de conversion par exemple. Assigner un objectif d’augmentation du taux de conversion n’est ainsi pas cohérent pour des équipes Produit car de trop nombreux facteurs impacte cette metric, comme le rappelle Pierre.
La solution : diviser ses objectifs business en plusieurs sous-objectifs très orientés utilisateurs indépendants sur lesquels les équipes auront beaucoup plus la main.
Exemple : Chez ManoMano « Augmenter le taux de conversion » avait comme composante d’ « Augmenter l’accessibilité du catalogue » et se divise en plusieurs sous-objectifs : pertinence du search, précision des filtres de recherche…
« Le taux de conversion est une vanity metric mais vos investisseurs vont vous en parler, pour ceux qui ont des problématiques de funnel vous êtes bien obligés de les adresser. D’ailleurs le NPS peut permettre d’identifier des bugs dans son funnel si cela baisse beaucoup.«
Pierre Fournier
6. MESUREZ LA BONNE MÉTRIQUE
Associer le bon Key Result à l’objectif n’est pas chose facile. Avant de pouvoir le trouver, il faut bien souvent passer par une longue période de discovery, qui implique d’interroger des users mais aussi de vérifier d’un point de vue quantitatif avant de trouver le bon key result.
La solution : une phase de Discovery bien préparée permet de comprendre le KPI et savoir quoi mesurer. Il ne faut donc pas hésiter à « tester » des métriques avant de chercher absolument à obtenir des résultats.
Exemple : « Comment mesurer la pertinence du search chez ManoMano ».
Initialement, les équipes tentaient de « déterminer le pourcentage de Business Value associé au search« . A ce problème, la solution pouvait se cantonner à augmenter la taille de la barre de recherche pour accroître son utilisation… sans impacter toutefois la pertinence des résultats.
Après des phases de recherches quali & quanti, les équipes se sont rendues compte qu’une part non-négligeables des users (environ 15%) tentait de rechercher à partir du moteur de recherche du site avant d’ouvrir un onglet sur leur navigateur pour enfin trouver le produit et revenir sur ManoMano.
Cette découverte a permis de redéfinir le key result à savoir faire baisser la part d’utilisateurs qui allaient faire une recherche sur Google avant de revenir sur ManoMano. Résultat : trois mois plus tard, la metric avait baissé de moitié selon Pierre.
« Sans la phase de discovery, nous aurions continué à perdre de l’argent en offrant la possibilité aux users de partir chez nos concurrents ou en payant un double trafic.«
Pierre Fournier
EXEMPLE D'OKR AVEC CAPTAIN CONTRAT
OBJECTIF DE FLORA VIDAL (CPO) : Savoir mieux réactiver et convertir notre base de clients
- KR1 : On itère sur nos principaux workflows CRM pour atteindre 3% MQL client/base par mois (à taux de vente constant)
- KR2 : On itère sur le bilan juridique pour que 7% de nos abonnés rachètent une prestation sur la marketplace chaque mois
- KR3 : On définit les timelines des besoins juridiques et administratifs de nos clients.
Chargé d’accompagnement des startups du portefeuille de Bpifrance, Octave Letellier apprécie tout particulièrement la product centricité et beer excentricité. Il est co-instigateur de la Product Week et porte les sujets du club métier Product.