De la construction de ponts au développement d’une nouvelle solution de transport à faible empreinte : entretien avec Sébastien Bougon, fondateur et CEO de Flying Whales

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Un projet fou et ambitieux mené par un PDG-fondateur au parcours solide avec pour origine l’ONF (Office National des Forêts) : c’est la genèse de Flying Whales, qui développe une nouvelle solution de transport à base de dirigeables géants capables de transporter jusqu’à 60 tonnes de charge utile dans les endroits les plus inaccessibles assimilés, dans sa traduction littérale, à une baleine volante.

 

Ingénieur de formation, Sébastien Bougon a démarré sa carrière dans les grands projets de construction (les ponts, notamment) avant de monter la concession du Stade de France et de passer 8 années au sein du groupe TF1, en passant par les finances du groupe puis en prenant la tête de plusieurs filiales et enfin aux côtés de son président. Avant de créer Flying Whales, il gère un fonds d’investissement commun aux familles Bouygues et Pinault. Constructeur, donc entrepreneur dans l’âme, il nous raconte son parcours et les défis de Flying Whales, une innovation véritablement singulière par son ambition dans le monde de l’aéronautique.

 

 

La genèse de Flying Whales a pour source un problème rencontré en 2012 par l’Office National des Forêts. Pouvez-vous nous raconter ?

 

L’origine de Flying Whales est en effet liée à une discussion que j’ai eue en 2012 avec le directeur général de l’Office National des Forêts. La filière bois était le 2e ou 3e poste de déficit de la balance commerciale à l’époque. Il était nécessaire d’augmenter les prélèvements à bas coût et sans impact, aussi pour encourager la construction en bois, et donc de permettre à l’ONF d’agrandir sa zone de mobilisation de la ressource, notamment vers les zones qui sont difficilement accessibles. Cette idée de dirigeable charges lourdes capable de transporter de grands volumes, plusieurs dizaines de tonnes est alors apparue.

 

L’Office National des Forêts avait un besoin et l’Etat, via notamment Bpifrance, cherchait à financer plus de projets innovants. Tout cela a créé une alchimie qui a finalement permis à un projet comme celui-ci de naître. Une première étude a été lancée en collaboration entre l’ONF (Office National des Forêts), Flying Whales, créée à cette occasion, et l’ONERA (Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales). Un premier accord a été signé en 2012 et une première étude a été réalisée. Après environ un an de travail dans cette première phase, nous étions assez convaincus qu’il existait à la fois une voie économique et technologique pour répondre à cette problématique.

 

La plupart des idées ont déjà été pensées par l’homme. La question est : qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, elles se concrétisent et se réalisent réellement ? En général, c’est une conjonction de la disponibilité de la technologie, de la demande marché certaine, d’une volonté indéfectible d’entreprendre, et dans le cas présent compte tenu de l’ambition : du soutien d’un État désireux de relancer son économie, notamment en soutenant les startups, et c’est ce qui s’est passé en France.

 

 

 

Justement, faisons un petit flashback : quand vous travailliez sur la construction de ponts, la question du transport de matériaux lourds se posait déjà face à vous. Aviez-vous entrevu le renouveau du dirigeable à ce moment-là ?

 

Cette problématique faisait en effet écho à une situation que j’avais rencontrée lors de la réalisation du Vasco de Gama à Lisbonne. Il y avait un véritable problème d’accès pour les éléments préfabriqués et les équipements lourds. Mais pour réaliser du point à point aérien il n’existe que l’hélicoptère très limité en termes de capacité de charge, 5 tonnes pour le plus gros européen, et 12 à 18 tonnes pour les plus gros américains et russes mais quoiqu’il en soit à des coûts d’opération exorbitants. Lorsque l’on envisage des dizaines de tonnes en point à point il n’existe rien.

 

A l’époque, d’ailleurs, un dirigeant d’Eurocopter m’avait évoqué cette idée de ballon dirigeable, « une formidable grue volante », mais que nous avions balayée d’un revers de la main. Et puis, environ 20 ans plus tard, en en reparlant avec le directeur général de l’Office National des Forêts, cette idée nous a parue pertinente. Et que découvrons-nous, encore une fois, transporter du bois avec des dirigeables, vous pouvez trouver cela dans de vieux ouvrages. Par contre le besoin était là, avec deux « entrepreneurs » décidés, si ce n‘est à mettre en œuvre cette solution, à l’étudier très sérieusement.

 

 

Retour en 2012 : quelles ont été les étapes de développement de Flying Whales entre sa création et aujourd’hui ?

 

Après la réalisation des études amonts, une deuxième étape s’est déroulée de 2013 à 2017. Il s’agissait d’une période de quatre ans consacrée principalement à la phase de dériscage du projet : solutions techniques, marchés, études financières, capacité à mettre en place un consortium aéronautique, discussions préalable avec les autorités de certification, etc.

 

Durant cette étape, le consortium industriel s’est progressivement élargi. Nous disposons aujourd’hui d’un consortium solide d’une cinquantaine d’entreprises de l’aéronautique principalement françaises mais aussi canadiennes et américaines, soutenu par des partenaires financiers de renom tels que Bpifrance ou le Ministère de l’Economie du Québec, et notre actionnariat est puissant, incluant les État français, québécois et Monégasques, La région Nouvelle Aquitaine, ainsi que des acteurs industriels majeurs comme Groupe ADP (Aéroports de Paris), Bouygues, Air Liquide, des établissements financiers importants comme la Société Générale ou le groupe franco-allemand ODDO BHF, des fonds d’investissement et family offices.

 

Certaines étapes ont été difficiles, que ce soit sur la partie financement en dons propres, le montage juridico financier pour la construction de notre usine en Nouvelle-Aquitaine ou bien quand il a fallu composer avec la crise pour les PMEs de l’aéronautiques post Covid-19, qui a touché durement bon nombre d’entreprises partenaires sur lesquelles notre projet repose. Malgré ces difficultés, nous avons tous réussi à faire preuve de résilience, à surmonter ces obstacles et à progresser vers la réalisation de notre projet.

 

 

Quelles sont les prochaines étapes à franchir pour rendre les dirigeables opérationnels ?

 

Notre usine devrait être disponible en 2025 pour assembler le premier LCA60T. Ensuite, nous avons deux années d’essais au sol et en vol avant d’obtenir la certification. Donc les opérations débuteront en 2027.

 

Concernant l’usine, le grand enjeux réside dans la tenue des délais alors que nous sommes dans les procédures administratives avec les services de l’Etat. Les essais au sol et en vol représenteront également un défi majeur.

 

Flying Whales c’est aussi les opérations à réaliser pour nos clients, qui représentent un autre immense challenge pour nous. Sur ce volet nous préparons depuis plusieurs années FLYING WHALES SERVICES une compagnie aérienne et une société aéroportuaire, pour gérer la flotte et déployer les bases nécessaires, avec un projet qui s’étend sur une quinzaine d’années et qui représente 160 bases dans le monde. Notre partenaire, Groupe ADP (Aéroports de Paris), premier opérateur d’aéroports au monde et également notre actionnaire sera clé pour nous accompagner sur cet immense challenge. En parallèle nous mettons en place nos organismes de formation pour les pilotes, les opérateurs de maintenance, les Load Exchange Officers, et les personnel au sol. Comme vous le constatez, plus que de « concevoir et fabriquer un dirigeable charges lourdes », c’est une véritable solution de transport que nous développons, et ce pour et sur le 5 principaux continents.

 

 

Quels seront les grands atouts de ce dirigeable ? Vers quelles voies de développement et applications souhaitez-vous aller ?

 

Le LCA60T (pour Large Capacity Airship 60 Tons) est un dirigeable rigide de très grandes dimensions : 200 mètres de long et 50 mètres de haut, avec une soute qui mesure environ 100 mètres de long par 7 mètres de haut et 8 mètres de large, dans laquelle on pourra par exemple mettre un hôpital mobile qui pourra être transporté vers des zones reculées.

 

La valeur ajoutée majeure de notre solution est sa capacité à charger et décharger en vol stationnaire (pas d’empreinte au sol en opérations) donc son empreinte environnementale extrêmement faible. De plus, notre machine est de première génération hybride et de deuxième génération 100% électrique.

 

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