Pris de plus en plus au sérieux par les entreprises, plébiscité par les salariés, le sujet de la santé mentale prend de l’ampleur en France et en Europe. Teale, la startup spécialisée dans la santé mentale et qui accompagne les salariés au quotidien, lève 10 millions d’euros pour valider la montée en puissance du sujet et développer encore son offre en France et en Europe. Entretien avec Julia Néel Biz, CEO et cofondatrice, afin de découvrir l’histoire et exposer les ambitions de teale.
Bpifrance Le Hub : A quel moment t’es-tu intéressée au sujet de la santé mentale (par rapport à ton parcours plutôt orienté sur des fonctions stratégiques) ?
Julia Néel Biz : La santé mentale et la gestion du stress sont des sujets qui m’intéressent depuis longtemps. Au cours de ma carrière, j’avais un équilibre de vie assez mauvais. Depuis que j’ai commencé à travailler, j’ai eu envie de comprendre quels sont les mécanismes à l’origine de ces problématiques, de comprendre comment fonctionne le cerveau de façon plus pragmatique. En 2018, j’ai perdu quelqu’un de très proche, de façon extrêmement brutale, et dans les mois qui ont suivi, je me suis rendu compte qu’à l’échelle individuelle et collective, ces sujets étaient très peu connus, mal adressés et ce même dans des organisations où la culture est plutôt bienveillante.
Julia Néel Biz – cofondatrice et CEO – © teale
De plus, le côté entrepreneurial était ancré en moi depuis longtemps, notamment durant mes études. Nous en parlions déjà beaucoup Nicolas (Merlaud, co-fondateur de teale, ndlr) et moi lorsque nous étions à l’ESSEC ensemble. Finalement, nous avons commencé à faire de la recherche et du développement en 2020. Nous avons consulté et questionné de nombreux dirigeants autour de leur rapport à la santé mentale, comment ce sujet était traité dans leur organisation, etc. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait tout à réinventer et c’est un sujet sur lequel nous nous sommes vite rassemblés car il était important de le démocratiser.
Avec Nicolas, Geoffroy Verzat et Gilles Rasigade, les deux autres cofondateurs de teale, nous croyons très fortement dans l’utilité de notre mission et dans la dimension sociétale de celle-ci. Les sujets liés à la santé mentale ont été mis en avant par le Covid mais ils existaient avant et il régnait une sorte de tabou sociétal et organisationnel qui existe encore, mais qui est nettement moins prononcé aujourd’hui. Or c’est un sujet qui, mal traité, coûte beaucoup d’argent aux organisations. Au-delà de l’aspect humain, qui est, rappelons-le, l’aspect le plus important d’une entreprise, le coût d’une mauvaise gestion de la santé mentale des collaborateurs est de 3000€ / an par salarié.
Quelles ont été les grandes étapes de croissance de teale entre sa création et aujourd’hui ?
Ce qui a été intéressant, dans notre période de R&D en 2020, était justement ce changement de paradigme. Au départ, nous entendions que le sujet de la santé mentale était très important mais pas prioritaire au sein des entreprises. Puis, avec les vagues successives de confinement dues à la crise sanitaire, les effets sur la santé mentale des salariés ont été plus marqués. La mise sur le devant de la scène médiatique de ces sujets a créé un effet vertueux qui nous a permis de gagner 20 ou 30 ans de maturité sur le sujet.
Par la suite, nous avons lancé la toute première version de notre application mobile et nous avons eu nos premiers clients en avril 2021. Nous avons finalisé notre première levée de fonds auprès de fonds d’investissement et de business angels chevronnés en mai 2021. En septembre de la même année, nous avons accueilli nos premiers collaborateurs, étape cruciale pour nous.
Début 2022, nous avons signé notre premier client du CAC 40, ce qui était très important pour nous. À la création de teale, nous nous étions donnés un an et demi pour signer un premier groupe du CAC 40 parce que notre vocation est de toucher le plus grand nombre, de toucher des populations white and blue collars. Dès septembre 2022, nous avons signé notre 50e client, un super milestone.
Cette année, nous avons recruté notre 25e collaborateur et signé notre 100e client, jusqu’à cette Serie A de 10 millions d’euros qui est un moment charnière pour nous et qui annonce plein de belles choses pour le futur.
Teale lève aujourd’hui 10 millions d’euros, donc, notamment auprès de Bpifrance Digital Venture : pourquoi t’es-tu tournée vers la Bpi ? Quels sont les axes de développement auxquels tu souhaites consacrer ces fonds ?
En plus de Bpifrance Digital Venture, Alter Equity, Isai et Evolem nous suivent sur ce tour. Notre volonté de trouver les bons partenaires était essentielle. Si cela n’avait pas été le cas, notre postulat était de ne pas mener de levée de fonds. Ce qui était important pour nous, c’était d’avoir des partenaires puissants, qui pouvaient nous accompagner, y compris sur le long-terme, comme Bpifrance. Je suis impressionnée par la beauté du portefeuille de Bpifrance et de fonds comme Digital Venture, avec qui nous étions en contact depuis longtemps, notamment avec Bruno Villeneuve qui est aujourd’hui à notre board.
Ce qui a été assez décisif est cette relation de « partenaire » que l’on peut avoir sur le long-terme, car Bpifrance pourra nous suivre à travers les différentes événements qui nous attendent. Nous avions aussi la volonté de trouver des partenaires qui partagent nos valeurs, notre perception du marché et avec qui nous avions une ambition commune très forte de créer un leader européen.
Dans l’utilisation de ces fonds, il y a un axe qui est absolument majeur pour nous, c’est le recrutement. Nous allons donc investir dans l’équipe. Investir dans l’équipe, ce qui veut aussi dire investir dans la tech, la data et la data science, le produit, le marketing, le commercial… Un de nos gros enjeux va être de rester le produit le plus abouti du marché mais aussi passer le step supérieur, notamment dans l’amélioration de nos algorithmes pour apporter un accompagnement toujours plus précis, personnalisé et prédictif à l’échelle individuelle comme collective.
Nous allons avoir besoin de plus de collaborateurs pour aller plus vite, pour mieux servir nos clients. Et, à moyen terme, démarrer notre expansion européenne.
© teale
Le montant de cette levée signifie-t-il enfin que la santé mentale va devenir un sujet véritablement central de la vie en entreprise ?
Je pense que c’est un super signe. En France, on est assez en retard sur le sujet. Les levées de fonds ne sont pas le seul signal du marché évidemment, mais c’est un grand pas que l’on effectue. À titre d’exemple de comparatif, il y a 7 licornes aux US sur le sujet de la santé mentale et, en France, aucune. Il n’y en a pas non plus en Europe et cela montre que combler ce retard passe par le fait de financer des champions du secteur pour créer les meilleures solutions Tech.
C’est également un très bon signal dans le contexte des levée de fonds que l’on connaît et que l’on sait plus difficile ces derniers mois. C’est une preuve supplémentaire que le sujet de la santé mentale est un sujet porteur, parce que cela répond à un sujet sociétal et à un défi majeur où de nombreux aspects sont encore à réinventer. C’est aussi une très belle récompense du travail que accompli par toute l’équipe en 2 ans.
Un vrai changement de questionnement s’est opéré au sein des entreprises, de « Dois-je gérer ce sujet de la santé mentale des collaborateurs ? » à « Comment l’adresser le plus intelligemment possible afin qu’il ait un impact réellement positif ? »
Même si l’évangélisation reste un stade auquel beaucoup d’entreprises se situent toujours, l’effet Covid a aidé à faire progresser leur réflexion.
C’est aussi un sujet générationnel : les Millenials, qui sont la plus grosse part des actifs en Europe, attendent vraiment de leur entreprise qu’elle prenne position sur ces sujets. Une étude de la Harvard Business Review avançait que 50% des Millennials disaient avoir déjà quitté leur job pour une raison liée à leur santé mentale avant la pandémie, après ce chiffre monte à 68%. Toutes tranches d’âge confondues, 91% des collaborateurs aujourd’hui disent qu’ils attendent de la culture d’entreprise un soutien de leur santé mentale.
C’est donc un sujet qui ne vient pas seulement de la philosophie ou de l’ADN de l’entreprise, mais qui vient des collaborateurs dont les attentes sur ce sujet représentent un véritable changement structurel. C’est aussi un vrai atout dans la rétention des Talents en entreprise aujourd’hui.
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Qui sont aujourd’hui les clients de teale ? Quelle est leur approche et quels programmes concrets toi et ton équipe avez-vous mis en place chez ces clients ?
Notre base de clients est vraiment diverse. On sert des scaleups dans la tech comme Batch où OpenClassrooms, par exemple, mais aussi des grosses PME. Nous avons aussi un gros pool de clients dans le secteur service et consulting. Nous travaillons notamment avec EY, Bearing Point ou BETC.
Mais plus de 50% de nos revenus viennent des grands groupes, comme Sanofi, Cartier, Carrefour ou SNCF, entre autres, ce qui est important dans la réussite de notre mission. Nous proposons une approche individuelle personnalisée et une approche collective qui permettent de s’adapter à chaque organisation, même si tout est scalable. Nous avons la volonté et la capacité de nous adapter à l’organisation, c’est pour cela que nous sommes capables de servir des clients très différents en taille, mais aussi en secteur d’activité.
La santé mentale est un sujet qui touche tous les secteurs d’activité et tous les individus, on a tous intérêt à en prendre soin ! C’est pour cela que nous souhaitons faire de la santé mentale un pilier de la politique RH des entreprises et le faire avec le plus d’impact possible. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la data et sur la Science, notamment les neurosciences et les sciences cognitives et comportementales. Nous travaillons également avec des professionnels de Santé pour que le contenu que l’on crée soit scientifiquement prouvé.
Grâce à cela, nous offrons un accompagnement individuel avec notre application mobile, qui permet de mesurer sa santé mentale et d’avoir un programme personnalisé pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau et connaître les bons réflexes puis les adopter. Il est également possible de creuser avec un psychologue ou un coach en séance, sachant que tous nos coachs sont également psychologues, ce qui est important d’un point de vue déontologique.
Nous proposons également un accompagnement collectif, afin d’aider les RH et les dirigeants d’entreprise à construire une culture qui soit propice à la santé mentale et surtout qui les aident à prévenir les risques. En agrégeant des données anonymes, nous pouvons leur proposer un plan d’action concret, former les managers aux premiers gestes en santé mentale et former les toutes les équipes. Nous aidons aussi les dirigeants et managers à adopter des comportements leur permettant à la fois de se protéger eux-mêmes et de protéger leurs équipes, ou de communiquer sur des sujets sensibles. L’idée est d’être dans la prévention plutôt que dans la réaction.