Les grandes entreprises cherchent de plus en plus à innover et à intégrer de nouvelles technologies dans leurs processus afin de gagner en rapidité, efficacité et précision. Pour atteindre ces objectifs, elles se tournent progressivement vers les startups. Les grands groupes sont généralement habitués à travailler avec des PME bien établies, mais beaucoup moins avec de très jeunes entreprises innovantes. L’un des enseignements les plus récents que l’on peut retenir de la collaboration entre grands groupes et jeunes pousses est que démarrer fort ne garantit pas une réussite rapide. C’est pourquoi la solution privilégiée par les grandes entreprises est le POC, de l’anglais Proof of Concept (« preuve de concept » ou démonstration de faisabilité) pour tester la solution innovante identifiée.
Un POC permet aux grands groupes de démarrer rapidement, mais modestement. Le POC implique un engagement très minime, tout en permettant d’évaluer la capacité de la solution à répondre aux attentes du grand groupe et de voir si la collaboration entre les deux parties prenantes peut être envisagée à plus grande échelle. Les POC ont également une utilité pour les startups. Celles-ci sont quatre sur dix à faire faillite au cours de leurs cinq premières années d’existence, en raison d’une part de leur incapacité à attirer des fonds, mais surtout à générer des revenus en faisant l’acquisition de clients. Les POC constituent une opportunité de s’engager rapidement auprès des grands groupes, avec peu de contraintes techniques, et de démontrer la valeur des services d’une startup. Pour un entrepreneur, il est toujours plus simple de négocier un contrat de 10 000 € pour commencer qu’un contrat de 100 000 €.
Au vu des avantages qui se dégagent pour les deux parties, il n’est pas surprenant qu’un nombre plus important que jamais de startups et grands groupes dans de nombreux secteurs entament leur collaboration par le biais d’un POC. Toutefois, la multiplication de ces tests masque un problème essentiel : les startups et les grands groupes cherchent rarement à jeter les bases d’une relation durable au-delà du POC. Or, les deux parties prenantes ne peuvent connaître le succès que si la démonstration de faisabilité via le POC débouche sur un déploiement concret.
La question se pose donc : comment startups et grands groupes peuvent-ils aller plus loin que le POC et bâtir des relations durables ? Pour y répondre, intéressons-nous aux défis que les deux acteurs de la relation doivent relever et au changement de méthodologie qui favorisera leur réussite sur le long terme.
Défi n° 1 : l’inertie (l’inaptitude au changement des grands groupes)
Bien souvent, les grandes sociétés mettent en œuvre des processus historiques qu’elles ont beaucoup de difficultés à faire évoluer. Elles ont beau être de grandes puissances dans leur secteur, elles ne parviennent pas à se détacher de cet héritage (produits, modes de gestion, aspects juridiques, technologies, etc.) pour s’adapter au changement et voir plus loin que le statu quo. Pour prendre le train de l’innovation en marche, certains grands groupes pratiquent le « startup washing » (ils revendiquent l’esprit startup à tout bout de champ) en agitant les POC comme des preuves de leur implication. C’est préjudiciable aux startups, qui ne peuvent survivre en ne lançant que des POC, mais aussi aux grandes entreprises qui ont l’illusion d’innover, alors que la réalité est tout autre. Si leurs dirigeants ne visent pas le long terme et ne font pas preuve de prévoyance, alors les grands groupes risquent de connaître le destin funeste de Kodak, une multinationale autrefois innovante et prospère qui a fait faillite en 2012.
Le changement de culture d’entreprise est peut-être le défi le plus difficile à relever. La direction des grands groupes doit accepter les divers engagements que cela implique : une ambition forte de leur part, un véritable engagement en matière de déploiement de l’innovation, l’acceptation des défis humains et techniques, des investissements considérables, et une refonte des services informatiques (au minimum).
Défi n° 2 : le casse-tête de l’intégration informatique
Tester les services d’une startup sur un segment de taille limitée est un processus relativement simple. La plupart des solutions POC sont « prêtes à l’emploi », avec un minimum de ressources de programmation. Mais déployer et intégrer ces services dans une infrastructure de grande envergure et ancienne, c’est une autre paire de manches. Les grands groupes (mais aussi les startups, à l’occasion) redoutent l’étape du déploiement informatique et reculent devant l’ampleur de la tâche. Il n’existe pas de solution toute faite à ce problème, car les architectures traditionnelles varient d’une entreprise à une autre, de même que les solutions proposées par les startups. Mais il faudrait que grands groupes, startups et tierces parties travaillent ensemble à l’élaboration d’un cadre, un protocole d’intégration, afin de préparer les grands groupes aux changements technologiques à venir, d’une part, et de former les startups à la gestion d’une intégration avec des ressources limitées, d’autre part.
Défi n° 3 : le PoA (Proof of Achievement) ou la définition de KPI adéquats
Des critères de réussite devraient être définis au tout début du lancement d’un POC. Du côté du grand groupe, il faut que les responsables de l’innovation définissent clairement les objectifs ciblés : améliorer l’efficacité, réduire les coûts, générer plus de prospects ou développer de nouveaux produits, par exemple. Ensuite, il faut déterminer les PoA, de l’anglais Proof of Achievement (« preuves de réussite ») du POC. Du côté de la startup, les entrepreneurs devraient pouvoir discuter aisément de ces KPI et dire ouvertement s’ils sont adéquats, et s’il est possible d’en effectuer le suivi efficacement. Une fois le POC finalisé, les deux parties devraient en évaluer ensemble le résultat et en tirer les principaux enseignements. Si les KPI clés ont bien été atteints, elles devraient aborder la question des étapes suivantes pour assurer le déploiement de la solution auprès d’un pool d’utilisateurs plus important, ainsi que sa faisabilité.
Du point de vue purement financier, la phase de déploiement est toujours délicate : par exemple, l’intégration d’un logiciel peut engager des investissements importants pour un grand groupe (modification des systèmes informatiques, formation du personnel…), qui peuvent sembler lourds à court terme. Néanmoins, l’inaction pourrait s’avérer encore plus coûteuse. À long terme, ce changement technologique est susceptible d’améliorer les processus et l’efficacité, ce qui peut se traduire par des économies substantielles.
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Défi n° 4 : l’absence de formalité (le manque de sérieux envers les POC)
Sur le fond, les POC sont faciles à mettre en œuvre, induisent peu de coûts et impliquent peu d’ajustements. Du coup, certains grands groupes n’en attendent guère de résultats. Il n’y a pas de rancune à avoir si un POC ne débouche pas sur un déploiement à grande échelle. Par contre, ne pas prendre le POC au sérieux peut avoir des conséquences négatives. Pour les grands groupes, cela peut vouloir dire qu’ils dépensent un budget qui aurait pu être alloué à d’autres ressources. Cela peut également leur valoir une réputation de « serial POCer » plutôt que de client sérieux auprès de la communauté des entrepreneurs. Pour les startups, les risques sont encore plus grands : elles sont nombreuses à tabler leurs prévisions de croissance sur la quantité et la valeur des POC qui se transforment en partenariats durables, et certaines peuvent être tentées d’investir encore plus de leurs ressources limitées et de leur temps pour prouver leur valeur aux clients, parfois même en créant un dérivé de leur produit de base afin de l’adapter aux besoins du client. Si, au moment de lancer un POC, une startup ne peut établir avec certitude que le grand groupe a l’intention de déployer la solution à l’avenir, il peut être préférable pour la startup d’abandonner le projet, pour sa propre survie. C’est pourquoi il est essentiel de déployer un POC dans le but d’atteindre un objectif à court terme (PoA), afin de pouvoir orienter la discussion vers un partenariat à long terme si cet objectif est atteint.
Défi n° 5 : vers une meilleure compréhension des grandes entreprises
Lorsque l’on parle des relations entre startups et grands groupes, il est généralement admis que ces derniers doivent améliorer leur compréhension de l’approche entrepreneuriale et s’y adapter beaucoup plus. Par contre, on entend rarement dire que les startups ont besoin d’approfondir leurs connaissances sur le fonctionnement des grands groupes. Ceux-ci ne sont pas pressés de modifier leurs processus. C’est donc aux entrepreneurs d’accepter que le retour sur investissement ne se fera pas du jour au lendemain, et qu’il faut plusieurs semaines pour qu’une idée soit étudiée, approuvée par la direction, testée, puis déployée. Pour ceux qui ont déjà fait l’expérience du secteur privé, cela ne devrait pas être un problème. Mais les jeunes entrepreneurs doivent mieux appréhender le monde des affaires s’ils veulent y prospérer.
Pour bâtir des relations durables, startups et grands groupes doivent davantage tenir compte de leurs modèles respectifs. Si l’objectif d’une startup est de se développer à grande échelle et si l’objectif d’un grand groupe est d’innover avec efficacité, alors il est possible de les atteindre en poursuivant la relation au-delà de la phase de POC.
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Head of Ecosystem France d’Early Metrics, Elia Pradel s’intéresse particulièrement aux sujets IA, Blockchain et EdTech.
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