SIS ID x Bpifrance Digital Venture : des premiers pas à l’exit
Fondée en 2016 à Lyon, SIS ID est née d’une problématique très concrète : sécuriser les paiements inter-entreprises face à la fraude au virement. En quelques années, la startup s’est imposée comme un acteur de référence grâce à une croissance saine et une gestion frugale. Soutenue par le fonds Bpifrance Digital Venture à partir de 2020, elle a franchi les étapes clés de sa structuration jusqu’à son rachat en 2025 par Eftsure, un acteur australien.
Laurent Sarrat, CEO de SIS ID et Clarisse Blandin, Directrice d’Investissement chez Bpifrance Digital Venture
Dès 2016, SIS ID se fixe une mission claire : protéger les entreprises contre la fraude au virement, un risque en forte hausse dans le monde des paiements. Après avoir signé ses premiers clients en 2018, la jeune société lève 5 millions d’euros en 2020 auprès de Bpifrance, aux côtés notamment du CVC de BNP Paribas, Opéra Tech Ventures et de business angels historiques. Cette opération marque le début d’une nouvelle phase : structuration financière, recrutement de profils stratégiques et mise en place d’un pilotage plus exigeant.
Cinq ans plus tard, SIS ID a multiplié sa taille, atteint une croissance annuelle de 75 % avec un churn quasi nul et suscite l’intérêt de son concurrent australien, Eftsure, qui finalise son rachat en 2025.
Dans cet entretien croisé, Laurent Sarrat, cofondateur et CEO de SIS ID, revient sur les étapes clés de cette aventure avec Clarisse Blandin, Directrice d’investissement chez Bpifrance, investisseur Bpifrance Digital Venture et accompagnatrice de long terme.
Comment l’idée de SIS ID a-t-elle émergé ? Qu’est-ce qui laissait présager de son potentiel ?
Laurent Sarrat : Je suis ingénieur informatique, un pur produit de l’IT. Après huit ans chez Sanofi, j’ai fini par me sentir un peu enfermé. J’ai donc quitté l’entreprise, mais sans idée précise de ce que j’allais faire. C’est là que j’ai été présenté à Bertrand Laffay (Infolegale) et à l’équipe d’Attestation Légale. Ensemble, ils avaient été sollicités par un client, dont le directeur financier cherchait une solution contre la fraude au virement. Ils ont alors sondé leurs clients sur cette problématique : une quinzaine de grands groupes étaient intéressés. C’est avec eux que l’aventure SIS ID a commencé. J’ai pris en main la partie technologique. J’avais 46 ans, quatre enfants, et c’était ma première expérience entrepreneuriale.
Clarisse Blandin : Ce qui m’a intéressée dès le départ, c’est justement cette genèse atypique. Beaucoup d’investisseurs peuvent être refroidis par une histoire qui ne part pas d’un “CEO fondateur visionnaire”. Moi, j’y ai vu la preuve que le problème existait vraiment. De plus, dans mes recherches, j’avais identifié cette problématique et constaté qu’il y avait très peu de concurrence, donc un vrai terrain de jeu.
Pourquoi une levée de fonds en 2020 ?
Laurent Sarrat : En 2018, nous avions signé nos premiers clients. Mais en 2020, nous stagnions à environ 160 000 euros d’ARR et le cash commençait à manquer. J’étais convaincu que nous adressions un vrai problème business, avec un marché réel, bien au-delà de la France. Nous avons donc décidé de lever des fonds pour nous donner les moyens de nos ambitions.
Clarisse Blandin : Le dossier est arrivé via Blueprint Partners, un leveur de fonds de qualité. Dès le départ, j’avais un a priori positif : un marché porteur, une problématique forte, un partenariat de distribution avec BNP déjà signé. Ce qui a fini de me convaincre, ce sont les barrières technologiques à l’entrée : la capacité de SIS ID à capitaliser sur toutes les transactions vérifiées et à s’intégrer profondément dans les systèmes des clients. Il y avait un vrai actif technologique et une équipe qui laissait présager d’une bonne qualité d’exécution.
Pourquoi avoir choisi Bpifrance comme investisseur ?
Laurent Sarrat : Je voulais absolument avoir une grande banque européenne au capital. C’était clé dans notre métier. BNP était déjà partenaire et avec Bpifrance, je savais que je pourrais aussi bénéficier d’un accompagnement structurant. Et puis le contact avec Clarisse a beaucoup compté. Pour un fondateur, la relation avec l’investisseur qui va vous suivre pendant des années est déterminante.
Clarisse Blandin : Laurent était très solide dans ses échanges. Même si l’entreprise était encore petite, il répondait de façon précise et rigoureuse et donnait confiance. On sentait qu’il mettrait toute son énergie pour mener à bien ce projet.
Comment s’est passée la phase post-levée ?
Laurent Sarrat : Après la levée de 5 millions d’euros, je me suis rendu compte que tout était à structurer : la finance, le codir, le reporting… L’un de mes associés est parti et je suis passé de CTO à CEO quasiment du jour au lendemain, en pleine crise Covid, avec dix personnes dans l’équipe. Je me sentais sous-dimensionné pour le rôle. J’ai fait le choix de recruter des jeunes à potentiel plutôt que des profils expérimentés, mais cela signifiait que j’apprenais en même temps qu’eux. Le board était exigeant, mais toujours juste. Cette exigence a changé ma vie et ma manière de diriger.
Clarisse Blandin : Effectivement, il y avait tout à construire. Mais Laurent a eu une gestion très saine : il n’a pas gaspillé l’argent et l’entreprise est restée frugale. Avec Bpifrance, nous avons aidé sur des recrutements stratégiques et accompagné la structuration financière. J’ai passé du temps avec le RAF recruté à ce moment-là pour mettre en place les bons réflexes. Ça n’a pas toujours été simple, mais cette rigueur a payé : quelques années plus tard, lors de l’audit d’exit, la société était exemplaire.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Laurent Sarrat : Nous avons enchaîné plusieurs années à plus de 70 % de croissance, avec un churn quasi nul. Nos clients sont restés très fidèles et satisfaits. Et surtout, nous avons toujours consommé très peu de cash. Cet équilibre entre croissance et frugalité a fait notre force.
Clarisse Blandin : C’est ce qui a rendu SIS ID très attractif : une entreprise efficace, qui ne dilapide pas ses moyens et qui reste focus sur la création de valeur pour ses clients.
Quel rôle a joué le Hub de Bpifrance ?
Laurent Sarrat : Le Hub nous a beaucoup aidé sur la cohésion et l’approche commerciale. On a participé à des séminaires avec d’autres entrepreneurs, ce qui m’a permis de rompre la solitude du dirigeant. Ils ont aussi organisé un team building avec l’équipe SIS ID pour formaliser notre vision et nos objectifs. Et ils nous ont challengé sur notre discours commercial. C’est un accompagnement unique que je n’ai pas retrouvé avec d’autres investisseurs.
Comment est arrivé l’exit en 2025 ?
Laurent Sarrat : Nous avions eu quelques échanges rapides 18 mois plus tôt avec des partners du fonds américain Level Equity qui détient Eftsure mais nous étions encore un peu en dessous de leur taille de cible idéale. Un an plus tard, ils sont revenus vers nous et tout est allé très vite : quelques semaines entre la première discussion et la signature. C’est une opération qui a été intéressante à tous points de vue. Financièrement, certes, mais surtout parce que le projet proposé est porteur pour les salariés comme pour les clients.
Clarisse Blandin : L’opportunité est arrivée plus vite que prévu. Nous nous étions dit dès le départ que l’histoire ne durerait pas dix ans, mais là, la sortie s’est présentée naturellement. L’offre était cohérente et attractive et le projet industriel faisait sens. Les investisseurs comme le dirigeant étaient satisfaits. Et surtout, c’était une belle reconnaissance : ce n’est pas toujours la plus grosse startup ni celle qui a levé le plus qui attire un acquéreur international, mais parfois celle qui a su rester la plus efficace.
Quelle leçon tirez-vous de cette aventure ?
Laurent Sarrat : Pour moi, une entreprise est faite pour gagner de l’argent, pas pour en brûler. Nous avons toujours gardé cet équilibre entre fonds investis, valeur créée et satisfaction des clients. C’est ce qui a permis de bâtir une société solide et de réussir cet exit.
Clarisse Blandin : Cet accompagnement m’a confortée dans mon approche : je préfère des trajectoires de croissance saines et frugales à l’hypercroissance financée à perte sur des modèles parfois structurellement non rentables. SIS ID en est la preuve : avec peu de capitaux, la société a su créer beaucoup de valeur.
Antoine Sternchuss