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À l’instar d’autres secteurs paralysés par la crise, le monde du spectacle peine à retrouver son rythme. Une fébrilité qui s’accompagne aussi de nouvelles attentes des aficionados des concerts, festivals et autres rassemblements culturels. Bercés intensivement au streaming pendant deux ans, les spectateurs élèvent d’ores et déjà leurs standards. Quelles conséquences pour les acteurs historiques du monde du spectacle ? Si la crise a fragilisé le secteur, elle apporte aussi son lot de nouvelles opportunités comme en témoigne Aurélien Linz, Co-founder et CEO de Minuit Une, concepteur et producteur de lumières scéniques nouvelle génération dont Bpifrance détient une participation.
Le constat est sans appel : 73% des personnes déclarant se rendre au moins une fois par an en concert n’y sont pas retournées depuis la réouverture des lieux de spectacle en juillet dernier. Pis, 52% des interrogés disent encore craindre la fréquentation de lieux clos. Il se pose donc une réelle question de viabilité des lieux de spectacle sur le moyen-terme. Pour Aurélien Linz, le retour dans les salles de concert passera nécessairement par une offre en adéquation avec les inquiétudes et nouvelles exigences des spectateurs.
Le monde du spectacle est mort. Vive le monde du spectacle !
“Fermé en premier, rouvert en dernier”: secteur sinistré s’il en est, le spectacle vit aussi “une période très intéressante. C’est toujours les moments les plus difficiles qui demeurent les plus riches d’enseignements ». Optimiste et résilient, Aurélien Linz semble plutôt serein quant à la suite : “ depuis 40 ans, nous connaissons les grandes heures de la musique pop et des tournées toujours plus impressionnantes qui impliquaient de nombreux jours passés sur les routes. Les spectateurs étaient habitués à suivre puis tout s’est arrêté. Lorsque les habitudes se rompent, il n’y a jamais de retour à la normale”.
Qu’attendre de cette renaissance annoncée ? “ Faire repartir l’industrie implique de comprendre les nouvelles attentes du public qui a été abreuvé de sons et d’images avec le streaming. Le seul moyen d’attirer de nouveau du monde dans les salles est de créer une expérience live où l’on dépasse le bon son ou le visuel pour ressentir et vivre le moment”.
Le salut pourrait ainsi venir de spectacles plus immersifs où chaque participant ne se contente pas de regarder mais bien de se sentir pleinement immergé. Des fabricants français se positionnent d’ores et déjà sur le créneau d’expériences sonores plus immersives, seulement accessibles en salle.
L’aspect scénographique pourrait bien faire l’objet d’une attente toute particulière dans les salles de taille moyenne, jusqu’ici peu dotées de vecteurs d’expérience sonore et visuelle : “ À Bercy, la lumière est très importante mais les spectateurs ne cherchent plus spécialement à se rendre dans ce type de salle. Dans la recherche de l’interaction avec l’artiste, il est temps de créer de nouvelles expériences dans des lieux à taille humaine”.
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L’impact environnemental gagne aussi l’industrie du spectacle
Plutôt caractérisé par une forte empreinte environnementale, le monde du spectacle semble aussi connaître sa mue. Partir en tournée équivaut à mettre plusieurs camions sur les routes mais aussi utiliser une part non négligeable d’énergie pour assurer des shows toujours plus grandioses, sur le plan artistique autant que technologique: “ jusqu’à présent, nous étions dans la logique du more & more. Plus les jauges étaient grandes, mieux c’était. On classait un artiste à sa capacité à remplir les salles. Cette manière de penser poussait à faire toujours plus, au détriment des conditions de travail de l’humain mais aussi de l’environnement”.
Un rythme infernal qui a mis à mal la vie de plusieurs milliers d’intermittents du spectacle pendant des années. Lassés, ces derniers ne sont d’ailleurs pas totalement revenus au travail comme l’explique Aurélien Linz : “ avec la crise, beaucoup ont changé de filière. A l’instar des métiers de la restauration, il faut être passionné pour supporter des conditions de travail très compliquées”.
Le changement est aussi radical sur les questions environnementales : “ nous n’avons jamais été autant questionnés sur nos produits ! Producteurs, artistes, etc., tout le monde se préoccupe aujourd’hui de l’empreinte carbone d’un show.” Comme le souligne Aurélien Linz, il semble y avoir un “avant/après”. Par conviction, certains artistes pouvant se targuer de remplir des grandes salles décident de faire plus de dates dans des salles à taille humaine.
“Les attentes du public en termes d’expérience et de proximité avec l’artiste corrobore le principe de sobriété environnementale. Selon la dernière étude du Shift Project, sur la base d’un nombre de spectateurs identiques, 10 show dans 1 salle standard auront une empreinte carbone totale moindre qu’un seul show de (très) grande envergure »
Face à cette convergence de facteurs, il est aussi question de prendre en compte les attentes des nouvelles générations comme le souligne le CEO de Minuit Une “ Il est temps de se mettre en ordre de marche face à des publics plus attentifs. Les festivals l’ont d’ailleurs déjà bien compris. Toilettes sèches, consigne, etc. : les habitudes autour d’un impact environnemental moindre sont déjà ancrées”.
La guerre digitale versus physique n’aura pas lieu
“Avant le Covid, il suffisait quasiment de faire entrer le spectateur dans une salle pour le satisfaire. Ce temps est révolu. Aujourd’hui, la première expérience de spectacle a souvent lieu en ligne. Les référentiels sont complètement différents.” Une petite révolution si l’on en croît Aurélien Linz.
Cependant, pas question pour ce dernier de “mettre les deux mondes en compétition. Le streaming est un outil notamment pour les artistes qui peuvent l’utiliser comme levier de création. Cela induit un nouveau rapport de force”.
Face à de nouvelles synergies révélées par la crise du Covid, l’écosystème évolue faisant bénéficier les acteurs nouvelle génération de nouvelles demandes : « on atteint aujourd’hui la maturité qu’on aurait pas espéré obtenir avant au moins 5 ans.”
A l’ère du less is more, tous les acteurs prennent conscience de la nécessaire évolution. C’est le cas par exemple des prestataires techniques de l’événementiel qui semblent changer de politique d’investissement : “là on l’on passait automatiquement par du renouvellement, on passe aujourd’hui par la recherche de produits innovants, moins gourmands en énergie et donc plus économiques à terme”.
Innovations, nouvelles attentes du public, impact environnemental, etc. : le monde du spectacle vivant sinistré a d’ores et déjà entamé sa transformation. Un gage de nouveaux développements pour les entreprises telles que Minuit Une qui réalise près de 90% de son chiffre d’affaires à l’international.
Chargé des contenus au Hub de Bpifrance, Robin Pineau est spécialiste des stratégies de marques et des approches éditoriales.