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Les Clubs Métiers du Hub sont une initiative née de la volonté de créer un savoir commun au sein des startups investies par les fonds d’investissement en capital risque de Bpifrance. Le principe est simple : réunir des experts d’un même métier pour croiser les points de vue et les pratiques. Le Club Produit a été initié en janvier 2021 par notre Operating partner Octave Letellier.
Bien que les équipes produit n’aient pas souvent le pouvoir de décision sur le pricing, ce dernier suscite des interrogations légitimes : quel est l’impact du pricing sur l’expérience globale ? Sur quelles métriques s’appuyer ? Doit-on choisir un modèle de facturation forfaitaire ou à l’usage ? Si certains patterns demeurent incontournables dans l’univers du SaaS, définir le bon modèle de pricing ne consiste pas à dupliquer ce qui existe.
Le Club Produit du Hub s’est réuni autour d’Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners et Pauline Vertpillat, Lead PMM chez MeilleursAgents pour discuter packaging et pricing dans les entreprises Tech. Découvrez dans cet article tous les insights pour élaborer un duo produit/pricing au service d’une stratégie land & expand.
1. POURQUOI STRATÉGIE DE PRIX ET PRODUIT SONT INTIMEMENT LIÉS
S’atteler à la stratégie de prix d’un produit intègre deux principales composantes :
- la compréhension des besoins des utilisateurs du produit pour packager des offres et bien allouer les fonctionnalités en fonction des attentes clients. Cette première réflexion mène à prioriser les actions de la roadmap.
- la bonne appréhension du duo prix/produit pour fixer une méthode de pricing : choisir le modèle et les métriques associées implique forcément de s’interroger sur la valeur du produit auprès des clients cibles, et ainsi définir les bons prix sur les bons packages.
2. COMMENT STRUCTURER UN BUSINESS MODEL SAAS ?
A l’heure où l’on s’interroge sur la création d’un modèle de croissance de revenu récurrent durable, on doit pouvoir agir sur ces trois leviers :
- l’acquisition ou comment obtenir le maximum de clients : c’est bien souvent un objectif majeur lors du lancement. Avec des prix attractifs au regard de la valeur du produit, l’idée est aussi d’être très compétitif par rapport aux concurrents.
- la monétisation ou comment se mettre en capacité d’extraire de la valeur. A ce stade, il n’est pas forcément question d’augmenter les prix de manière massive mais de réfléchir à la création d’un chemin d’upsell vertueux, avec des offres différenciées qui peuvent permettre des prix attractifs en entrée de gamme d’une part, et de bien extraire la valeur pour les offres plus haut de gammes destinées aux clients aux besoins plus sophistiqués et à plus forte volonté de payer.
- enfin, la rétention ou comment faire en sorte de minimiser son churn : si l’acquisition marche très fort, mais qu’après 3 mois 60% des utilisateurs sont partis, il y a un problème au niveau du produit et/ou du modèle et des niveaux de prix. Là encore, un diagnostic et une réflexion conjointe sur la proposition de valeur et le prix s’imposent. Au-delà de ces situations extrêmes, le modèle de prix peut être un levier puissant pour agir sur l’engagement et la ‘net revenue retention’, en créant les bonnes conditions pour une croissance organique du revenu.
Une fois ces trois leviers identifiés, comment les concilier sans avoir à choisir l’un plus que l’autre pour définir le pricing ?
Trois grands thèmes sont à aborder :
1. le packaging ou comment structurer son offre : en s’attachant à bien comprendre les besoins des clients, on peut bien calibrer sa proposition de valeur avec différents niveaux d’offres et ainsi développer à la fois l’acquisition et l’upsell.
2. le modèle de prix, au carrefour de l’acquisition et de la rétention. Deux notions s’appliquent ici : comment partager le risque et comment facturer en fonction de la valeur délivrée. Est-ce qu’il faut facturer de manière mensuelle ou annuelle ? Faut-il donner de la visibilité sur le budget en fonctionnant de manière forfaitaire, ou à l’usage pour de plus petites entreprises qui ne savent pas encore comment elles vont utiliser le produit ?
En réfléchissant bien à ces notions, le cercle vertueux se met en place. Le bon calibrage du modèle de prix permet de délivrer plus de valeur et donc plus de revenus.
3. enfin, la définition des bons niveaux de prix. Si le packaging et le modèle de prix ont été bien pensés et sécurisés, le niveau de prix est beaucoup plus facile à ajuster.
« Deux clés pour un bon pricing : éviter une offre monolithique, dès lors que l’on commence à acquérir des clients avec des besoins différenciés, et définir un modèle de prix qui permette de s’inscrire dans les logiques budgétaires client tout en intégrant des leviers de croissance organique.«
Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners
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3. QUELS SIGNAUX POUR DÉTECTER UN POTENTIEL DE VALEUR NON EXPLOITÉ ?
Dans une démarche d’optimisation de la structure d’offre produit et de stratégie de pricing, certains signaux doivent être pris en considération :
1/ L’acquisition est laborieuse, on ne vous dit jamais oui
2/ L’acquisition est au contraire trop simple, on ne vous dit jamais non. Si le taux de conversion explose, la valeur délivrée n’est pas en adéquation avec le prix.
3/ La répartition de vos clients est biaisée ou désordonnée. Admettons que vous ayez trois niveaux d’offres : si la majorité des clients détiennent l’offre de base, la valeur délivrée sur cette dernière est peut-être trop importante. Autre cas de figure : l’écart de prix entre la première offre et la deuxième freine vos clients.
A l’inverse, si la grande majorité des utilisateurs utilisent l’offre premium, il est possible qu’il y ait de nouveau une problématique de prix trop bas ou qu’il faille encore travailler le haut du line up pour une offre encore plus sophistiquée.
Enfin, vous devez pouvoir identifier une certaine homogénéité des besoins clients derrière chaque offre. Une bonne segmentation permet aux utilisateurs de visualiser une montée en gamme claire.
4/ Vous n’arrivez pas à faire monter en gamme vos clients existants, ni développer leur valeur. Dans le temps, réussissez-vous à faire passer vos utilisateurs d’une offre de base à une version plus sophistiquée ? Vendez-vous des modules supplémentaires ou du service ?
« Une segmentation des clients en fonction de leurs besoins est clé pour définir la bonne structure d’offre.«
Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners
4. COMMENT OPTIMISER SA STRUCTURE D’OFFRE ?
Trois étapes sont nécessaires pour améliorer sa structure d’offre :
1/ Comprendre et s’appuyer sur les besoins clients
C’est la clé de voûte de l’optimisation. Lors de l’accompagnement d’une marketplace sur des sujets de packaging et de pricing, les consultants de Simon Kucher & Partners ont analysé les besoins clients. De manière assez macro, l’étude fait ressortir que le prix est le premier critère pris en compte. Or, appréhender les attentes clients à travers la lecture d’un client moyen ne suffit pas : l’idée est bien d’aller plus loin en identifiant des segments plus granulaires pour maximiser son offre.
Dans le cas de cette marketplace, quatre segments clients apparaissent. Certains cherchent le meilleur produit et la meilleure qualité tout en conservant un œil sur le prix. D’autres sont beaucoup plus sensibles à la rapidité et à la délivrabilité, faisant passer le produit au second plan. Enfin, certains clients accordent beaucoup d’importance au produit ainsi qu’au service et moins au prix.
« Partir des besoins clients pour prioriser et structurer est clé pour construire une offre produit pertinente, plutôt que de servir un client moyen…qui n’existe pas.«
Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners
2/ Sélectionner la bonne approche pour structurer l’offre
Plusieurs options existent pour packager son offre, de la plus simple mais aussi moins flexible pour un produit monolithique, le fameux All-you-can-eat utilisé par Spotify, au plus flexible et complexe sur des produits ultra personnalisés chez Azure.
Néanmoins, deux modèles prédominent le marché du SaaS :
- Good/Better/Best : l’offre présente de plus en plus de fonctionnalités, un service de mieux en mieux calibré, etc. Cette option permet aux clients d’identifier clairement le chemin d’upsell et de se positionner en fonction de leurs besoins et budget. Résultat : le cycle de vente s’accélère avec une offre d’entrée acceptable qui ouvre la voie aux offres suivantes.
- Platforms + Add-ons : l’offre présente de facto des fonctionnalités et de nombreuses options sont proposées. Ce modèle est à privilégier lorsque certains modules ou fonctionnalités s’adressent à une ou plusieurs niches de clients mais pas à la majorité.
Il est possible d’avoir des modèles hybrides avec une base de Good/Better/Best et une logique Add-Ons.
3/ Bien allouer les composantes de l’offre au sein de la structure
Pour bien comprendre sur quel fonctionnalité jouer pour packager son offre, on peut reprendre la méthodologie Leader/Filler/Killer à travers l’exemple d’un menu McDonalds :
- la fonctionnalité Leader ou le produit à forte valeur que la majorité des clients veut ou doit acheter, en l’occurrence le Big Mac.
- les fonctionnalités Fillers ou les produits de valeur moyenne que la majorité est “heureuse d’avoir” mais qui n’auraient pas forcément tous été pris si séparés du Big Mac. Toutefois, intégrés au package, cela en fait croître la valeur.
- la ou les fonctionnalités Killers peuvent avoir un effet repoussoir pour une large part des clients cibles : ainsi, ajouter un café dans le menu Mc Do en diminuerait les ventes.
Pour Structurer son offre, on peut ainsi capitaliser sur la perception interne des fonctionnalités en se demandant par exemple si une fonctionnalité doit être plus mise en avant pour acquérir de nouveaux clients ou, au contraire, être exploitée dans un chemin d’upsell. En complétant cet exercice par une phase de recherche sur la vision client, cela permet de voir ce qu’il est pertinent ou dangereux d’associer dans un package, et comment allouer les fonctionnalités entre les différents niveaux d’offre de façon optimale.
4/ Réfléchir sur les bonnes mécaniques d’engagement client pour amorcer un cycle “land & expand”
Comme dit précédemment, si l’objectif premier est d’acquérir le plus de clients possible, la seconde étape réside dans la meilleure manière de faire croître la valeur de ces comptes. C’est à ce moment-là que se pose la question du freemium.
5. COMMENT BIEN MAÎTRISER SON OFFRE FREEMIUM ?
Trois étapes essentielles doivent vous permettre de vous positionner sur le sujet de l’offre freemium :
1/ Est-ce que ce modèle est adapté à votre business ? Pour le savoir, il y a plusieurs questions à se poser :
- Etes-vous capable d’offrir un service à coût réduit ? Pour une entreprise comme Dashlane, le coût d’un utilisateur supplémentaire n’impacte pas leur Business Model ce qui n’est pas le cas pour Botify, un logiciel d’optimisation du SEO. La mise en place du temps machine et les capacités de calcul constituent de vrais coûts.
- Quel est le potentiel de votre service ? La valeur de ce dernier augmente-t-il avec l’usage? Pouvez-vous monétiser vos services y compris auprès des utilisateurs du freemium ?
- Votre produit peut-il générer une sorte de viralité ? Un vrai niveau d’adhérence ?
- Avez-vous un chemin d’upsell clair et attractif pour faire évoluer les utilisateurs vers une option payante ?
- Enfin, avez-vous des garde-fous pour limiter voire empêcher le gaming de votre système ?
2/ Comment différencier l’offre freemium de vos offres payantes ?
Le principe de l’offre freemium peut résider dans la limitation des fonctionnalités à l’instar de Slack ; de l’usage et de la capacité des fonctionnalités, modèle choisi par Zoom; des services additionnels type support (Heap Analytics) ou encore la période de temps (Pipedrive).
« Le free trial est pertinent si la valeur de la solution réside dans son exhaustivité et si la compréhension et perception de la valeur du produit par le client est suffisamment rapide.«
Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners
3/ Penser en amont la conversion du freemium au payant
Pour cela, il convient de : créer un chemin d’upsell clair, jouer avec le fencing (avec la limite sur l’usage, les capacités, les fonctionnalités) et ancrer les prix en les justifiant par un certain niveau de service.
6. Quel price model pour stimuler la croissance ?
Trois éléments sont à prendre en compte pour concevoir un modèle de prix efficace :
1/ Choisir la bonne métrique de prix ou sur quelles unités de base facturer ?
Trois grandes familles de métriques sont envisageables :
- service input : est-ce que vous souhaitez facturer à l’utilisateur ?
- service output : est-il préférable de facturer à l’activité du client, autrement dit l’usage ?
- service commercial output : est-ce que vous envisagez d’utiliser le bénéfice client pour facturer ?
« “Pour qu’une métrique soit bonne, il faut qu’elle soit comprise et jugée en ligne avec la valeur par les clients, mais aussi mesurable pour qu’il n’y ait pas de débat.«
Alix Nepveux, Partner chez Simon Kucher & Partners
2/ Jouer sur la formule de prix
L’idée est de s’interroger sur l’évolution du prix en fonction de la métrique : est-ce que vous souhaitez fonctionner de manière forfaitaire ? Est-il préférable d’être purement à l’usage ? quels entre-deux pertinents ?
L’enjeu ici est de définir le bon modèle pour s’inscrire dans les logiques budgétaires des clients cibles, tout en ménageant des opportunités de croissance en cas de croissance de l’usage. Quelques possibilités :
- Pay As You Go : la facturation se fait 100% à l’usage ;
- Bi-dimensionnel avec un système d’abonnement et de paiement à l’usage ;
- Hockey Stick : avec un modèle de package et de paiement à l’usage, on offre de la visibilité notamment dans le cadre de contrats pluri-annuels ;
- Prix fixe évolutif : année après année, on adapte progressivement le prix à l’usage.
- Prix fixe : ce système facilite l’acquisition et évite les frictions à l’usage surtout quand la métrique de prix n’est pas ou peu prédictible… mais rend plus difficile l’expansion
Amené à scaler, les modèles de prix peuvent toutefois rencontrer certains écueils :
- s’il y a peu d’opportunités d’évolution des prix dans le temps pour un client donné ou une capacité d’upsell limitée ;
- dans le cas d’un décalage entre les besoins et la valeur délivrée : les métriques ne sont alors pas alignées avec la perception de la valeur du produit par le client. Typiquement, si vous aidez à l’optimisation de la Supply Chain et que vous facturez à l’utilisateur, vous faîtes probablement fausse route, le gain de productivité apporté par votre solution étant voué à réduire le nombre d’utilisateurs !
- le pricing est trop complexe et peu transparent : les métriques sont trop granulaires ce qui rend les prix imprévisibles ou limite l’utilisation par les clients.
Chargé d’accompagnement des startups du portefeuille de Bpifrance, Octave Letellier apprécie tout particulièrement la product centricité et beer excentricité. Il est co-instigateur de la Product Week et porte les sujets du club métier Product.