L’impact du second choc chinois sur l’économie européenne
L’année 2025 a débuté sous le signe d’une incertitude économique croissante, marquée par les tensions géopolitiques et les défis industriels majeurs en Europe. Découvrez notre analyse.

L’impact du second choc chinois sur l’économie européenne
L’année 2025 a débuté sous le signe d’une incertitude économique croissante, marquée par les tensions géopolitiques et les défis industriels majeurs en Europe. Alors que l’intelligence artificielle offre des perspectives prometteuses, la réalité économique reste marquée par une pression déflationniste venue d’Asie et une concurrence exacerbée des industries chinoises.
Pour mieux comprendre ces dynamiques et leurs implications pour l’avenir, Frenchfounders organisait le 12 mars dernier à Paris un événement dédié aux perspectives mondiales, centré sur le second choc chinois, avec comme invité David Baverez, investisseur basé à Hong Kong depuis 2012 et spécialiste des transformations liées à la « Nouvelle Chine ». Auteur de Bienvenue en économie de guerre ! (2024) et membre du Comité stratégique d’Asia Centre, il analyse depuis plusieurs années les mutations économiques et industrielles à l’œuvre en Asie.
Dans cet article, notre partenaire Frenchfounders revient sur les principaux enseignements de son intervention, et sur ce que ces bouleversements signifient pour l’Europe et ses entreprises, en particulier pour les CFO.
Une crise économique structurelle
Un phénomène inattendu en 2024 est l’accélération de la « japonisation » de l’économie chinoise, c’est-à-dire une stagnation économique accompagnée de déflation. Initialement, on pensait que la Chine échapperait à ce phénomène grâce à sa main-d’œuvre active et dynamique, contrairement au Japon vieillissant. Pourtant, la déflation chinoise se manifeste rapidement en raison de deux facteurs :
1. Une crise immobilière d’une ampleur inédite
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Le secteur immobilier représentait 20% du PIB chinois (contre 10% aux États-Unis lors de la crise des subprimes en 2008).
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Contrairement aux crises occidentales où l’État ou les banques assument une partie des pertes, en Chine les institutions ne paient pas (ni l’État, ni les banques, ni les assureurs, ni les municipalités). Seule la population chinoise absorbe les pertes.
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Les ménages chinois, ayant investi 70% de leur épargne dans l’immobilier, subissent une chute de leur patrimoine, avec des baisses de 40% à 60% dans certaines zones.
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2. Un impact direct sur la consommation et le marché du travail
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La baisse des prix de l’immobilier détruit la richesse des ménages, les rendant plus frileux à consommer.
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Avec 200 millions de travailleurs migrants auparavant employés dans le secteur immobilier, une pression importante s’exerce sur le marché du travail, entraînant une baisse des salaires.
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Dans ce contexte, il devient difficile d’espérer une relance de la consommation intérieure, ce qui accentue la spirale déflationniste.
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Ce ralentissement affecte plusieurs secteurs, notamment celui des cosmétiques, qui est souvent un bon indicateur de la santé économique globale :
« Les experts estiment que ce marché pourrait enregistrer une contraction de 4 à 6 %. »
Le second choc chinois et l’innovation accélérée
L’un des principaux moteurs de cette déflation est le choc chinois, qui se manifeste par une accélération de l’innovation, notamment dans l’industrie automobile.
Lors du dernier salon de l’automobile de Paris, environ un tiers des stands étaient occupés par des marques chinoises proposant des véhicules électriques à des prix défiant toute concurrence. Par exemple, la Renault 5 électrique est vendue à 35 000 euros, tandis que BYD propose un modèle similaire pour seulement 10 000 euros.
Ce phénomène résulte de la stratégie agressive de production chinoise, largement subventionnée par l’État. En Chine, contrairement à l’Europe, les municipalités tirent davantage de revenus des taxes sur la production que sur la consommation. Cela crée une concurrence entre les provinces, chacune cherchant à maximiser sa production industrielle pour capter ces revenus fiscaux.
Par exemple, dans l’industrie automobile, cela se traduit par une course effrénée entre les provinces chinoises pour produire des véhicules électriques en masse, bénéficiant ainsi des taxes sur la production et des subventions d’État. Ce modèle favorise une surproduction qui inonde le marché mondial avec des véhicules chinois à des prix ultra-compétitifs.
Une économie de guerre basée sur la production
L’économie chinoise a évolué d’un modèle centré sur la consommation à un modèle axé sur la production. Cette transition a été facilitée par des politiques de subvention massives et une organisation industrielle orientée vers l’exportation. L’objectif du gouvernement chinois n’est plus seulement la croissance du PNB, mais plutôt l’augmentation du surplus commercial et la création d’une dépendance économique mondiale vis-à-vis de la Chine.
Avant la pandémie, la Chine détenait 30 % des parts du marché industriel mondial. Pendant le Covid, en confinant sa population tout en maintenant son industrie en activité, elle a réussi à augmenter cette part à 35 %. Aujourd’hui, l’objectif affiché est d’atteindre 45 % d’ici 2030. À ce stade, pratiquement tous les biens manufacturés dans le monde passeraient à un moment ou un autre par la Chine, conférant à Pékin un pouvoir stratégique immense.
Les chiffres sont éloquents : le surplus commercial chinois atteint 1 000 milliards de dollars, alors que la France affiche un déficit de 50 milliards avec la Chine. De plus, ce surplus industriel dépasse en réalité 1 800 milliards de dollars, compensé par un déficit de 800 milliards dans le secteur des services.
L’objectif de Pékin n’est plus simplement la croissance économique mais la création d’une dépendance mondiale à ses industries. Si la Chine contrôle une part écrasante de la production, elle pourrait un jour influencer les prix ou restreindre l’accès aux biens stratégiques. Cette dépendance est au cœur de sa « guerre économique ».
Les défis pour les entreprises européennes
Face à cette situation, les entreprises européennes doivent adapter leurs stratégies. Quatre options principales se dessinent :
1. Faire face à une entreprise d’État subventionnée : Dans certains secteurs, comme l’automobile, la concurrence est biaisée en raison des subventions massives allouées par le gouvernement chinois. Par exemple, les subventions cumulées pour 30 millions de véhicules électriques en Chine s’élèvent à 250 milliards de dollars, soit environ 10 000 dollars par voiture. Une telle distorsion rend la concurrence extrêmement difficile pour les entreprises européennes.
2. Créer des joint-ventures stratégiques : Certaines entreprises européennes choisissent de s’associer avec des entreprises d’État chinoises (SOI) pour atténuer les risques. En intégrant un partenaire étranger dans leur gouvernance, ces SOI peuvent également se prémunir contre d’éventuelles pressions gouvernementales. De nombreuses sociétés européennes ont ainsi pu conclure des accords très avantageux.
3. Adopter une approche défensive : D’autres entreprises, notamment dans le luxe, choisissent de ne pas affronter directement le marché chinois. Elles privilégient une montée en gamme et un renforcement de leur bilan financier à travers des financements bancaires locaux.
4. S’appuyer sur des partenariats avec le secteur privé chinois : Certaines sociétés, comme Stellantis, ont adopté une stratégie fondée sur des alliances avec des entrepreneurs chinois indépendants, qui cherchent eux-mêmes à réduire leur dépendance vis-à-vis du gouvernement chinois. Ces partenariats permettent d’exploiter le savoir-faire chinois tout en conservant une certaine autonomie.
Une Europe confrontée à des enjeux majeurs
L’Europe doit faire face à plusieurs défis simultanément : la compétitivité industrielle, la déflation importée et la souveraineté technologique. En parallèle, elle doit composer avec une alliance croissante entre la Chine et la Russie et une relation économique de plus en plus complexe avec les États-Unis.
Dans ce contexte, le rôle de Bruxelles devient crucial. David Baverez explique notamment que la Chine n’a pas détruit l’industrie automobile européenne, mais que l’Europe s’est elle-même auto-détruite en favorisant des choix politiques désastreux.
L’absence de vision stratégique à Bruxelles, notamment en raison du droit de veto des 27 États membres, est elle aussi dénoncée. Ce système empêche toute décision ambitieuse et rend impossible une réponse coordonnée aux défis industriels et technologiques.
Une nouvelle approche inspirée de l’Asie ?
Face à cette situation, l’Europe pourrait s’inspirer du modèle de gouvernance de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN ou ANASE).
« L’ASEAN, ce sont dix pays qui n’ont rien à voir sur le plan culturel, géographiquement ils sont espacés, du point de vue politique il n’y a que des régimes totalement différents. Leur gouvernance repose sur un principe simple : si tu as une bonne idée, on l’applique, sans qu’un droit de veto ne bloque tout » résume David.
Cette approche pragmatique pourrait être une source d’inspiration pour Bruxelles.
Et pour les CFOs ?
Pour les CFO, cette conjoncture exige une réévaluation en profondeur des stratégies financières. L’incertitude économique, conjuguée aux pressions déflationnistes et aux bouleversements industriels induits par le second choc chinois, impose de renforcer la résilience des entreprises. Il est primordial d’adopter une gestion agile de la trésorerie et de diversifier les sources de financement afin de pallier les risques liés aux fluctuations du marché.
Par ailleurs, les CFO doivent jouer un rôle stratégique dans l’identification et l’intégration de partenariats ciblés — qu’ils soient internationaux ou régionaux — pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement et optimiser l’investissement dans l’innovation. La mise en place d’un monitoring renforcé des risques macroéconomiques et géopolitiques permettra, en outre, de mieux anticiper les impacts potentiels sur les bilans et d’ajuster rapidement les plans d’action pour garantir une compétitivité durable.
En conclusion ? L’Europe est à un tournant. Face à une Chine qui impose son modèle de production et une désindustrialisation préoccupante, elle doit revoir sa stratégie et s’inspirer de modèles plus agiles comme l’ASEAN.
Les choix faits aujourd’hui détermineront si l’Europe reste un acteur majeur de l’économie mondiale ou si elle devient totalement dépendante des puissances industrielles étrangères.
Emilienne Simonnet