L’hydrogène, une nouvelle passion française ?

9 min

Annonces présidentielles, inaugurations de sites de production, signatures de partenariats à l’export… Ces dernières semaines, la filière française de l’hydrogène a été au cœur de l’actualité. Retour sur cette dynamique et sur les belles perspectives de croissance des start-ups tricolores du secteur.

033837c4 Cdc8 4cf8 B85f 208d03eeb329

“Les promesses de l’hydrogène”, “Le grand défi de l’industrie française”, “L’hydrogène vert peut-il remplacer le pétrole ?”…

Il suffit de jeter un rapide coup d’œil aux titres de la presse professionnelle et généraliste des dernières semaines pour mesurer combien l’énergie hydrogène suscite d’énormes attentes auprès des milieux économiques mais aussi du grand public. Principalement utilisé aujourd’hui par les acteurs du raffinage ou de la chimie, ce gaz léger se présente comme une solution efficace pour décarboner notre économie et limiter notre dépendance au pétrole. Le développement rapide de l’hydrogène dans les prochaines années apparaît comme quasiment certain. Il répond clairement aux besoins des acteurs de l’industrie, du bâtiment et bien sûr des transports. En plus de ces applications, de nombreuses opportunités apparaissent aujourd’hui dans le domaine du stockage de l’énergie. Les technologies actuelles comme les STEP  (Stations de transfert d’énergie par pompage) sont en effet peu adaptées pour stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire”, explique Jean-Luc Baraffe, directeur de la recherche et l’innovation chez SEGULA Technologies. Un groupe d’ingénierie qui développe d’ailleurs sa propre solution de stockage d’énergie – en mer et par air comprimé – baptisée REMORA. En pratique, déployer largement les technologies faisant appel à l’hydrogène ne s’annonce pourtant pas si aisé. D’abord parce que la plupart des solutions sont encore peu matures. Mais aussi en raison de l’origine de l’hydrogène utilisé. Selon l’IFP Energies Nouvelles, 95 % de l’hydrogène actuellement utilisé proviendrait d’une transformation d’énergies fossiles (dont 50 % de gaz naturel). Le challenge qui attend les acteurs de la filière est donc triple : mettre au point des applications utilisant cette nouvelle énergie, la produire à partir de ressources bas-carbone et renouvelables, et enfin la proposer à un tarif compétitif par rapport aux autres énergies.

 

L’Etat et les grands groupes mobilisés 

Un défi immense que la France a décidé de relever à travers un ambitieux programme d’investissement. Dans le cadre de France Relance, Emmanuel Macron avait d’abord annoncé, en novembre 2020, une première allocation de 7,2 milliards d’euros. Une enveloppe complétée, un an plus tard, par une nouvelle aide d’1,9 milliard d’euros supplémentaires via le plan France 2030. Cette seconde annonce avait d’ailleurs été symboliquement dévoilée lors d’une visite présidentielle de la start-up Genvia (Béziers), spécialisée dans la production d’hydrogène à partir de la molécule d’eau. Sur le terrain, toutes ces aides visent à aider la filière tricolore de l’hydrogène à se structurer et à recruter. Selon l’association France Hydrogène, près de 100 000 nouveaux emplois directs pourraient être créés dans la filière à l’horizon 2030 (contre 3 500 aujourd’hui). Bonne nouvelle : la France compte déjà quelques grands champions de l’hydrogène prêts à accélérer. Troisième groupe mondial de l’énergie (hors pétrole), Engie propose ainsi aux industriels son offre EffiH2 de production d’hydrogène renouvelable par électrolyse de l’eau. De quoi produire, directement sur site, une énergie locale et bas-carbone. Accélérer, c’est aussi l’ambition d’Air Liquide, acteur historique du marché des gaz industriels. Le 20 octobre dernier, le groupe a annoncé le rachat complet de H2V Normandy. Cette société porte le projet de construction d’un électrolyseur géant de 200 MW. “Cette acquisition est une étape-clé dans la production à grande échelle d’hydrogène renouvelable pour fournir les secteurs de l’industrie et de la mobilité, explique – dans un communiqué – François Jackow, directeur général adjoint du groupe Air Liquide. “D’ici 2030, l’entreprise s’est engagée à porter sa capacité totale d’électrolyse à 3 GW. Le projet Air Liquide Normand’Hy contribuera au développement d’une société bas-carbone dont l’hydrogène sera l’un des leviers essentiels.”

 

McPhy, une jeune pousse devenue référence mondiale

Au-delà des aides gouvernementales ou de l’engagement des grands groupes historiques français de l’énergie, de plus jeunes acteurs de la filière tricolore de l’hydrogène ont également reçu, ces dernières semaines, une succession de bonnes nouvelles. Fondée en 2008 à La Motte-Fanjas (Drôme), McPhy en a connu au moins deux. Son innovation ? Une technologie de stockage d’hydrogène sous forme solide, à travers des petites galettes métalliques. Elle permet d’améliorer la sécurité, élever les rendements, et réduire les volumes de stockage.  Alors qu’elle met en service actuellement 20 stations à hydrogène par an, l’entreprise a annoncé, en juin, qu’elle devrait hisser ce chiffre à 150 dès mars 2022, grâce à l’ouverture d’un nouveau site de production en Isère. Ce projet devrait créer plus de 100 nouveaux emplois dans la région grenobloise, en plus des 110 salariés actuels de l’entreprise. Mieux, les débouchés pour cette nouvelle unité semblent déjà assurés. Le 14 décembre dernier, McPhy a en effet officialisé la signature d’un partenariat stratégique avec Hype. Cette société développe et opère une plateforme globale de mobilité hydrogène (production, distribution, usages…) qui cible notamment le marché du taxi. L’accord intègre notamment une commande minimum de 50 stations pour une capacité totale de 15 à 25 mégawatts d’ici fin 2025. “La combinaison entre l’offre de Hype, opérateur de véhicules et d’infrastructures hydrogène, et celle de McPhy, équipementier en solutions de production et distribution d’hydrogène, fournit un exemple des coopérations nécessaires pour synchroniser la massification des véhicules hydrogène et celle des infrastructures nécessaires à leur utilisation” témoigne Jean-Baptiste Lucas, directeur général de McPhy.

 

L’hydrogène renouvelable de Lhyfe séduit l’europe

Autre belle réussite française, l’entreprise nantaise Lhyfe – fondée en 2017 – a également marqué l’actualité récente du secteur. En octobre, elle a ainsi annoncé une levée de fonds de 50 millions d’euros auprès de la Banque des Territoires, de Swen Capital Partners et de ses actionnaires historiques (Noria, Ouest Croissance et Océan Participations). De quoi soutenir ses futurs projets de production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables. Certains sont d’ailleurs déjà bien avancés. En septembre 2021, la start-up a produit ses premiers kilos d’hydrogène dans son usine et son centre de R&D implanté à Bouin (Vendée). « Cette première production d’hydrogène renouvelable directement connectée à un site éolien constitue une première mondiale » explique Lhyfe dans un communiqué. Avec pour objectif de passer à terme à une tonne par jour. Là encore, ces volumes d’hydrogène ne devraient pas tarder à être utilisés. Le 9 décembre, la start-up a en effet inauguré, à la Roche-sur-Yon (Vendée), une station multi-énergie qui propose aux conducteurs de véhicules bas-carbone de l’hydrogène, du gaz naturel (GNC) et de l’électricité. À l’image de l’accord de coopération signé, le 10 décembre, avec l’opérateur ferroviaire allemand Deutsche Bahn, la jeune entreprise s’exporte déjà hors de nos frontières. En 2024, l’électrolyseur Green Hydrogen Systems de Lhyfe équipera un site de production local dans le cadre du projet H2goesRail (Deutsche Bahn et Siemens Mobility) qui ambitionne de remplacer 1 300 trains à diesel par des trains propulsés à l’hydrogène d’origine renouvelable. Gut gemacht !

 

Bulane et HySiLabs : rendre l’hydrogène plus accessible

Enfin, parmi les participations de Bpifrance, d’autres startups françaises – plus discrètes – incarnent également cette dynamique en faveur de l’hydrogène dans l’hexagone. C’est le cas de Bulane et sa technologie dyomix. Basée à Fabrègues (Hérault), cette société développe et commercialise une flamme industrielle à base d’hydrogène décarboné. Cette innovation trouve aujourd’hui de nombreuses applications auprès de tous utilisateurs de combustion, dans l’univers de l’industrie ou du BTP. Et bientôt également auprès du grand public. Lors du récent salon lyonnais BePositive (14 au 16 décembre), l’entreprise occitane a en effet dévoilé un partenariat avec le chaudiériste BDR Thermea. Ensemble, ils souhaitent décarboner l’énergie utilisée pour le chauffage des bâtiments. Toujours au Sud mais plus à l’Est, la start-up HySiLabs travaille sur la question du transport de l’hydrogène en proposant de le convoyer à l’état liquide et non gazeux. Fondée en 2015 à partir de recherches menées au sein de l’université Aix-Marseille, l’entreprise pense faire la différence par rapport à ses concurrents étrangers en garantissant la sécurité et le faible impact de son produit sur l’environnement. “Nous greffons des molécules d’hydrogène sur des molécules de silicium, une des plus présentes dans la croûte terrestre. Ensuite, nous transportons cet hydrure de silicium sous forme liquide. Une fois arrivé à destination, une réaction chimique permet de libérer instantanément l’hydrogène du silicium, grâce à de l’eau et à un catalyseur fait de matériaux non rares et non dangereux” explique – pour Les Echos Planète – Pierre-Emmanuel Casanova, co-fondateur d’HySiLabs. Selon le dirigeant, le liquide d’HySiLabs offrirait ainsi une capacité de stockage sept fois supérieure à l’hydrogène gazeux. En 2022, la société aixoise compte réaliser son premier démonstrateur à grande échelle. Pour soutenir ce projet, elle a bénéficié d’une aide européenne de 4 millions d’euros et espère lever 10 millions d’euros l’an prochain.

 

Demain, travailler en équipe

Aucun doute : la présence de nos champions français de l’hydrogène dans les gazettes ne devrait pas se tarir en 2022. Reste maintenant à travailler la dimension collective. “Nous devons former une équipe de France voire une équipe d’Europe de l’hydrogène » conclut Jean-Luc Baraffe. « En France, les technologies et les savoir-faire sont là, et d’ailleurs nos ingénieurs y participent grandement. De même , l’Etat semble désormais vouloir jouer son rôle. Ce qu’il manque encore c’est de la coordination dans les actions, avec des objectifs planifiés. Cela dit, je reste optimiste. D’ici 2030, nous utiliserons des camions, des trains, des usines ou des bâtiments fonctionnant grâce à des technologies hydrogène françaises.” Allez les bleus !

Antoine Sternchuss

Nos prochains événements

Désolé, aucun contenu trouvé.