Jeremy Krebs, CTO de Matera, nous livre ses secrets de leadership pour une entreprise en croissance

10 min

Jeremy Krebs, polytechnicien, commence sa vie professionnelle en montant une première entreprise dès sa sortie d’école. C’est ensuite en 2017 qu’il fait la connaissance de ses associés avec lesquels il cofonde Matera.

Image

Désormais CTO de la startup, il nous partage ici ses leçons apprises au fil des années sur le management et la croissance d’une organisation.

Matera, une innovation de rupture

L’innovation, selon Jeremy, consiste à créer quelque chose qui transforme profondément le quotidien d’un groupe de personnes avec un impact notable à une large échelle. C’est exactement ce que Matera a réussi à faire en s’attaquant au sujet de la gestion des immeubles collectifs en donnant la possibilité de se passer d’un syndic professionnel et limiter ainsi les frustrations des copropriétaires.

La promesse est bien au rendez-vous côté impact puisque Jeremy se souvient que : « Quand on lançait la boîte, tout le monde pensait que le produit ne marcherait jamais au-delà des copropriétés de dix appartements et qu’il était impossible de gérer une copropriété de manière coopérative. On a aujourd’hui des immeubles de trois cents copropriétaires qui s’auto gèrent. »

Les ambitions de Matera ne s’arrêtent pas là, puisque l’équipe va continuer à enrichir cette offre globale, avec d’autres services tels que la gestion locative et la transaction immobilière. 

 

Victor Prigent, Raphaël Di Meglio et Jérémy Krebs, cofondateurs de Matera – ©Matera

 

Impliquer les équipes dans la prise de décision

Si Matera réussit aussi bien, c’est entre autres grâce à une approche qui donne toute la place aux équipes dans la prise de décisions. Jeremy l’illustre en disant qu’« avec mes associés, nous pouvons avoir un avis tranché sur le marché, la direction stratégique et les orientations à prendre, mais ce sont les propositions des équipes qui sont souvent les plus pertinentes, car elles sont au plus près du terrain, connaissent la réalité du marché, mènent de nombreuses interviews et pilotent les phases de discovery. » 

Il précise qu’ ”il arrive un moment où les C-Levels ne peuvent plus tout savoir, surtout dans une entreprise de 200 personnes” – il est donc important que les équipes opérationnelles participent à la prise de décision.

Par exemple, trois fois par an, des “strat reviews” permettent aux squads de faire un bilan des sujets en cours et de ceux à venir pour provoquer des discussions stratégiques à plusieurs et éviter une approche strictement descendante. Et même pour les décisions drastiques qui viennent des fondateurs, Jeremy rappelle que dans tous les cas “il vaut mieux avoir le buy in de ses équipes pour les mettre en place et les diffuser ” et ne pas utiliser une approche descendante. 

Pour parvenir à cette collaboration, un des éléments clés est l’écrit. “Nous utilisons beaucoup Notion, y compris pour la gestion du backlog, là où d’autres utilisent Jira ou les Github Issues, ce qui permet d’avoir toutes les équipes autour de la table quand on construit le produit”. L’objectif et les décisions à prendre lors de chaque réunion sont ainsi clairement explicitées à l’écrit, ce qui facilite les échanges en amont de ces meetings, favorise les propositions de chacun au cours des rassemblements et aide à la prise de décision.

 

L’équipe Matera – ©Matera

 

Une organisation en impact team pour améliorer la performance

Depuis 3 ans, Matera est organisée en impact teams. Autrement dit, plutôt que d’imposer un objectif à une squad – par exemple, améliorer une fonctionnalité -, il s’agit plutôt d’améliorer la marge de l’entreprise. “Nous avons beaucoup travaillé sur les business équations, c’est-à-dire que nous avons découpé l’entreprise en une hiérarchie de métriques importantes. Une fois les plus essentielles identifiées, une équipe autonome est chargée de travailler seule pour atteindre chacun des objectifs”.

Cela permet, d’une part, d’aligner les équipes produit, tech et business autour d’objectifs communs et de s’assurer que l’effort est concentré sur les bons sujets. D’autre part, l’autonomie est cruciale, “si l’équipe double ou triple de taille, cela ne nécessite pas de doubler ou tripler l’effort de management” se félicite Jeremy.

Pour instaurer une culture data et donner aux équipes la capacité de les mesurer, toutes les équipes utilisent Looker, un outil de data visualisation leur permettant de fixer leurs objectifs et suivre leur performance. Toutes les décisions prises dans l’entreprise sont mesurées, et chaque projet commence par l’identification des critères de succès ainsi que la définition des indicateurs de performance.

Depuis que nous sommes organisés en impact teams, nous n’utilisons plus les OKR (Objective Key Results). Cette organisation nous permet de gérer la stratégie de l’entreprise et de mesurer sa performance de manière plus adaptée. Les OKR nous avaient cependant aidés à instaurer une culture data” explique Jeremy. Aujourd’hui, “nos équipes fonctionnent comme de petites entreprises au sein de l’organisation : elles ont leurs propres objectifs business, leur roadmap, leur stratégie et sont autonomes pour les atteindre”.

 

Aperçu de la solution Matera – ©Matera

 

Mettre en place la bonne organisation pour son entreprise

“Si j’avais deux conseils à donner, c’est un, de ne pas appliquer une méthode parce qu’on a lu un article qui dit que c’est comme ça qu’une autre entreprise a fait, et deux, de ne pas appliquer une méthode si on n’a pas de problèmes à régler. » À titre d’exemple, l’instauration des Impact Teams au sein de Matera s’est fait naturellement, car la nécessité pour la startup était présente ; il ne s’agissait pas d’une organisation trouvée sur étagère.

Jeremy rappelle que chaque organisation porte en elle les défauts de ses avantages : quel que soit le modèle adopté, des problèmes existeront toujours. “Ce n’est pas parce qu’une entreprise rencontre des difficultés structurelles qu’elle doit systématiquement tout changer, car d’autres défis apparaîtront inévitablement.” 

Le CTO donne l’exemple de l’organisation en impact team qui “crée plusieurs problèmes, notamment des problèmes de priorisation pour des sujets urgents qui arrivent hors scope (réglementaire ou partenariat), pour des sujets multi-squad ou des sujets techniques qui n’ont pas d’impact business direct”. Ces problèmes sont toutefois inhérents à l’organisation et il faut donc les accepter puis essayer d’y pallier au maximum (mettre en place des process, des comités plus réguliers), “ce qui demandera certes des efforts, mais aucune organisation n’est parfaite.”

Une fois un problème identifié, il recommande d’échanger avec un maximum d’entreprises plus avancées afin d’obtenir des retours d’expérience. Il se souvient passer, « parfois, des semaines entières à discuter avec le plus de CTO, CPO, et Engineering Managers possibles, avec des expériences très variées, pour comprendre ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et ce que nous pourrions appliquer au sein de notre propre structure. »

Le feedback, un  élément clé du leadership 

En même temps que l’entreprise grandit, les qualités du manager évoluent et pour Jeremy, une qualité reste clé : la culture du feedback. “La remise en question est importante pour un manager, même si on n’applique pas tous les feedbacks, il faut savoir expliquer pourquoi ce point de tension est important pour faire avancer la boîte et, à l’inverse, en cas d’erreur, il faut le reconnaître et chercher à ne plus le reproduire. »

Il rappelle qu’en tant que dirigeant, chaque décision peut avoir un impact important dans l’entreprise. Afin de limiter les biais de jugement personnel, il conseille de miser sur l’intelligence collective, de consulter des personnes qui ont des qualités différentes des nôtre et de recruter des profils qui sont meilleurs que nous. Selon lui, tout ceci est « bénéfique pour la boîte et pour son propre développement personnel », et cela n’est possible que grâce à “une profonde volonté de remise en question permanente, car même avec 15 ans de carrière, il faut continuer à chercher constamment ce que l’on peut améliorer””. 

Le recrutement, un moyen de délégation important

Il préconise ainsi de recruter là où le manager est moins compétent ou a le moins d’appétences. Il souligne que ce n’est pas le rôle du manager de tout gérer et qu’ il est normal de ne pas pouvoir tout faire. « Le rôle du CTO est de répondre aux besoins de l’entreprise, que ce soit grâce à ses propres compétences, à son VP Engineering ou à d’autres équipes. »

Convaincu que ce qui compte, c’est « de recruter la meilleure équipe et non pas les meilleurs individus », Jérémy Krebs a ainsi, par exemple, recruté de nombreux profils en reconversion, bien que beaucoup ont tenté de le dissuader en lui signifiant qu’il s’agissait d’un risque important pour une boîte tech en croissance avec de nombreux défis. 

« Je pense qu’au contraire, ces profils-là apportent beaucoup de qualités qui sont plus importantes à la réussite de l’entreprise que des compétences techniques pures, qui, elles, peuvent s’acquérir au fil du temps. Pour moi, quelqu’un qui n’est pas un bon communicant ou qui a du mal à comprendre les sujets business sera beaucoup plus compliqué à faire progresser. Les profils en reconversion ont déjà toute cette expérience, et il n’y a que la partie technique sur laquelle il faut les aider. »

D’autant plus qu’avec l’avènement de l’IA et du No-Code, les CTO sont de plus en plus amenés à manager des équipes qui dépassent leurs compétences personnelles. Pour aller vite, il faut savoir faire confiance à ses équipes, qui, elles, sont proches du business et pourront aller vite grâce aux nouvelles technologies.

Le mot de la fin

L’ambition de Matera est de devenir un acteur européen, et l’entreprise s’attaque donc à un challenge de taille : celui de l’internationalisation. En effet, les spécificités de l’immobilier rendent le déploiement sur un nouveau marché particulièrement complexe, car les législations diffèrent grandement entre les territoires. C’est pourquoi il est important de “construire de manière intelligente le produit pour pouvoir passer à l’échelle.” Il ne fait aucun doute que l’organisation intelligente, fondée sur l’autonomie, la délégation et la mesure de la performance, va leur permettre de le faire avec brio. 

lehub

Nos prochains événements