Notre agriculture et notre alimentation font face à des enjeux majeurs de souveraineté, de durabilité et de santé. Pour y répondre, Bpifrance, en tant que premier opérateur de France 2030, a apporté son soutien en 2023 à 90 projets répartis sur toute la chaine de valeur agroalimentaire, de la R&D à l’industrialisation et pour un montant total d’aide de 207M€.
Une publication proposée par Capucine Grandsir, analyste foodtech et agritech et Nadia Sekher, responsable sectorielle agriculture et agroalimentaire, chez Bpifrance.
1. Nouveaux modes de production agricole et d’élevage
a. Biocontrôle & Biostimulants
Le marché du biocontrôle et des biostimulants connaît une croissance importante pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires et engrais chimiques.
D’une part, le chiffre d’affaires du biocontrôle en 2022 s’est établi à 278 millions d’euros, en progression de 4% sur un an (IBMA France, 2023). Le biocontrôle est une méthode de protection des plantes qui utilise des organismes vivants ou des substances naturelles pour prévenir ou réduire les dommages causés par les nuisibles et/ou les maladies et/ou adventices. Sur ce domaine, Gaïago développera une solution antifongique innovante pour lutter contre le Mildiou et l’Oïdium de la vigne et du tournesol. L’entreprise augmentera également ses capacités de production en implantant une unité de production industrielle de biostimulants à St Malo. Agriodor innovera autour d’une solution de biocontrôle à base d’allomones pour lutter contre le puceron de la salade. InnoFenso, lauréat iLab 2023, développera des cocktails d’insectes auxiliaires pour la lutte contre les ravageurs de fruits et légumes, plantes aromatiques et plants de vignes. Amoeba augmentera ses capacités de production de solutions de biocontrôle en France. Biointrant, en collaboration avec le CEA, développera une substance naturelle active produite par des bactéries du sol pour remplacer les produits phytosanitaires. De plus, Specialty operations France, en partenariat avec Akinao, l’Institut technique interprofessionnel des plantes et Limagrain Europe, mettra au point un extrait de plantes pour protéger les semis des attaques d’oiseaux. Le projet NEMITE, lauréat iLab 2023, mettra au point un produit de biocontrôle pour lutter contre des vers appelés nématodes. Enfin, la jeune pousse AgroDynaLux a été nommée lauréate du concours iLab 2023 pour ses désherbants sélectifs et éco-responsables comme alternative durable aux méthodes traditionnelles.
D’autre part, le TCAC des biostimulants en France est estimé à 7,6% entre 2023 et 2029 selon une étude de Mordor Intelligence. Un biostimulant permet de stimuler le processus de nutrition des plantes par l’apport de substances végétales et/ou organiques ou de micro-organismes. Sur ce domaine, Elicit Plant ambitionne de devenir leader des biostimulants à base de phytostérol pour lutter contre le stress hydrique des cultures, réaliser un gain de rendement et stimuler les défenses naturelles du maïs et soja entre autres. Mycophyto développera ses champignons mycorhiziens pour améliorer la régénération des sols et Vertal augmentera ses capacités de production de biostimulants pour répondre à la demande du marché agricole. La société Axioma investira dans de nouvelles capacités de production de ses biostimulants à base d’extraits de plantes.
Enfin, Terrial industrialisera sa production d’engrais à partir de coproduits générés par la société innovante Afyren et ainsi apporter une alternative durable et locale aux engrais potassiques d’origine minérale, fortement importés auprès de fournisseurs extra-européens
b. La sélection variétale
La sélection variétale, autre levier de l’agroécologie, évolue vers des approches plus rapides et ciblées, visant à développer des cultures résilientes face au changement climatique.
Amatera biosciences, lauréat iLab 2023, révolutionnera l’amélioration des plantes pérennes, notamment le café, avec des approches non-OGM accélérées. D’autre part, OBS Innovation développera de nouvelles variétés pour le marché des semences en France et à l’export, via la construction d’un centre de recherche spécialisé.
c. Robotique et OAD
L’agriculture de précision et la robotique agricole transforment rapidement les pratiques agricoles en mettant l’accent sur l’automatisation, la collecte et l’analyse en temps réel des données.
Des solutions permettront de limiter l’usage de l’eau et de produits phytosanitaires comme celle d’Agriconnect qui proposera un service de modulation intra-parcellaire de l’éclaircissage des vergers de pommiers. Rolland mènera un projet d’optimisation des opérations d’épandage pour améliorer les performances environnementales et sociétales des machines. BLISS Ecospray développera des technologies de pulvérisation ultra-confinée pour réduire la dérive des produits phytosanitaires en viticulture. UV Boosting utilisera des UV pour stimuler les défenses naturelles des plantes dans diverses cultures et réduire l’usage de produits chimiques. Enfin, Cyclair s’appuiera sur des technologies de deep learning pour faciliter le désherbage mécanique de son robot autonome RobiOne.
Pour réduire l’usage de l’eau, Telaqua développera un système de gestion de l’irrigation multi-paramètres sous forme SaaS basé sur de l’intelligence artificielle. Enfin, Osiris Agriculture SAS développera un robot autonome nommé OSCAR pour une irrigation précise et polyvalente.
Pour pallier la raréfaction de la main d’œuvre et réduire la pénibilité du travail, Sylektis réalisera des tests de son robot intelligent de récolte automatique des asperges. Enfin, les robots autonomes et polyvalents des sociétés SabiAgri, Kunh et le tracteur de SITIA seront capables de réaliser diverses tâches seuls ou en flotte pour la viticulture ou encore le maraichage.
Les sociétés CAP2020 et Agreenculture s’appuieront sur des données comme la météo pour mettre à dispositions des agriculteurs leur outil d’aide à la décision respectif.
d. Agrivoltaïsme et serres pour l’économie des ressources
L’intégration de la production d’énergie solaire dans l’agriculture gagne en importance, offrant une double utilisation des terres. Ombrea, QAIR France et TSE sont des exemples d’entreprises qui développent des solutions combinant production agricole et énergétique.
Agrithermic proposera des technologies avancées pour améliorer l’efficacité énergétique et la productivité des cultures sous serres. Interstellar Lab développera BioPod, une serre autonome, déployable, économe en ressources permettant la production relocalisée de plantes et d’ingrédients naturels à haute valeur ajoutée. Enfin, RED Horticulture ambitionne de construire des serres horticoles couplées à un phytotron pour le déploiement d’une technologie innovante de photobiologie réduisant la consommation énergétique et optimisant le rendement agricole.
e. Traitements post-récolte : conservation sanitaire des productions
Un tiers de la production alimentaire mondiale est perdue ou gaspillée chaque année (Food Loss and Waste Reduction | United Nations). Les innovations dans les traitements post-récolte visent notamment à réduire les pertes et à améliorer la conservation et la qualité des produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Par exemple, Hemeris est lauréat iLab 2023 pour sa technologie de plasma froid atmosphérique permettant la protection des semences et l’amélioration de leur résistance au stress hydrique. Proteme développera des enrobages comestibles pour les fruits qui allongent leur durée de vie. Javelot élaborera des solutions de surveillance à distance des silos. Le projet PARHY en collaboration avec Stolz Sequipag, l’Union régionale Artois Picardie (URAP, composée d’Unéal, Ternoveo, Nat’Up et Cérèsia), La Coopération Agricole des Hauts-de-France et UniLaSalle mettra en place une méthode utilisant l’ozone gazeux pour la désinsectisation des céréales stockées. Enfin, ETS DUBRULLE innovera dans le tri optique des pommes de terre et des oignons.
f. Bien-être et alimentation animale
Les innovations dans ce domaine visent à améliorer le bien-être animal tout en augmentant la productivité et la durabilité des élevages.
BioAZ, lauréat iLab 2023 et de l’appel à projets Réussir les transitions agroécologiques et alimentaires développera des solutions immunologiques pour remplacer la castration à vif des porcelets, respectant les attentes de l’agriculture biologique et les labels de qualité.
Pour améliorer la santé et la productivité des élevages aquacole et réduire le recours aux antibiotiques, Marine Akwa développera des solutions à base de probiotiques marins pour une aquaculture durable. Lisaqua industrialisera sa production innovante de gambas sans antibiotique et sous forme de fermes modules clés en main pour renforcer la filière aquacole française. D’autre part, Oligofeed mettra au point un complément alimentaire pour renforcer l’immunité des abeilles.
Dans un souci de réduction de la dépendance française en aliments pour animaux, MixScience industrialisera un nouveau procédé pour la production d’ingrédients protégés entrant dans la composition des aliments pour animaux. Metex Noovistago augmentera sa production d’acides aminés de spécialités pour l’alimentation animale. Chays Frère et Huilerie de Chambarand moderniseront leurs installations pour la production de tourteaux destinés à l’alimentation animale.
2. Nouveaux modes de production et réduction de la dépendance alimentaire
g. Ingrédients durables pour la santé et la souveraineté alimentaire
L’industrie des ingrédients alimentaires se tourne vers des solutions plus naturelles et fonctionnelles et renforce la souveraineté alimentaire française.
Le projet BIO POP, porté par Solina France, Antofenol, Oniris, les Laboratoires Standa, INRAE, et Adria Développement, vise à mettre au point des solutions culinaires naturelles pour la conservation des produits carnés sans additif comme les nitrites. La deep tech Revobiom est lauréate iLab 2023 grâce à sa machine d’évolution microbienne capable de produire des consortiums de microorganismes stables en un temps record et entrant dans la composition de ferments alimentaires entre autres. Positionnés sur des produits stratégiques pour l’industrie agroalimentaire française, et dans un souci de réduction des importations depuis les pays tiers, Valtris Champlor augmentera ses capacités de production de la lécithine fluide à partir de colza local. Enfin, NutriEarth construira un démonstrateur industriel pour la production d’ingrédients à base d’insectes et à fonctionnalité santé pour les humains et animaux de compagnie.
h. Sécurité sanitaire alimentaire
Ces dernières années ont été marquées par un certain nombre de crises sanitaires liées à l’alimentation, comme le rappel de chocolats contaminés par la Salmonelle ou encore des contaminations de Pizza surgelées.
Pour améliorer la traçabilité et la sécurité des aliments, Spore Biotechnologies, lauréate du concours iLab 2023, se consacre au développement d’une nouvelle génération de systèmes de quantification microbiologique instantanée pour l’industrie. Plus en aval de la production, le groupe Aoste développera de nouveaux emballages recyclés et recyclables dans un soucis d’économie circulaire et de conservation des aliments. La Compagnie Rochelaise du Logiciel développera une plateforme digitale interopérable et multilingue qui s’adresse aux fournisseurs et aux distributeurs agroalimentaires pour la gestion des rappels de produits et ainsi limiter les risques sanitaires.
i. Moderniser et renforcer des capacités de production alimentaire
L’industrie agroalimentaire, avec ses 500 000 emplois et 17 000 entreprises, est le premier secteur industriel français. La balance commerciale de l’industrie agroalimentaire connait cependant une érosion depuis les années 2000. Dans le cadre de France 2030, de nombreux projets visent à moderniser et à augmenter les capacités de production du secteur pour renforcer la souveraineté alimentaire française.
En France, un fruit et légume sur deux est importé depuis l’étranger et la balance commerciale des produits d’épicerie (moutarde préparée, farine, miel, café, etc.) est déficitaire de plus de 5 milliards d’euros en 2023 (FranceAgriMer, 2024). Pour inverser la tendance, les entreprises Labelle’Guyane (tubercules guyanaises), Saint-Mamet (fruits en sirop locaux), Charles et Alice (desserts aux fruits), Lunor Distribution (pommes de terre pasteurisée), La Compagnie des Amandes (amandes), Martin-Pouret (moutarde et vinaigre), Giffard et Compagnie et Roquette Frères (fécule de pomme de terre) investiront dans de nouvelles unités pour augmenter leurs capacités de transformation.
La filière viande et produits carnés est également déficitaire de 3,5 milliards d’euros en 2023 (FranceAgriMer, 2024). Les entreprises Galliance Languidic et Huttepain aliments sécuriseront la production française de volailles et d’œufs notamment en modernisant leurs équipements et/ou augmentant leurs capacités de production. Labeyrie Fine Foods France améliorera ses outils de production et conditions de travail pour la résilience de filières canard et saumon fragilisées par des crises sanitaires récurrentes.
Enfin, le projet porté par CVEbiogaz repose sur la création de boucles locales de valorisation en circuit court du CO2 biogénique issu de deux sites de méthanisation et ainsi réduire la dépendance de l’industrie agroalimentaire à des ressources gazières extra-européennes, pour la production notamment de boissons gazeuses.
3. Nouveaux modes de consommation
j. Nutraceutiques et nutrition de précision
En pointe du secteur plus mature que représente le marché des nutraceutiques et compléments alimentaires, émerge depuis 2021, le marché prometteur de la nutrition de précision comme une approche personnalisée de l’alimentation tenant compte des variabilités sociétales et physiologiques entre individus, pour améliorer la santé et prévenir des maladies.
A ce titre, le projet PINEAPPL2, porté par Integrative Phenomics, IRD et Sorbonne Université développera une solution de nutrition de précision basée sur l’intelligence artificielle et la connaissance du microbiome pour prévenir les maladies cardiométaboliques.
De plus, Carembouche, lauréat iLab 2023, créera des aliments enrichis en probiotiques pour les personnes à risque de dénutrition. Enfin, l’entreprise Bledina développera une capacité de production de produits de nutrition médicale spécialisée sur la base d’ingrédients sourcés et transformés localement.
k. Protéines alternatives
Le secteur des protéines alternatives connaît une croissance rapide, avec des innovations portées sur la fermentation de précision, les protéines végétales, à base de microalgues, le mycélium ou encore les insectes.
Nutropy, lauréat iLab 2023 développera des caséines et acides gras par fermentation de précision, tout comme Standing Ovation qui passera à l’échelle industrielle pour la production de caséines fermentaires entrant dans la composition des alternatives aux produits laitiers. En plus de la fermentation de précision, Bon Vivant, lauréat iLab 2023, développera une technologie de production de protéines par culture d’organoïdes cellulaires pour reproduire à l’identique les propriétés des protéines de lait.
Du côté des insectes, la Compagnie des Insectes Industrie et Agronutris mettent à l’échelle leurs capacités de production respectives de protéines issues d’insecte pour l’alimentation animale en priorité.
Concernant les protéines végétales, Nxtfood construira un nouveau site de production d’alternatives à la viande issues de protéines végétales. Intact industrialisera à la Baule dans le Loiret, une technologie innovante permettant la valorisation circulaire des protéines végétales de légumineuses et des amidons résiduels en fermentation. Sabarot Wassner renforcera ses capacités de décorticage de lentilles et petit épeautre et Paulic Meunerie augmentera ses capacités de production de nouvelles gammes de farines purifiées par un procédé innovant d’ozonation et à destination du marché des protéines de blé.
S’agissant des microalgues, Kyanos Biotechnologies mettra à l’échelle son procédé innovant de production de pastel d’eau (algue AFA) pour développer des produits à base de protéines d’AFA. Du côté du mycélium, la jeune pousse Mycelium technologies, lauréate iLab 2023 proposera des filets mycéliens et poudres protéinées pour la nutrition humaine en alternative aux produits animaux.
Ces investissements et innovations financés par Bpifrance pour le compte de l’Etat démontrent l’engagement de l’industrie agricole et agroalimentaire française dans la recherche de solutions durables et innovantes pour renforcer la résilience du secteur vis-à-vis des défis environnementaux et économiques actuels et futurs et la souveraineté alimentaire du pays. De la production agricole aux nouveaux modes de consommation, en passant par la transformation industrielle, ces projets promettent de transformer le secteur, en le rendant plus résilient, durable et compétitif.
En tant qu’ingénieure en biologie et sciences des aliments, Capucine Grandsir est passionnée par l’innovation en agroalimentaire et agroécologie. Elle instruit des projets et contribue à la diffusion des connaissances dans ces domaines à la Direction de l’Innovation de Bpifrance.