Le 23 Juin 2020, le Hub HealthTech et la direction Deeptech de Bpifrance ont organisé un webinar sur le thème de l’impact de la crise sanitaire actuelle pour le secteur des biotechs. Etaient conviés pour intervenir sur ce sujet le Dr. Christophe Massard, Oncologue & chef du Département d’Innovation Thérapeutique et des Essais Précoces (DITEP) de l’Institut Gustave Roussy, Isabelle Thizon-de Gaulle, Directrice Relations Scientifiques & Initiatives R&D pour l’Europe de Sanofi, Nawal Ouzren, CEO de la société biotech Sensorion et Benoit Barteau, Directeur de participations chez Bpifrance. L’occasion donc pour nos quatre intervenants et Pascale Ribon, directrice Deeptech chez Bpifrance de dresser des constats quatre mois après le démarrage de la crise en France, mais aussi de prendre de la hauteur de vue afin de partager leur vision sur les défis mais aussi les opportunités qui se présentent.
Résilience globale de la recherche clinique
De façon assez inattendue, on a pu constater qu’une partie importante des activités de recherche clinique ont continué de se dérouler dans de bonnes conditions et ce en dépit du fonctionnement en mode dégradé imposé par la crise sanitaire. Néanmoins, les impacts étaient très dépendants du stade d’avancement du projet avec certaines sociétés qui ont dû accuser des reports très conséquents sur leur planning prévisionnel d’étude clinique.
Au sein de l’institut Gustave Roussy, c’est environ 70% des études de phase I qui ont été maintenues, avec davantage d’inclusion sur les mois d’avril, mai et juin durant le pic de la crise que sur les mois de janvier et février lorsque la crise sanitaire ne s’était pas encore déclenchée note Christophe Massard. Isabelle Thizon-de Gaulle partage le même constat sur le portefeuille projet de Sanofi avec plus de 90% des essais cliniques qui ont été préservé. Le groupe Sanofi a déployé de nouveaux modes de suivi des patients pour assurer leur sécurité avec notamment le recours à la téléconsultation et l’organisation de prélèvements et perfusions à domicile en coordination avec les centres hospitaliers.
Si les essais précoces en oncologie ont pu dans leur majorité se poursuivre, d’autres indications n’ont pas connu une situation aussi favorable comme dans le cas des maladies métaboliques ou des maladies rares, remarque Benoit Barteau. L’interruption des essais représente pour ces sociétés à minima 3 à 4 mois de décalage sur le plan clinique. Les études de Phase II et de phase III ont elle aussi été très impactées. La plupart des promoteurs de ces essais ont suspendu les inclusions afin d’assurer la sécurité des patients. C’est le cas de la biotech Sensorion, spécialisée dans le développement de solutions thérapeutiques pour traiter ou prévenir la perte d’audition, qui a été obligée d’annoncer un report de son essai clinique de phase II multicentrique sur des patients atteints de surdité soudaine et dont les résultats étaient attendus initialement en milieu de cette année. Le recrutement des patients qui se fait principalement via les services d’urgence et les services ORL des hôpitaux n’a pas pu être réalisé car les patients étaient redirigés vers la médecine de ville, commente Nawal Ouzren.
La priorité des centres investigateurs était de protéger les patients, rappelle Christophe Massard. Si les hôpitaux en France n’étaient pas sanctuarisés comme en Italie, l’organisation interne à chaque hôpital s’est rapidement réorganisée pour séparer, isoler et prendre en charge dans des circuits différents les patients atteints de la COVID. On a pu ainsi éviter une propagation du virus entre les services et entre professionnels de santé. Sur un centre comme Gustave Roussy, aucun cas grave lié à une infection au COVID n’a été déclaré sur des patients suivis dans les études cliniques.
La (bio)production au centre des préoccupations
Le sujet de la production a été au cœur des discussions de la crise sanitaire avec une prise de conscience par les experts mais aussi dans la sphère publique qu’une défaillance de l’appareil productif ou d’un maillon de la chaine d’approvisionnement pourrait entrainer des conséquences dramatiques sur la disponibilité des produits et le traitement des patients.
Dans les faits, des laboratoires comme Sanofi ont activé rapidement des plans de continuité qui ont permis à des sites de développement et de production comme celui de Montpellier de continuer à produire et livrer les lots cliniques nécessaires à la poursuite des essais. Pour des sociétés de biotechs, l’activité de production est très souvent externalisée à des sociétés tiers CDMO (Contract Development and Manufacturing Organizations) et l’arrêt des essais cliniques a par conséquent bousculé le calendrier de production de ce tissu industriel. Dans les biotechs, la demande pour produire des lots cliniques est très forte et les créneaux de production des CDMO doivent être réservés très longtemps à l’avance. Différentes stratégies ont été adoptées par les biotech dans la gestion de leur partenaire CDMO, constate Benoit Berteau. Face à la situation, certaines biotech, dans la limite de leurs obligations contractuelles, ont annulé leur créneau de production et le paiement associé quand d’autres ont préféré payer une partie de la prestation non réalisée afin de pouvoir sécuriser un nouveau créneau de production dans les meilleurs délais et ainsi assurer un redémarrage rapide de leur activité.
Pendant la crise, on a pu voir des façonniers basés en chine en dehors de la région de Wuhan qui ont continué à produire quand certaines CDMO européennes se sont arrêtées, ce qui démontre que rapatrier l’appareil de production en France ou en Europe n’est pas une réponse en soi à une crise mondiale comme le Coronavirus et que les impacts immédiats sont souvent difficiles à prédire au moment où les événements surviennent, note Benoit Barteau. Il y a en revanche un système de production à repenser pour le rendre plus résilient, avec par exemple des backups de production distribués géographiquement dans différentes régions et qui permettent lorsqu’une zone est atteinte de redistribuer la production dans une région moins touchée.
Pour Sensorion la géolocalisation des sites de production fait déjà partie des considérations qui sont intégrées dans les réflexions stratégiques.
« Ne faut-il pas privilégier un site qui est à une heure de train de nos équipes de direction ? Cela fait partie des nouvelles questions que nous nous posons avec le comité d’administration »
Nawal Ouzren
L’environnement financier permet d’être optimiste pour le secteur
Au niveau des activités de financement et d’investissement, le COVID a replacé les sujets de santé en haut des priorités mondiales. On a pu le constater sur les marchés outre atlantique notamment avec un nombre important d’IPO sur le premier semestre 2020 qui témoigne de l’engouement de la communauté autour des investissements pour les sociétés biotech, constate Nawal Ouzren.
Pour les fonds d’investissements de Bpifrance, la priorité pendant le coronavirus et à moyen terme est d’assurer un financement suffisant des sociétés du portefeuille pour qu’elles puissent aborder sereinement les prochains mois. C’est aussi le rôle de l’investisseur que d’accompagner la société pour trouver et examiner tous les mécanismes dilutifs et non dilutifs à sa disposition. Par ailleurs, le dealflow s’est accéléré pendant le confinement et cela au bénéfice des entrepreneurs, constate Benoit Barteau. Le télétravail et les réunions sur les outils de téléconférence ont facilité l’organisation de réunions multisites et avec des personnes externes.
L’apport du digital dans la gestion de la crise est indéniable
Le spectre d’une deuxième vague est au cœur des inquiétudes pour les biotechs qui, à l’image de Sensorion, ont déjà été impactées par la crise sanitaire du coronavirus au premier semestre 2020. « On réfléchit à des solutions qui permettraient de gérer cette deuxième vague dans notre essai clinique de phase II, avec du suivi de patient à distance et l’inclusion de patient via la médecine de ville » commente Nawal.
La flexibilité et l’agilité des différents acteurs ont montré qu’il était possible d’adopter de nouvelles méthodes très rapidement. La recherche clinique doit se moderniser plus rapidement et un suivi à distance des patients dans les essais cliniques (remote patient monitoring) devrait devenir un standard dans les années à venir, prédit Christophe Massard. Il est aussi indispensable de simplifier les procédures et d’alléger les lourdeurs administratives qui se sont créées au fil des années précise-t-il.
« Cette crise a permis d’imaginer l’hôpital du futur, ce que l’on pensait faire en trois ans il faut le faire désormais en un an.«
Dr. Christophe Massard
Il y a une ouverture à tous les niveaux (régional, national, européen) pour discuter de ces nouveaux sujets, pour faire bouger les lignes réglementaires et permettre l’utilisation pérenne de certaines des solutions qui ont été mis en place pendant la crise, ajoute Isabelle Thizon-de Gaulle.
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Coronavirus : le retour de l’infectieux ?
Pour un grand groupe comme Sanofi, la crise n’a pas d’impact sur ses axes stratégiques qui restent l’immuno-oncologie, les maladies rares, l’immuno-inflammation et les vaccins. Le COVID est plutôt une opportunité pour un groupe comme Sanofi avec une expérience dans les vaccins et un portefeuille produit déjà sur le marché. Les travaux de recherche s’organisent principalement autour de 2 axes : le vaccin et le repositionnement thérapeutique, explique Isabelle Thizon-de Gaulle.
Sur la partie vaccin, Sanofi s’est associé à GSK pour accélérer le développement clinique en vue de démarrer les essais cliniques d’ici la fin de cette année. En complément, d’autres approches thérapeutiques plus nouvelles sont également testées, comme les mRNA. Concernant le repositionnement de produit, Sanofi a travaillé avec les autorités de santé pour tester des traitements existants comme l’hydroxy chloroquine ou les anti-IL6.
Pour les fonds d’investissements biotech existants de Bpifrance comme Innobio, la crise n’apporte pas de modification de la thèse d’investissement car ces fonds sont déjà agnostiques en termes d’aires thérapeutiques. Cela fait plusieurs années que l’infectieux a été délaissé dans les investissements, et même si on peut espérer un regain d’intérêt sur ces sujets avec la crise, l’équation économique reste à ce jour toujours complexe pour un investisseur commente Benoit Barteau. Il y a peut-être de nouveaux mécanismes à imaginer sur ce domaine, inspirés de ce que l’on a pu voir sur les maladies rares, pour inciter les financiers à refinancer ces sujets.
Savoir allier souveraineté & ouverture à l’international
Si Bpifrance a été au cœur de la réponse nationale du point de vue des financements, les solutions sont aussi à aller chercher en dehors de nos frontières. Il y a des initiatives de financement au niveau Européen que l’on pourrait mettre en place à l’image de ce qui existe dans d’autres régions comme les financements BARDA aux Etats-Unis, commente Isabelle Thizon-de Gaulle. On peut aussi réfléchir avec les autres partenaires européens au rôle des organismes existants comme l’EIC (European innovation council) dans des crises comme celle-ci.
Il faut également repenser la façon dont sont financés les projets aujourd’hui et intégrer le continuum recherche, innovation et production. Dans les appels à projet nationaux ou européens, il faudrait pouvoir très tôt intégrer la dimension production et flécher des financements spécifiquement sur cette partie en parallèle du développement R&D, et non en séquentiel, avance Isabelle Thizon-de Gaulle.
Toujours sur le financement, un nouveau décret datant de fin avril 2020 et qui a ajouté les biotechnologies en tant que secteur contrôlé cristallise les inquiétudes pour le secteur. Ce décret a acté un abaissement des seuils d’autorisation préalable pour intégrer des investisseurs étrangers au capital de sociétés biotech françaises au-delà d’un certain seuil (25% pour les non cotées, 10% pour les cotées). Aujourd’hui les biotechs françaises se financent souvent au niveau européen ou auprès de fonds américains, il faut donc être extrêmement vigilent pour s’assurer que les initiatives de souveraineté économique ne viennent pas asphyxier les financements des sociétés françaises et bloquer la dynamique qui avait été initiée avant la crise du Coronavirus. Il y a un équilibre à trouver, commente Benoit Barteau. Pour une biotech cotée comme Sensorion, il ne faut pas que les autorisations préalables soient un obstacle supplémentaire à l’accès à des financements. Sur les marchés il faut pouvoir prendre des décisions en quelques heures renchérit Nawal Ouzren.
Face aux grands défis du secteur, il est donc indispensable de continuer à entretenir le dialogue qui s’est intensifié pendant la crise entre l’ensemble des acteurs de l’écosystème et réfléchir à des solutions communes dans un climat de confiance. La réponse ne viendra que d’une collaboration accrue entre industriels, startups, acteurs publics, établissements et professionnels de santé, et cette réponse doit être pensée à tous les niveaux en intégrant les acteurs locaux et régionaux sans oublier de mobiliser des solutions de financement et de coopération au niveau européen et mondial.