Cleantech, greentech, hydrogène, véhicules électriques… aujourd’hui, nombreux sont les termes associés à la promesse d’une mobilité de demain plus « verte ». Cependant, jusqu’ici, les innovations réelles proposant d’appliquer les principes de l’économie circulaire au secteur de la mobilité sont rares.
Pourtant, pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris – réduire de 40 à 70 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 -, il est nécessaire et urgent d’adapter les modèles de production, de transformation et de consommation. Une des solutions possibles serait de rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) pour adopter un modèle économique dit « circulaire ». Et ce, notamment, dans le domaine de la mobilité.
Une consommation durable
Que recouvre la notion d’économie circulaire (‘EC’) ? Si, pour beaucoup, les limites du concept restent floues, plusieurs acceptions peuvent être clairement distinguées, toutes directement applicables au sujet de la mobilité.
Si l’on se penche dans un premier temps sur l’idée selon laquelle l’EC serait « un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources ainsi que la production des déchets »[1] ; alors toute innovation dans le secteur de l’optimisation des ressources et de la supply chain, des circuits courts, des modes de transport propres (fluvial, rail), de la mutualisation des modes de transport est concernée. Dans tous ces domaines, de nombreuses entreprises innovantes ou startups se développent rapidement depuis maintenant plus d’une dizaine d’années.
Pour limiter la consommation et le gaspillage de ressources, certains entrepreneurs se sont ainsi employés à limiter les déplacements superflus. En France, on peut citer des initiatives comme Citodi qui a développé une solution de livraison automatique et d’optimisation de tournées en temps réel ou Karos qui apprend les habitudes de déplacements de ses utilisateurs pour prédire leurs prochains trajets et leur proposer des solutions de covoiturage pendulaire.
Parce qu’on pollue parfois plus à l’arrêt, Wintics et QuantCube Technology ambitionnent de prédire la congestion routière et de mettre fin à la surconsommation qu’elle occasionne.
D’autres acteurs se proposent d’agir sur la surconsommation à la source et travaillent comme le font alertgasoil™ et Openairlines sur une solution de suivi de la consommation de carburant, ou comme SP3H sur l’analyse du carburant du véhicule pour en optimiser la consommation en temps réel. Plus ambitieux encore, HySiLabs développe une technologie permettant de stocker de manière stable l’hydrogène, espérant ainsi faire à termes de la voiture un mode de transport propre.
Sur le sujet, il est également impératif de se pencher sur les nouveaux modes de consommation de la mobilité. La récente floraison de solutions de locations de courte durée pour tous types de véhicules – voitures avec Ubeeqo, Drivy et Travelcar, scooters avec Cityscoot et Coup, vélos avec Mobike, Ofo, Obike et DonkeyBike, et même trottinettes avec Dott, Lime et Bird – encourage à considérer la mobilité comme un secteur de services plutôt que de produits, à penser un monde dans lequel nous ne sommes plus propriétaires, mais utilisateurs d’un véhicule. Actuellement très tendances, ces solutions ont le mérite de questionner à grands bruits le statut et l’utilisation qui est faite du moyen de transport – en milieu urbain notamment.
Recyclage et hiérarchie des modes de traitement
Si l’on intègre maintenant au concept d’EC l’idée « de rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) pour un modèle économique ‘circulaire’ »[2], le champ des innovations dans le domaine de la mobilité se resserre, jusqu’à se restreindre aux notions de récupération et de recyclage de matériaux ou éléments issues d’une première utilisation.
Cette définition, qui s’inscrit dans la droite ligne de la hiérarchie des modes de traitement des déchets, définis par les articles L541-1 et suivants du code de l’environnement (prévention pour limiter la production de déchets ; préparation en vue de la réutilisation ; recyclage ; valorisation, notamment énergétique ; élimination), s’articule autour de 5 grands principes :
- Revaloriser les déchets en nouvelles sources d’énergie
- Réparer le matériel pour allonger sa durée de vie
- Recycler les produits, en proposant des ressources aux autres filières
- Réutiliser du matériel directement ou indirectement sur le réseau
- Repenser les matériaux du futur.
Dans le domaine de la mobilité, l’automobile fait assez logiquement figure d’exemple. Faite de pièces consciencieusement attachées pour être aisément détachables, l’automobile se prête bien au jeu triple de la réparation, de la réutilisation et du recyclage. C’est le terrain de jeu d’entreprises comme Carfit, qui facilite l’entretien automobile en proposant une maintenance prédictive grâce à l’analyse des vibrations du véhicule. Toutefois, la plupart de ces activités sont aujourd’hui animées par les industriels eux-mêmes.
Les grands acteurs de la mobilité encore devant les startups
Parce qu’elles ne contrôlent pas l’ensemble de la chaîne de production, les petites structures peinent encore à mener à bien des projets d’économie circulaire.
Une initiative d’économie circulaire n’est possible qu’en repensant la chaîne de production dans son ensemble et en facilitant, entre bien d’autres choses, l’extraction des matériaux recyclables. Décorrélée d’une refonte générale du système et d’une initiative d’éco-conception, l’intégration de solutions « sur étagères » n’est que rarement la bonne réponse à la question d’avenir que pose la notion d’économie circulaire.
L’absence de modèles d’affaires convaincants explique aussi la rareté de potentiels nouveaux acteurs et le manque d’investissements privés sur le secteur[3]. De fait, une majeure partie des projets d’EC sont des initiatives menées par des grands groupes, qui possèdent plus de ressources, une source de financement plus sûre, une meilleure appréhension du risque et souvent un besoin plus important de « soigner leur image ».
En France, on note bien l’existence de projets comme Carwatt qui propose de transformer les véhicules utilitaires urbains en véhicules électriques à partir de batteries de voitures recyclées ou encore un projet mené par l’INRA qui vise à développer l’utilisation du biohythane – produit à partir d’un mélange hydrogène (5% à 20%) et de méthane issu de déchets ménagers – comme carburant propre. On peut également citer de belles initiatives, comme celle d’Ecolog Innovation, qui recycle les parties caoutchoutées des pneumatiques et participe à leur revalorisation en les transformant en protections industrielles. Toutefois, sur le domaine, il semble que ce soit finalement les grands groupes qui se montrent, par nécessité, les plus ambitieux.
PSA, Renault ou Michelin intègrent de fait de plus en plus l’idée d’EC dans la chaîne de valeur de leurs produits et la SNCF développe de sérieuses initiatives de recyclage et de revalorisation de ses ressources et de ses déchets :
- Le groupe PSA a créé une business unit spécialement dédiée à l’EC et à l’après-vente. PSA développe et propose ainsi, via plusieurs des marques du groupe, une offre de pièces issues de l’EC et de services de réparation et de recyclage, ainsi qu’une nouvelle gamme de véhicules électriques et une solution de free floating. Cette démarche est évidemment complémentaire de l’écoconception des véhicules, en amont, ainsi que de leur recyclabilité, en aval.
- Le plan d’économie circulaire de Renault repose également sur une éco-conception attentive de ses véhicules (utilisation de matière recyclées, limitation des déchets, etc…) ainsi que sur une gestion intelligente de la fin de vie de ses produits (pièces et matières intègrent un nouveau cycle de production). Ainsi, le groupe propose des pièces 30 à 50% moins chères issues du recyclage et parvient à sauver de la casse l’équivalent de 2500 véhicules par an. A titre d’exemple, 17% de la masse plastique du modèle Renault Captur vient de matière recyclée. « On est convaincu que l’automobile est un objet dont les caractéristiques sont très favorables à l’approche de l’économie circulaire. Les produits manufacturés peuvent être fabriqués au moindre coût énergétique et réintégrés dans le processus de production sans générer de déchets, grâce à leur réutilisation, leur réparation ou leur re-fabrication »[4].
- Via Effifuel, Michelin propose depuis 2002 un service complet de gestion des pneus aux entreprises de transport routier et garantit au client, non seulement une économie annuelle en carburant, mais aussi des formations à l’éco-conduite et un suivi du comportement des chauffeurs. Le groupe insiste également sur sa capacité à réparer, recreuser et rechaper les bandes roulantes des pneus (surtout des poids lourds) ainsi qu’à recycler les pneus (via l’initiative Aliapur). De plus, 25% de la matière première des pneus Michelin est désormais renouvelable (notamment le caoutchouc naturel).
- SNCF Réseau réutilise ses rails en acier quand leur niveau d’usure le permet et le ballast est réutilisé après criblage. Les traverses en bois sont incinérées et valorisées énergétiquement, les traverses en béton broyées et la grave béton valorisée en sous-couche routière ou en assainissement. Le groupe SNCF collabore également avec MyTroc.com, plateforme d’échange de biens et de services, pour lutter contre le gaspillage de matériel et limiter la surconsommation.
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Upcycling et circularité
En conclusion, il nous faut dire que, bien que très utiles et extrêmement encourageantes, toutes ces initiatives demeurent des solutions d’appoint, qui ne font que retarder l’échéance et l’action de jeter. L’éco-consommation limite le gaspillage ; le recyclage accorde une seconde vie à un produit ; pourtant, en dépit d’une consommation plus raisonnée et d’efforts réels de recyclage, l’action de destruction de valeurs ne disparaît pas. Si, grâce à cette somme d’initiatives, il semble possible de ralentir la raréfaction des ressources, la pénurie n’en demeure pas moins, à termes, inexorable.
En effet, à la différence du surcyclage, le recyclage ne permet qu’une transformation par le bas, par séparation de ce qui est et de ce qui n’est pas transformable, par recomposition des matériaux en un produit moindre et donc naturellement in fine par destruction d’une partie de la valeur. Ce schéma est par définition contraire à l’économie circulaire, telle qu’elle a été rêvée : circulaire et donc éternelle.
Seul le surcyclage – ou “upcycling” – qui ambitionne de récupérer des matériaux ou des produits pour les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d’utilité supérieure semble à même de répondre aux impératifs que posent un modèle véritablement circulaire. Celui-ci contraint toutefois à penser une chaîne de production infinie et à imaginer chaque transformation comme une seule petite étape de la vie du produit. Toute transformation ou re-production doit alors s’accompagner d’une réflexion sur « l’étape d’après » et s’imposer une éthique d’éco-conception qui autorise la réinjection des nutriments techniques et naturels dans un produit futur.
Il s’agit de construire tout un écosystème de bonnes pratiques et de co-responsabilité et d’inventer de nouveaux modèles d’affaires, seul à même de nous sortir de la vision apocalyptique d’un système d’hyper-croissance autodestructeur. In fine, il en va de notre capacité à faire rimer croissance avec d’autres termes qu’« irraisonnée ».
Un grand merci à Laurent Chhuon-Nougarede et Roland Huyghues Despointes pour leur aide et leur importante contribution.
[1] Première partie de la définition proposée par le Ministère de la Transition écologique et solidaire : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/leconomie-circulaire
[2] Seconde partie de la définition proposée par le Ministère de la Transition écologique et solidaire : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/leconomie-circulaire
[3] Sur Paris, Paris & Co est le seul incubateur à s’être doté d’une équipe dédiée aux initiatives d’économie circulaire, le Rolling Lab.
[4] http://www.casabee.eu/la-mobilite-a-lheure-de-leconomie-circulaire/
Analyste au Hub de Bpifrance, Ulysse Vallier accompagne les directions d’innovation de grands groupes français et internationaux dans la structuration de leurs enjeux technologiques et organisationnels et travaille à leur présenter des startups qualifiées, capables de répondre à leurs problématiques d’innovation. Il s’intéresse aux secteurs de l’économie circulaire, du new space et de l’industrie 4.0, mais aussi aux nouveaux modes de consommation, de travail et d’apprentissage.
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