Nous avons réuni début juillet Emmanuelle Flahault-Franc, directrice de la communication chez Iris Capital, et Christopher Abboud, directeur de la communication Europe du Sud chez Stripe, pour offrir un retour d’expérience utile à nos startups/scaleups en hyper croissance.
Ce jour-là une question allait rythmer cette discussion passionnante : comment bâtir l’image et protéger la réputation de mon entreprise ?
La communication, une fonction stratégique
Dans la plupart des entreprises et particulièrement au sein des startups américaines, la communication occupe une fonction stratégique. La personne en charge de l’image et de la réputation de l’entreprise dépend directement des fondateurs. Elle est souvent recrutée très tôt dans le cycle de vie d’une entreprise, et c’est l’une des fonctions qui scale le plus rapidement à l’international. De fait, la fonction communication a tendance à rester dans le scope direct des fondateurs/trices, surtout dans le cas de startups innovantes.
Ainsi, occuper le poste de directeur/trice de la communication, c’est être très proche des entrepreneurs, en ligne directe avec le COMEX. Le niveau d’information partagé doit être des plus élevés pour permettre au directeur/à la directrice de la communication d’orchestrer les prises de parole, d’anticiper les risques, de rebondir sur l’actualité, tout en maîtrisant parfaitement les messages à porter, les produits et services à mettre en avant, les chiffres clés les plus vendeurs, les éléments moins simples à expliquer, ainsi que ceux à ne pas pousser.
Cette manière de traduire les faits en histoires est une véritable expertise qui ne peut s’exprimer sans partage direct et transparent de l’information de la part des fondateurs/trices.
Le ou la dircom est en charge l’image de l’entreprise et de sa réputation, en positif comme en négatif : son objectif numéro 1 est d’aligner la perception des parties prenantes à la réalité de ce qui se passe au sein de l’entreprise, étant entendu que pour toute entreprise en hyper croissance, la vérité d’un jour ne dure pas très longtemps.
L’ancien PDG Google, Eric Schmidt, a dit un jour « quand on critique les autres, on parle des autres, pas de soi ». Il n’y a qu’à comparer le nombre de fois où Steve Balmer, le PDG de Microsoft à l’époque, citait Google en interviews et conférences comme le concurrent principal de son groupe et l’attractivité provoquée envers les produits Google : il s’agit donc d’apprendre à parler de sa boite, de ses forces et richesses et non de celle des autres en s’y comparant. Car dire « on est meilleur qu’un tel », c’est offrir une tribune de premier choix à son compétiteur.
Quand il s’agit de se positionner, il est pour autant indispensable de connaître l’espace dans lequel votre entreprise sera naturellement amenée à être catégorisée, et tenter d’influencer la grille de lecture selon laquelle vous serez évalué. C’est ce que Google a très bien fait sur le marché de la publicité en ligne, en éduquant le marché autour de son approche du Search, puis Facebook, sur son approche du Social.
Par ailleurs, le rôle de la communication est aussi d’affiner la vision et la mission de l’entreprise, et de préparer et de coacher les dirigeants pour qu’ils l’incarnent, et la porte en interne, comme en externe. Ce n’est pas toujours un travail facile car certains ont parfois du mal à sortir du quotidien et à prendre le recul nécessaire pour se projeter à long terme. Quant à la prise de parole, rares sont les dirigeants qui aiment naturellement ou savent parler en public ou à la presse. Une autre facette du métier du communicant est donc de coacher, et de faire progresser le/la porte-parole. Il ne faut pas avoir peur de dire à un speaker que sa prestation était médiocre si l’on est en mesure de lui donner les clés de son amélioration : préparation, coaching avec des professionnels, travail sur les messages, l’attitude face à une grande audience ou à un journaliste curieux….
Des entrepreneur(e)s starifié(e)s
C’est d’autant plus vrai et important qu’aujourd’hui les médias ont starifié les entrepreneurs, comme le prouvent la notoriété (et la personnalisation) de Elon Musk et Mark Zuckerberg ou encore Steve Jobs à l’époque, des personnalités derrières lesquels s’effaçait souvent l’entreprise ou le produit.
C’est un phénomène assez récent car historiquement la technologie n’a jamais eu besoin d’un humain pour se vendre ou diffuser un message, le produit suffisait à lui-même. Mais avec la multiplication des entreprises, le modèle traditionnel a été bouleversé, notamment en raison de la forte concurrence sur le marché US, qui a amené les entreprises à se différencier sur leur mission de long terme et leur vision de la société. Le fondateur est dès lors souvent perçu comme un prophète, voire même un messie pour une certaine catégorie de ses adorateurs. Alors faut-il jouer le jeu de la personnalisation ? Pourquoi pas, mais à condition d’avoir quelque chose à dire, le talent de le dire avec brio, et surtout le temps et l’énergie à consacrer à des prises de parole.
Mais cette starification des fondateurs/trices correspond-t-elle réellement aux hommes et femmes qui ont ce rôle ? Aux USA, une grande majorité des entreprises Tech à succès que nous connaissons aujourd’hui ont été fondées par des développeurs. Ils n’avaient pas choisi d’être sur le devant de la scène dans leur cursus mais le paysage concurrentiel s’est tellement transformé que la technologie ne suffit plus, et l’incarnation de marques par ces personnes rassurantes s’est imposée comme le nouveau standard. Pourtant connaissez-vous les fondateurs de Slack ? Dropbox ? Adobe ? Le modèle du/de la CEO star n’est videmment pas obligatoire pour réussir !
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La quête du “Next big thing”
Face à l’euphorie ambiante autour de l’écosystème technologique, il est indispensable de garder la tête froide. Si une levée de fond est une bonne occasion de communication, elle n’est jamais une fin en soi. Il en va de même sur les chiffres et indicateurs de performance d’une entreprise.
Quand il s’agit de partager des chiffres clés, il faut avoir conscience de l’impact à moyen ou long terme que cela peut représenter. Tout d’abord, c’est un indicateur de performance servi sur un plateau à vos concurrents. Ensuite, c’est une trace indélébile qui risque de vous hanter pendant quelques années, par exemple si vous pivotez, ou que vous vous rendez compte que l’indicateur que vous suiviez n’était pas pertinent. Aujourd’hui, l’écosystème français est plus jeune et moins compétitif que le marché US. Il permet d’être plus créatif dans la façon de communiquer. Mais si vous êtes en hyper croissance, tous les éléments clés que vous partagerez sur votre entreprise laisseront une trace et risquent de revenir vers vous : tout chiffre donné à un média ou un événement se retrouvent encore en ligne plusieurs années après leur sortie, Quand il s’agit d’exposer des chiffres, mieux vaut être un peu conservateur et surtout ne jamais mentir…
C’est pour cette raison que les entreprises US sont aussi conservatrices avec leurs chiffres, car le retour de bâton peut faire très mal. Les entreprises françaises l’ont pour certaines compris mais la tentation du raccourci qui vous permettra de vous afficher dans un média spécialisé est parfois si tentante : quand vous vous faites mousser avec un chiffre clairement gonflé vous risquez aussi de vous faire traiter de menteur/euse par vos futurs clients et investisseurs qui auront accès à vos chiffres réels.
Nous citerons en exemple Twitter qui avait conditionné l’ensemble de son marché en donnant régulièrement des chiffres sur son nombre d’utilisateurs mensuels, le standard imposé quelques années plus tôt par Facebook. Pendant des années, les analystes ont été obsédés par ce chiffre, et son évolution, quand bien même l’entreprise créé par Jack Dorsey avait rapidement changé son fusil d’épaule, et concentrait en réalité ses efforts sur un usage quotidien de la plateforme. Il a fallu plus de 4 ans pour que le marché accepte enfin de s’intéresser à un indicateur quotidien.
En France il y a une vraie compétition des startups pour se faire connaître, pour se faire voir, parfois sans précaution suffisante dans les chiffres qui sont donnés.
La communication à l’américaine, contrôlée et avare de chiffres, on l’aime ou on ne l’aime pas, mais elle résulte d’une véritable maîtrise des informations comme des risques à moyen et long terme pour l’entreprise. Car sachez une chose : un journaliste cherchera toujours à vérifier ce que vous dites, maintenant ou plus tard et les chiffres sont constamment recoupés. Et s’il ne le fait pas, votre concurrent ne se fera pas prier pour vous décrédibiliser.
Responsable des Relations Média et Externes chez Bpifrance Le Hub, Benjamin Sasu est passionné par l’écosystème startup et oeuvre à son rayonnement.