Claire Lebarz : construire une technologie éthique au service de l’avenir du travail
Claire Lebarz, CTO de Malt, nous partage ici en toute humilité ses bonnes pratiques de management d’une équipe tech acquise au travers de ses nombreuses expériences aux États-Unis comme en France. Bien que sa formation plutôt scientifique laisserait penser que pour elle KPI et rigueur seraient les clés du succès, c’est une vision bien plus pragmatique du management et tournée vers l’humain qu’elle nous dévoile dans cet entretien.

De la Silicon Valley à Paris : un parcours d’exception autour de la data
Après des études en mathématiques appliquées, Claire Lebarz entame une thèse en économie dans un contexte de post-crise des subprimes. Le besoin de comprendre le monde la pousse vers la recherche, mais elle se heurte rapidement aux limites du milieu académique : lenteur, politique, impact concret limité.
Lors de ses études à Berkley, elle rencontre des ingénieurs de la Silicon Valley, et découvre le monde de la data science. Elle comprend alors qu’elle peut appliquer son savoir-faire au monde de la tech avec des produits plus concrets et qui ont plus d’impact.
Elle reste alors aux États-Unis et quitte l’univers académique pour rejoindre Turo, une entreprise de location de voiture entre particuliers, puis Airbnb, où elle passe six ans. En 2020, la crise sanitaire marque un tournant, face à un rythme effréné et une course aux profits, Claire éprouve un besoin grandissant de se recentrer sur ses valeurs et ce qui compte pour elle. Elle opte pour un retour en France où elle rencontre Hugo Lassiège, le co-fondateur de Malt, qui lui propose de rejoindre l’aventure.
Elle voit ce projet français et européen comme une évidence et une suite logique dans sa carrière. Après avoir travaillé sur une meilleure allocation des voitures à Turo, puis sur une meilleure utilisation des logements chez Airbnb, avec Malt elle s’attaque au sujet du capital humain grâce à cette plateforme qui facilite la connexion entre les freelances et les entreprises. Elle commence alors comme VP Data dans l’organisation, puis Chief Data & AI Officer et se voit vite proposer le poste de CTO, convaincue par ses équipes, elle accepte ce nouveau challenge.
Allez aussi vite à 10 qu’à 1000 personnes
Lorsqu’une entreprise se crée — notamment Malt — elle mise beaucoup sur les contributeurs individuels pionniers qui font avancer les projets. Et lorsqu’elle grossit et commence à se structurer, remarque Claire, la dynamique se casse. Cela se manifeste par des ingénieurs qui ont tendance à attendre que le produit leur dise quoi faire, ou tout simplement par une forme de résignation qui consiste à se dire que les problèmes viennent de la taille de l’entreprise et qu’il faut l’accepter. C’est ce moment qui peut s’avérer critique pour une entreprise que Claire essaie d’enrayer. “À ce moment-là, on devient lent. On embauche des personnes intelligentes et compétentes, mais on n’a pas le résultat espéré, car on ne leur permet pas de résoudre des problèmes et de les soulever.”
Recréer ce souffle initial est justement le défi que Claire se donne dans son rôle de CTO — et c’est aussi ce qu’elle conseille aux autres leaders. Elle souhaite aller aussi vite à 700 qu’à 10 ou 20, et refuse l’argument de la taille pour justifier la lenteur des process: “Il n’y a pas de raisons. Même si on a un milliard de transactions, on est encore petits. J’ai vu des entreprises de 5000 personnes aller plus vite que nous. Il faut recréer cette vélocité de départ, et ça commence par redonner toute leur place aux équipes.” Elle en est convaincue : “Le leadership doit fixer un cap et poser les problèmes à résoudre, mais aussi laisser la place à l’expérimentation, pour que les salariés puissent avancer avec leurs propres solutions.” Et c’est exactement ce qu’elle cherche à développer au travers de son rôle managérial.

Malt Tech Team
L’empowerment, ingrédient essentiel pour révéler le potentiel de l’équipe
Pour mener cette transformation, Claire a commencé par un diagnostic dans lequel elle a impliqué toutes ses équipes. Après avoir partagé sa vision d’une équipe tech du plus haut niveau, elle leur a demandé de l’aider à identifier ce qui bloquait chez Malt pour y parvenir. “C’est essentiel que ce soit l’équipe elle-même qui pose le diagnostic. C’est un élément clé du change management. Car je ne cherche pas un changement ponctuel et pour relancer la machine dans la durée, il faut rendre les gens responsables.” Et comme dans tout changement, il y a ceux qui portent la dynamique, ceux qui suivent… et ceux qui résistent. Il faut avancer avec tout ce monde-là.
Ensuite il ne faut pas se tromper de combat, Claire regrette effectivement que « Lorsqu’on souhaite améliorer la vélocité, on parle beaucoup de métriques. C’est utile, mais c’est aussi dangereux, car cela force à faire des raccourcis sur la réalité. » Et pourtant, elle vient du monde de la donnée ! “C’est beaucoup plus important de changer la culture et les rôles. » conclue-t-elle.
En effet, pour Claire au sein de l’organisation, “la tech” doit contribuer à la stratégie, apporter des points de vue sur le produit, le business plan, et être présente dans toutes les fonctions de l’entreprise. Toutes les équipes doivent aussi réfléchir en permanence en termes de scalabilité et opportunités d’amélioration. Et pour répondre à cet enjeu, elle cherche à diffuser dans l’entreprise un mindset de geek et d’entrepreneur qu’elle privilégie aussi dans ses choix de recrutement.
Préparer le passage à l’échelle de l’entreprise
Un des enjeux majeurs pour une CTO de scale-up est de préparer l’entreprise au passage à l’échelle. Pour cela, Claire s’appuie sur les bonnes pratiques observées lors de son expérience outre-Atlantique.
La stratégie mise en place a d’abord consisté à améliorer l’efficacité en interne afin de poser les fondations, plutôt que de recruter massivement dès le départ. Même logique côté code, où on prépare l’avenir avec une architecture orientée services.
« Pour grandir vite, il est important que les nouveaux contributeurs ne perdent pas de temps à comprendre la complexité du produit », rappelle Claire. Elle souligne également que bien comprendre la stratégie de l’entreprise et les enjeux du produit permet de mieux structurer son code en conséquence et anticiper les itérations potentielles à venir.
L’IA au service des clients, mais attention aux garde-fous
Bien sûr, chez Malt l’IA est utilisée côté produit pour offrir une expérience optimale aux utilisateurs. Dans ce contexte, tout un ensemble de réflexions est engagé autour du choix des modèles, de leur empreinte carbone, et du rôle globalement de l’IA pour les freelances, qui sont au cœur du métier de la plateforme.
Malgré tout son potentiel, Claire souligne que l’IA crée de l’anxiété et amène à se poser beaucoup de questions, qu’elles soient technologiques, de sécurité, éthiques ou écologiques. Parmi les enjeux clés, elle observe celui des compétences nouvelles à aller chercher ou former, notamment sur des sujets légaux ou de compliance, et pour ça les freelances sont un atout pour se lancer. Elle insiste aussi sur l’enjeu éthique et la responsabilité du chacun au sein de l’écosystème pour éviter notamment les biais induits par l’IA.
Enfin, elle invite à réfléchir différemment. Si les KPI comme l’amélioration du NPS ou du taux de conversion font plaisir, elle voit beaucoup de valeur ajoutée à aller chercher les métriques négatives : “Quelles sont les mauvaises expériences que je peux créer ?”, “Quel est mon scénario catastrophe ?”, “Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, on devrait retirer notre produit du marché ?” Une approche particulièrement utile dans le contexte de l’IA, pour se poser les bonnes questions.
L’IA au service de la performance
De l’autre côté, l’IA est aussi employée chez Malt pour améliorer l’efficacité en interne. À ce sujet, Claire a observé plusieurs vagues dans l’adoption de l’IA chez Malt. Au début, elle était réservée à un groupe d’experts (phase pré-ChatGPT), puis elle a été largement utilisée par les métiers comme le content management ou le customer service. Aujourd’hui, l’IA est employée pour transformer plus en profondeur des workflows métier.
Au départ, la stratégie était de développer les modèles en interne pour chaque use case identifié, mais très vite, la stratégie a évolué pour plutôt construire une plateforme qui se nourrit des différentes sources de données internes, permettant à chacun de prendre en main l’IA afin de mettre soi-même en place les use cases pour améliorer ses propres pratiques métier.
« Cela nécessitait beaucoup de recrutements pour tout gérer en interne, tandis que mettre la tech directement entre les mains des employés permet de revoir totalement certains process métiers, et c’est là qu’il y a de la valeur », se félicite Claire de la bonne direction ainsi prise.
Le mot de la fin
Avec son approche authentique et humaine, en tant que CTO, Claire mène de front la transformation de l’entreprise, son passage à l’échelle et le tsunami de l’IA en misant sur le potentiel déjà existant de ses équipes. Nul doute que son expérience hors pair et son humilité font d’elle un nouveau rôle modèle pour d’autres CTO et nous lui souhaitons beaucoup de succès.
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