BATTRI : La revanche industrielle française par le recyclage des batteries

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À Saint-Laurent-Blangy, près d'Arras, une petite révolution industrielle s'opère loin des projecteurs. BATTRI, première usine française de recyclage de batteries lithium-ion, vient de franchir un cap symbolique : prouver qu'une réindustrialisation verte est possible en France avec des moyens limités et sans dépendre massivement de l'argent public.

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Un pari audacieux à 10 millions d’euros

L’investissement initial pour la première ligne de production s’élève à 10 millions d’euros, financés principalement par des fonds propres, du leasing et des dettes à moyen terme. Une goutte d’eau comparée aux gigafactories européennes qui se chiffrent en milliards. La subvention de l’Ademe ? Moins de 5% du montant total. « Nous sommes la preuve qu’il est possible de créer un projet industriel en France, avec peu de moyens, sans subventions, tout en restant compétitif », affirme Sabine, directrice financière de l’entreprise.

Derrière cette frugalité assumée se cache une stratégie claire : démontrer la viabilité économique du modèle avant de solliciter des aides publiques pour la phase d’expansion. Le projet prévoit déjà une deuxième ligne pour porter l’investissement total à près de 20 millions d’euros, cette fois avec le soutien financier de l’État.

La rentabilité dès la première année

Dans un secteur réputé capitalistique, BATTRI réussit l’exploit d’afficher une rentabilité dès sa première année d’exploitation.

Le secret ? Un business model construit pour préserver les marges dans un environnement volatil. « Notre objectif n’est pas de spéculer sur les cours des métaux. Ce n’est pas notre métier », explique la directrice financière. L’entreprise sécurise ses prix dès l’achat des déchets, alignant systématiquement ses coûts d’approvisionnement avec les prix de vente de la « black mass », ce concentré de métaux valorisables.

Cette black mass, justement, constitue le cœur du modèle économique. Elle contient du nickel, du cobalt et du lithium : des matériaux stratégiques dont l’Europe dépend massivement des importations. Si les débouchés commerciaux ne manquent pas, un paradoxe demeure : faute d’usines de raffinage sur le continent, ces matériaux recyclés repartent à l’étranger. « Il reste un bout de chemin pour finir la boucle vertueuse du recyclage », reconnaît BATTRI, qui appelle à de nouveaux investissements dans la chaîne de valeur.

SEVESO et startup : un cocktail explosif pour la trésorerie

Être classé site SEVESO seuil haut en tant que startup relève du défi financier. Les garanties financières réglementaires pèsent lourd sur la trésorerie d’une jeune entreprise qui doit encore faire ses preuves. « C’est très capitalistique. De surcroît quand vous êtes une startup, l’impact cash est encore plus fort », souligne Sabine.

Pourtant, ces contraintes ne freinent pas l’ambition. Le marché européen des batteries usagées explose : rebuts de gigafactories, batteries portables, véhicules électriques, systèmes de stockage d’énergie… Les besoins de recyclage dépassent largement les capacités actuelles. Avec près de 20% de véhicules électriques neufs vendus en France en octobre 2025, le gisement de batteries en fin de vie ne fera que croître dans les prochaines années.

Le capital patient au service de la souveraineté

BATTRI incarne aussi une nouvelle forme d’investissement industriel : le « capital patient ». Ses actionnaires (investisseurs privés européens, industriels comme le groupe minier marocain Managem, et la BPI) partagent une vision long terme. Ils ne cherchent pas le quick win, mais participent à un projet stratégique ayant un impact positif pour les générations futures.

L’implantation dans les Hauts-de-France n’est pas un hasard. Cette région à l’histoire industrielle forte porte une ambition de réindustrialisation. « Notre activité ne peut pas être délocalisée, et par principe notre engagement est ancré dans le long terme », insiste la direction. BATTRI participe ainsi à l’indépendance énergétique française par le recyclage de matériaux stratégiques.

La finance au cœur du réacteur industriel

Dans cette aventure, la fonction financière joue un rôle central. Sabine siège au comité de direction et participe à chaque conseil d’administration. C’est elle qui pilote l’implantation de l’ERP et veille à la maîtrise des coûts industriels. « La Finance est juste primordiale, encore plus dans une startup industrielle », martèle-t-elle. Les reporting aux actionnaires sont déjà en place, les hypothèses budgétaires révisées régulièrement.

Cette rigueur financière s’avère d’autant plus nécessaire que le contexte a changé. Fini l’engouement du post-Covid pour les projets verts. Depuis plus d’un an, les partenaires financiers se montrent plus prudents, influencés par la situation géopolitique et économique. Être une entreprise « verte » ouvre des portes, les investisseurs cherchent à verdir leurs portefeuilles, mais n’exonère pas de prouver sa rentabilité.

Une première pierre pour une ambition plus large

BATTRI se définit modestement comme « une première pierre » de la réindustrialisation verte française. L’entreprise optimise actuellement le ramp-up de sa ligne de recyclage et prépare déjà son développement futur. Les projets stratégiques restent confidentiels, mais l’ambition est claire : augmenter les capacités pour répondre aux différentes demandes d’un marché en pleine explosion.

Dans un pays qui doute parfois de sa capacité à réindustrialiser, BATTRI apporte une démonstration concrète. Oui, on peut créer une usine en France. Non, il ne faut pas forcément des milliards de subventions pour démarrer. Oui, la rentabilité peut être au rendez-vous rapidement. Le tout en contribuant à l’économie circulaire et à la souveraineté énergétique.

En parallèle, l’écosystème batteries français se structure autour de projets d’une toute autre échelle, comme la gigafactory Verkor à Dunkerque, financée à hauteur de plusieurs milliards d’euros via une combinaison de dettes bancaires, de prêts publics (dont la Banque européenne d’investissement) et de garanties de Bpifrance. Pour un CFO, le contraste est éclairant : d’un côté, des actifs industriels massifs, fortement appuyés par la puissance publique et fortement leveragés ; de l’autre, un modèle comme BATTRI, bâti sur 10 à 20 millions d’euros, une frugalité assumée et une rentabilité démontrée dès la première année.

Reste à espérer que d’autres briques viendront compléter l’édifice, notamment ces usines de raffinage qui manquent cruellement au continent pour boucler la boucle du recyclage. Car comme le rappelle BATTRI, « il reste beaucoup à réaliser encore pour atteindre cette indépendance. »

Emilienne Simonet