Le système de santé Français a bâti sa stratégie autour du soin, c’est-à-dire du traitement des phases aigües des pathologies. Dans un contexte de vieillissement de la population, associé à la multiplication des maladies chroniques, on observe une évolution de cette stratégie vers la prévention des maladies et l’accompagnement des patients. Dans ce contexte, la télémédecine représente un axe stratégique afin d’améliorer l’offre de soins et élargir le champ du parcours de soins (prévention, information, soins, accompagnement). Cependant, malgré les avancées réglementaires, la télémédecine reste encore insuffisamment développée. Quel est l’état des lieux ? Quelles sont les perspectives pour la télémédecine en France ?
La télémédecine constitue l’un des sous-domaines de l’e-santé. De manière générale, l’e-santé englobe les innovations d’usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) relatives aux activités en rapport avec la santé.
La Loi Hôpital, Patients, Santé, Territoire (HPST) du 21 Juillet 2009 a permis de définir un premier cadre pour la télémédecine. Il s’agit d’une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé. Il existe aujourd’hui cinq actes possibles en télémédecine : la téléconsultation, la télésurveillance, la téléexpertise, la téléassistance ainsi que la régulation médicale.
La nécessité de répondre à des besoins médicaux spécifiques
L’augmentation de la prévalence d’un certain nombre de maladies chroniques (parmi lesquels le diabète insulinodépendant, l’insuffisance cardiaque, l’hypertension artérielle ou encore l’insuffisance rénale) associées à un besoin de suivi médical important et un accroissement des dépenses de santé a conduit les politiques de santé à opérer un virage stratégique pour accentuer les efforts sur la prévention des maladies et l’accompagnement des patients. Cette stratégie permettra à terme une meilleure gestion des phases aiguës des pathologies chroniques. La France s’est fixé l’objectif d’atteindre 1 million de patients télésurveillés en France en 2020.
Le vieillissement de la population nécessite également le développement de solutions pour la prise en charge des personnes âgées, notamment dans les zones les plus isolées. Les déserts médicaux, zones où le nombre de médecins pour 100 000 habitants est faible (sans qu’un seuil précis soit établi), sont nombreux en France. A titre d’exemple, la moyenne française est d’environ 300 médecins en activité pour 100 000 habitants. Ce chiffre tombe à 180 dans l’Eure alors qu’il atteint 798 à Paris. La télémédecine est une des solutions préconisées pour répondre aux besoins associés aux déserts médicaux et ainsi garantir un accès aux soins pour tous. Toutefois, afin de proposer une offre de télémédecine réellement efficace, il est nécessaire d’améliorer au préalable la « connectivité » de certains départements afin de garantir une communication médecins-patients fiable.
La volonté des pouvoirs publics de généraliser l’utilisation de la télémédecine sur le territoire est une opportunité majeure pour les acteurs du domaine.
Aujourd’hui, si la télémédecine est encore insuffisamment développée pour lutter efficacement contre les déserts médicaux, il faut noter l’augmentation du nombre de projets de télémédecine en phase d’expérimentation (331 projets dénombrés en 2013 en France). Ces phases pilote ont pour but de valider la pertinence de l’offre avant de l’étendre éventuellement à une zone géographique plus importante. La télémédecine présenterait également l’avantage de réduire les délais de rendez-vous. Il s’agit d’un réel problème que les patients rencontrent fréquemment en EHPAD. En effet, ces délais pouvant aller jusqu’à plusieurs mois pour certaines spécialités, certains patients renoncent à se soigner.
La télémédecine fait également face à un enjeu économique. En effet, à l’heure où les dépenses de santé croissent aujourd’hui plus fortement que le PIB, il y a une volonté des pouvoirs publics de mieux maîtriser les dépenses liées à la santé. La télémédecine, par une meilleure prévention des risques ainsi que par une optimisation de l’organisation des soins, permettrait de faire des économies substantielles au système de santé (redondance des actes, frais d’hospitalisation liés à une crise aigüe).
Qui sont les acteurs de ce marché ?
Le marché de la télémédecine est encore balbutiant en France (estimé à 156 M€ en 2016).
Toutefois, les avancées réglementaires (ayant un impact fort sur les modèles économiques dans la prise en charge des actes) et l’intérêt croissant des grands groupes pour ce secteur montrent un important potentiel de marché. Dans son étude de 2012 sur la télémédecine, le Syntec avait établi différents scénarii d’évolution du marché qui soulignent la dépendance du marché aux évolutions réglementaires et l’implication des pouvoirs publics. Par ailleurs l’usage du numérique n’exploitera réellement toute sa valeur ajoutée que si son usage est généralisé sur l’ensemble de la chaine. Ainsi la télémédecine n’aura un impact réellement favorable que dans le cas où l’ensemble des acteurs y contribuent.
Le secteur de la télémédecine fait intervenir des acteurs avec un spectre d’activités très large.
De par la diversité des produits nécessaires à la réalisation d’actes de télémédecine et de l’e-santé de manière plus générale, la typologie des acteurs est très variée : grands groupes (laboratoires pharmaceutiques, éditeurs de logiciels, hébergeurs de données), PME et startups (fabricants de dispositifs médicaux notamment). Les entreprises françaises sont globalement bien positionnées en termes d’innovation sur le marché de l’e-santé, en particulier dans les domaines des objets connectés et de la robotique. Cela s’est d’ailleurs concrétisé par une présence forte au CES 2017 à Las Vegas, où plus de 275 sociétés françaises étaient présentes (tous secteurs confondus). Les startups françaises positionnées sur la télémédecine représentent par exemple 40% des nouveaux appareils de mesure référencés sur le marché, plaçant la France en pointe sur ce segment.
Les assurances et mutuelles voient également dans la médecine prédictive et les objets connectés un moyen d’améliorer leur connaissance des risques de santé.
Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ont également un rôle à jouer dans ce domaine par leur capacité à récupérer, stocker et traiter des données en grande quantité.
Ainsi le secteur de la télémédecine est propice aux alliances permettant de réunir des compétences numériques fortes et une connaissance de l’écosystème médical. Les différents exemples de deals font état de l’intérêt des grands groupes à suivre ce virage stratégique. Que cela soit pour mutualiser les compétences ou faire évoluer son offre en y intégrant des solutions plus innovantes, les partenariats stratégiques vont tendre à se multiplier entre les différents acteurs tant les besoins associés au secteur sont complexes et variées (réglementaire, médical, technologique).
Un secteur propice aux alliances stratégiques
En Septembre 2016, SANOFI et VERILY (filiale santé d’Alphabet, Google) ont réalisé une joint-venture pour donner naissance à ONDUO avec comme mission le développement d’objets connectés dans le monde du diabète. Onduo pourra ainsi bénéficier des compétences de Verily en matière d’électronique miniaturisée, de techniques analytiques et de développement de logiciels grand public et également du savoir-faire et de l’expérience clinique de Sanofi. Le laboratoire NOVARTIS s’était également associé avec Verily en 2014 pour mettre au point des lentilles connectées à des fins médicales.
Le groupe SERVIER a conclu un partenariat avec la société nancéienne CARDIORENAL afin de développer un outil de télémédecine permettant de mieux suivre les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. A terme, le dispositif permettra de réduire l’impact de cette pathologie sur les dépenses de santé en évitant notamment des hospitalisations. Plus récemment, le groupe CEGEDIM a développé un partenariat commercial avec la société VISIOMED. Cegedim pourra ainsi intégrer dans son offre le dispositif Visiocheck, station de télémédecine portative rassemblant l’essentiel des besoins d’un médecin généraliste lors d’une consultation.
Dans le même registre, la société ACETIAM (du groupe MNH), issue de la fusion des sociétés françaises Etiam et Accelis au mois de mai 2017, s’est associée à la société BEPATIENT pour le déploiement de solutions de télémédecine en France et en Europe.
Plus récemment, le groupe AXA s’est associé à la société H4D, qui développe la « consult station », cabine dédiée à la téléconsultation. Cette cabine permet au patient de réaliser un bilan de santé ou de bénéficier d’une téléconsultation en visioconférence avec les médecins d’AXA assistance. La société d’assurance mettra à disposition la cabine de ses entreprises assurées. Cette alliance témoigne de l’intérêt des sociétés d’assurance et mutuelles pour les innovations en télémédecine.
La cybersécurité : une partie intégrante de la e-santé
La prise en compte de la composante cybersécurité par les industriels est aujourd’hui indispensable, qu’elle concerne la sécurisation des dispositifs médicaux connectés ou la protection des données de santé des patients. A ce sujet, le Règlement Général sur la Protection des Données personnelles (RGPD) entrera en application en Mai 2018. Il permettra notamment de renforcer le droit des personnes et de responsabiliser les acteurs traitant les données.
Les cyberattaques par ransomware (logiciel de rançon) ciblant les hôpitaux, les institutions publiques comme cela a été le cas récemment avec le National Health Service (NHS, service national de santé britannique) ou les firmes pharmaceutiques sont de plus en plus fréquentes. Les surfaces d’attaque sont de plus en plus nombreuses en raison de la multiplication des supports (smartphone, dispositifs médicaux…). Si la notion de cybersécurité peut être perçue comme une contrainte et un coût supplémentaire pour l’entreprise, elle est pourtant indispensable pour assurer la pérennité du modèle économique de l’entreprise et peut lui conférer un avantage concurrentiel.
Il s’agit d’un élément que les différents acteurs doivent prendre en compte dans leur stratégie afin de pouvoir proposer une solution à la fois efficace sur le plan de la santé et fiable sur les aspects sécuritaires.
Vers une évolution réglementaire ?
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018 (PLFSS 2018), adopté en décembre dernier, a entraîné le basculement dans le droit commun du financement des actes de télémédecine, et plus particulièrement de la téléconsultation (la télésurveillance demeure dans le domaine de l’expérimentation). En codifiant de nouveaux actes remboursés par la sécurité sociale et en les inscrivant dans la convention médicale, cela encouragera chaque médecin à pratiquer davantage d’actes de télémédecine. Auparavant, un médecin souhaitant se lancer dans la télémédecine devait contractualiser avec l’Agence Régionale de Santé, ce qui complexifiait sa mise en place à grande échelle.
La prise en charge d’actes de télémédecine aura également un impact fort sur les sociétés développant des solutions de télémédecine, qui peinent encore aujourd’hui à trouver un modèle économique viable. Une plus grande utilisation de la télémédecine associée à une prise en charge simplifiée élargirait le spectre de clients potentiels.
Ces avancées réglementaires sont impulsées par les autorités de santé, qui se sont fixées comme objectif l’atteinte en 2020 d’un taux global national de chirurgie ambulatoire de plus de 60%. Cet objectif s’opère dans le cadre du virage ambulatoire prévu dans la stratégie nationale de santé.
Télécharger l'étude du PIPAME sur la e-santé
« Prospective e-santé : faire émerger l’offre française en répondant aux besoins présents et futurs des acteurs de santé »
Dans un contexte où l’on évoque fréquemment la smart city, la télémédecine est un enjeu incontournable de la pratique médicale du futur. En effet, la possibilité d’assurer les consultations ainsi que le suivi à distance des patients permettrait de répondre à un certain nombre de problématiques actuelles, comme l’efficience des soins, la gestion des dépenses de santé ou encore l’organisation globale des soins. Si la filière de la télémédecine a encore besoin de se structurer, il est également nécessaire que les différents acteurs adoptent cette nouvelle forme de pratique médicale à distance. La télémédecine vient bouleverser le paradigme de la médecine, que cela soit pour les professionnels de santé, les payeurs et les patients eux-mêmes.
Responsable Sectoriel Santé chez Bpifrance, Jérémy Berthuin suit de près des projets du secteur de la santé (biotech/medtech/e-santé) dans le cadre des Programmes d’Investissement d’Avenir et aides Bpifrance.