Entreprises créatives : sept conseils pour réussir sa levée de fonds
Près de 5 000 participants se sont retrouvés au Palais Brongniart pour l’édition 2025 de We Are French Touch, le grand rendez-vous de l’économie créative porté par Bpifrance. L’événement réunit l’ensemble des huit verticales qui composent cette économie : jeu vidéo, cinéma, audiovisuel et médias, réalités mixtes, édition, musique, mode et création, arts visuels et patrimoine, architecture, design et métiers d’art.
L’événement confirme la vitalité d’un secteur qui pèse 5 % du PIB français et dont l’influence dépasse largement sa contribution économique. Mais, il met aussi en lumière une réalité encore tenace : lever des fonds reste un exercice délicat pour les entreprises créatives, dont les modèles échappent souvent aux standards de l’investissement.
Au cours d’un atelier très suivi, Julie Momas, investisseuse chez Bpifrance French Touch Capital, et Johanna Tircazes, responsable accompagnement chez Bpifrance Le Hub pour le compte de French Touch Capital, ont partagé les fondamentaux d’une levée de fonds réussie pour les entreprises créatives. Voici leurs principaux conseils.
Conseil n°1 : Clarifier la raison qui justifie une levée
Les entreprises créatives, comme toutes les autres, cèdent facilement au réflexe de lever des fonds dès que leur activité s’accélère. Or, la levée n’a de sens que si un besoin concret la motive. Elle intervient par exemple pour financer un cycle de production, consolider une équipe, développer un marché, préparer un lancement international ou recomposer un actionnariat.
Une entreprise rentable, capable de financer sa croissance, n’a pas forcément de raison d’ouvrir son capital. Cette lucidité évite de confondre succès médiatique et nécessité stratégique.
Conseil n°2 : Avancer au bon moment
Un tour de table se joue autant sur le fond que sur le timing. Lever trop tôt revient à solliciter un investisseur sans preuves tangibles. S’occuper trop tard de sa levée place la direction dans une position fragile où la négociation devient défensive. Le bon moment correspond à une période où la traction commence à apparaître, par exemple quand un partenariat stratégique vient d’être signé ou qu’un produit est sur le point d’être lancé.
Le timing traduit aussi une maturité. Savoir attendre une dynamique favorable plutôt que solliciter un investisseur dans une phase de stagnation peut changer l’issue du processus.
Conseil n°3 : Se préparer à un processus long et exigeant
Une levée est un processus chronophage. L’instruction d’un dossier, les rendez-vous, les questions-réponses, la négociation de la valorisation, les audits financiers, juridiques, fiscaux et sociaux, jusqu’au pacte d’actionnaires, s’étendent généralement sur quatre à douze mois.
Ce calendrier suppose de maintenir l’activité en parallèle, sans ralentir la production ni les ventes. Pour beaucoup d’équipes, un accompagnement extérieur ou un renfort temporaire évite de s’essouffler et sécurise l’avancée du process.
Conseil n°4 : Comprendre comment un investisseur analyse un dossier créatif
Les spécificités des industries créatives compliquent la lecture des dossiers. Ces industries de contenus ou de prototypes ont un fort aléa créatif : leur valeur repose sur une propriété intellectuelle ou sur un ADN de marque difficile à valoriser. De plus, les cycles de production sont très longs et elles s’appuient souvent sur un profil fondateur avec un talent créatif fort, mais souvent en apprentissage sur les fonctions financières et opérationnelles.
Face à cela, les investisseurs ramènent l’analyse à quelques éléments stables : l’équipe dirigeante et sa capacité d’exécution, les actifs différenciants qui renforcent la valeur du projet, la dynamique de marché et le positionnement réel de l’entreprise, ses performances financières et premiers signes de traction commerciale, ainsi que la trajectoire à cinq ans et les scénarios de sortie possibles. Deux entreprises créatives peuvent proposer des produits similaires : celle qui convainc est souvent celle qui montre une exécution claire et une vision maîtrisée.
Conseil n°5 : Structurer un deck et un business plan impeccables
La narration est un réflexe naturel dans les industries créatives, mais elle ne suffit pas pour convaincre un investisseur. Un deck rigoureux permet de rendre lisible ce qui, dans la création, relève souvent de l’intuition. Il doit présenter l’équipe, la dynamique du marché, le positionnement et la proposition de valeur, le modèle économique actuel et sa projection de croissance s’appuyant sur des hypothèses crédibles et des données sectorielles pertinentes. Le deck doit aussi détailler l’usage précis des fonds : R&D, coûts de développement, recrutements, dépenses marketing ou commerciales, etc..
Une valorisation devient alors une discussion structurée et non un chiffre plaqué sur une ambition. Elle dépend des sommes nécessaires au financement de la croissance, de la dilution acceptable, des comparables de marché et du potentiel de création de valeur.
Conseil n°6 : Choisir les investisseurs capables de comprendre une logique créative
Les investisseurs spécialisés dans les industries créatives restent minoritaires, mais ils existent et progressent. Fonds dédiés au jeu vidéo, fonds consumer et beauté, fonds entertainment, fonds généralistes qui s’intéressent à ces secteurs, family offices sensibles aux marques, acteurs corporate cherchant des relais stratégiques, sans oublier les investisseurs publics.
Les entreprises qui réussissent leur levée sont souvent celles qui sollicitent les acteurs familiers des rythmes créatifs, des cycles longs et des indicateurs spécifiques à chaque verticale. Le niveau de valorisation ne peut pas être le seul critère. Un partenaire capable d’accompagner, de structurer et d’ouvrir un réseau vaut parfois davantage qu’une valorisation supérieure proposée par un fonds qui n’apporte pas de valeur spécifique.
Conseil n°7 : Préserver sa majorité et choisir le bon partenaire pour accompagner sa croissance
Les intervenantes l’ont rappelé avec force : une entreprise a intérêt à préserver sa majorité au moins jusqu’à la série A. Une dilution précoce limite la capacité des dirigeants à orienter le projet. Une levée réussie consiste à trouver l’équilibre entre la protection de la gouvernance et le choix d’un investisseur qui apporte un effet de levier réel. La valeur d’un fonds réside dans son expertise sectorielle, son réseau, son accompagnement opérationnel et sa présence de long terme, pas uniquement dans le montant investi.
Bpifrance, un maillon structurant pour l’économie créative
Au-delà de cet atelier, We Are French Touch a rappelé la place singulière occupée par l’économie créative dans la stratégie de Bpifrance. Depuis plusieurs années, la banque publique a construit un continuum complet de financement et d’accompagnement qui couvre l’ensemble du cycle de vie d’une entreprise créative. Prêts dédiés, garanties bancaires, soutien à l’innovation, accélérateurs sectoriels, programmes internationaux et animation d’une communauté active autour de la French Touch.
Au sein de ce continuum, French Touch Capital occupe une place particulière et finance en fonds propres les entreprises créatives. Ce fonds de 400 millions d’euros intervient en capital-risque, en capital-développement et en transmission, avec une approche résolument sectorielle. Il s’appuie simultanément sur une expertise fine des industries créatives, sur un accompagnement opérationnel assuré par le Hub et sur la force de la communauté French Touch, qui relie marques, studios, créateurs et entrepreneurs et croise les points de vue des huit secteurs de l’économie créative.
L’objectif est clair : permettre aux entreprises créatives françaises de se financer, de se structurer et de grandir dans des conditions comparables à celles de la tech, tout en préservant la singularité qui fait leur force.
Le Hub