Elkedonia lève 11 millions d’euros pour traiter la dépression autrement

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Après trois ans d’incubation au sein du startup studio Argobio, la biotech Elkedonia prend son indépendance. Grâce à une levée de 11,25 millions d’euros, elle entend développer un traitement innovant contre la dépression résistante, en s’attaquant à des mécanismes intracellulaires jusque-là inexplorés. Une approche prometteuse, à la croisée des neurosciences, de la psychiatrie et de la médecine de précision.  Ce tour de table a été co-dirigé par Kurma Partners, WE Life Sciences et le fonds French Tech Seed géré pour le compte du gouvernement français par Bpifrance dans le cadre de France 2030, avec la participation d'Argobio, Angelini Ventures, CARMA Fund, Capital Grand Est et Sambrinvest.

Delphine Charvin MidRes1

En matière de santé mentale, les besoins non couverts sont immenses. Environ un tiers des 300 millions de personnes atteintes de dépression (chiffres de l’OMS) ne répondraient à aucun traitement existant. Ces formes dites « résistantes » représentent un défi médical et sociétal majeur, auquel s’attaque Elkedonia, une jeune startup franco-belge issue du studio Argobio. Sa solution : agir non pas à la surface du problème, comme le font les antidépresseurs traditionnels, mais au cœur des cellules nerveuses, en restaurant leur capacité à s’adapter, un phénomène appelé neuroplasticité.

Pour rendre cette approche concrète, Elkedonia mise sur une cible biologique encore jamais exploitée : une protéine intracellulaire nommée Elk1, identifiée comme clé dans les troubles dépressifs. Ce positionnement de rupture a convaincu plusieurs fonds européens d’investir. Entretien avec Delphine Charvin, neuroscientifique de formation, ex-Operating Partner chez Argobio, aujourd’hui CEO d’Elkedonia.

Quel a été votre parcours avant de lancer Elkedonia ?

Je suis neuroscientifique de formation, diplômée de la Sorbonne, où est justement né le projet Elkedonia. J’ai ensuite étudié à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, puis travaillé comme CSO (Chief Scientific Officer) dans plusieurs biotechs. L’expérience la plus fondatrice a été chez Prexton Therapeutics, une spin-off de Merck-Serono développée jusqu’à une phase 2 clinique et valorisée plus d’un milliard de dollars. J’y ai compris à quel point le succès d’un projet thérapeutique dépendait de l’articulation entre science et stratégie de développement. C’est ce qui m’a conduite à rejoindre Argobio en 2021, pour accompagner des projets en neurosciences, dont Elkedonia.

Comment est né le projet Elkedonia chez Argobio ?

J’ai repéré la technologie à la Sorbonne, en lien avec les travaux de Jocelyne Caboche sur Elk1, une protéine localisée à l’intérieur des neurones et impliquée dans leur capacité à se réorganiser, autrement dit, dans la neuroplasticité. Ce mécanisme est crucial : lorsqu’il est altéré, le cerveau devient incapable de s’adapter aux stress ou traumatismes, ce qui favorise l’installation durable des troubles dépressifs. Après avoir reproduit les résultats dans des laboratoires externes et testé la solidité de l’approche, nous avons constaté un fort intérêt de la part des industriels et des investisseurs. Vu l’enjeu médical et la maturité scientifique du projet, nous avons décidé d’accélérer sa sortie du projet. J’ai donc quitté mes fonctions chez Argobio pour devenir CEO d’Elkedonia et nous sommes passés directement en levée de fonds.

Que vont permettre ces 11 millions d’euros levés ?

Nous sommes encore à un stade précoce : nous avons une cible validée et un outil pharmacologique de référence, mais pas encore de molécule-médicament. La première étape est de lancer un criblage à haut débit, c’est-à-dire de tester des milliers de molécules, pour en identifier plusieurs capables d’inhiber Elk1 de manière sélective. En parallèle, nous développons des biomarqueurs, autrement dit des indicateurs mesurables qui permettront de sélectionner les patients les plus susceptibles de répondre au traitement, et de suivre son efficacité de manière objective. L’idée est d’entrer dans une logique de médecine de précision, adaptée à chaque patient, exactement comme ce qui a été enclenché en oncologie il y a deux décennies.

En quoi votre approche se distingue-t-elle des traitements existants ?

Aujourd’hui, la plupart des antidépresseurs agissent au niveau de la synapse (la zone de communication entre les neurones) pour moduler les échanges chimiques. Ce sont des mécanismes bien connus, mais peu précis. Nous, nous allons plus loin : nous agissons à l’intérieur même des cellules nerveuses, pour corriger les dérèglements qui suivent la perturbation initiale. Cela pourrait permettre un effet plus rapide, ce qui est crucial pour les patients à risque de suicide, et avec moins d’effets secondaires, notamment ceux associés aux molécules hallucinogènes comme la kétamine. Notre ambition est claire : un traitement efficace, bien toléré, sous forme de pilule, administrable à domicile, y compris pour les adolescents et les personnes âgées.

Pourquoi avoir implanté Elkedonia entre la France et la Belgique ?

Nous avons notre siège à Strasbourg, et une filiale à Charleroi, en Wallonie. Ce choix nous permet de tirer parti des deux écosystèmes. En France, nous pilotons les activités liées à la découverte de médicaments, tandis qu’en Belgique, nous développons les biomarqueurs. Au Biopark de Charleroi, nous avons accès à des lab-hotels, des laboratoires partagés qui nous permettent de tester rapidement des hypothèses sans avoir à construire nos propres infrastructures. C’est une vraie force pour une jeune biotech.

Quelles vont être les principales étapes de développement dans les années à venir ?

Notre objectif est d’identifier une molécule active dans un modèle pré-clinique pertinent d’ici trois ans. Ce modèle permettra de prédire son efficacité chez l’humain. Ensuite, nous poursuivrons l’optimisation de cette molécule pour qu’elle devienne un candidat médicament. L’entrée en essai clinique est prévue en 2029, d’abord chez des volontaires sains, puis chez des patients en 2030. Nous explorons aussi des approches innovantes comme les jumeaux numériques, notamment pour modéliser la réponse au traitement à partir des biomarqueurs. C’est un domaine en pleine expansion.

Quel rôle joue Bpifrance dans votre trajectoire ?

Bpifrance était déjà au capital d’Argobio (en tant que co-fondateur du start-up studio), donc il y a une vraie continuité. Sur ce tour de table, Bpifrance intervient via le fonds French Tech Seed, aux côtés d’autres d’investisseurs spécialisés. Les apports de Bpifrance sont multiples : stratégique, avec une très bonne compréhension des enjeux de santé mentale, de l’accompagnement des Biotechs, et opérationnel, grâce à leurs relais régionaux. Ayant passé la majeure partie de ma carrière en Suisse,, je ne connaissais pas bien l’écosystème français : c’est grâce à Argobio et Bpifrance que j’ai pu en découvrir la richesse et accélérer la création de ce projet.

Côté Bpifrance, Jean-François Morin, Directeur des investissements en sciences de la vie, déclare « Bpifrance, en tant qu’investisseur fondateur d’Argobio, est ravi de soutenir le tour d’amorçage de cette nouvelle entreprise prometteuse », il ajoute « Nous sommes ravis de développer la recherche fondamentale issue du CNRS à Sorbonne Université. Cet investissement souligne notre engagement à faire progresser les solutions en matière de santé mentale, ce qui est actuellement une priorité pour la France. »

 

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