Bruno de Sa Moreira : réconcilier patrimoine et innovation pour faire revivre l’Histoire

D’un documentaire pour Arte à une tablette magique : genèse d’une idée

Tout commence à Falaise, dans le Calvados. En 2013, Bruno de Sa Moreira et son associé Édouard Lussan remportent un appel d’offres pour repenser la muséographie du château de Guillaume le Conquérant. Ils sortent alors d’une expérience réussie de docufiction pour Arte. « On s’est dit : pour comprendre l’Histoire, il faut la voir », raconte Bruno. Leur idée est simple et audacieuse : proposer une machine qui permettrait de visualiser les lieux tels qu’ils étaient autrefois.

Portrait des deux associés co-fondateurs, Bruno de Sa Moreira et Edouard Lussan

Ce qui n’était qu’un concept devient l’HistoPad, un dispositif unique qui repose sur la réalité augmentée, des reconstitutions historiques à 360° et un travail éditorial minutieux, validé par des comités scientifiques. L’objectif : proposer à chaque visiteur une expérience personnalisée, immersive, ludique et rigoureuse. « On ne remplace pas la visite réelle, on la sublime », insiste Bruno. Avec l’HistoPad, le visiteur peut comparer les lieux entre hier et aujourd’hui, zoomer sur des détails, découvrir des scènes de vie historiques et même participer à une chasse au trésor, le tout à son propre rythme.

Une levée de fonds au service d’une ambition mondiale

Dès le départ, Histovery adopte un modèle économique original : l’HistoPad est inclus dans le prix du billet sur la plupart des sites partenaires, et la startup est rémunérée à la visite. Le succès est au rendez-vous : les sites équipés enregistrent une hausse de fréquentation, comme au château de Falaise où les visites ont doublé.

Mais Bruno voit plus loin. En 2019, il invente l’exposition augmentée : une installation itinérante qui reproduit l’expérience HistoPad en dehors des musées. La première est consacrée au D-Day et s’installe dans un musée militaire américain. Suivra l’Expo « Notre-Dame de Paris », créée après l’incendie de 2019, qui tournera dans 20 villes du monde entier grâce au soutien du groupe L’Oréal. Le dispositif est à chaque fois personnalisé, enrichi de panneaux physiques, de visuels et de mises en scène immersives.

Photo de l’ensemble de l’équipe Histovery

C’est cette ambition internationale qui séduit Bpifrance . « Ils ont cru dans notre vision et nous ont permis d’accélérer », confie le dirigeant. En plus d’un soutien financier, Histovery bénéficie de l’accompagnement de Bpifrance le Hub – qui accompagne les participations de Bpifrance –  et de l’accès à un réseau de grands comptes. « Lors de Vivatech, j’ai présenté nos projets sur scène grâce à la French Touch. J’ai également pu échanger avec de grands groupes via des mises en relation de Bpifrance Le Hub.».

Le partenariat est aussi un appui en ressources humaines, prospection internationale et accès à de potentiels sponsors. Bpifrance a notamment permis à Histovery de rejoindre une mission export aux États-Unis, où le marché culturel est immense et en pleine mutation numérique.

Une vision ancrée dans la transmission et l’accessibilité

Aujourd’hui, une vingtaine de sites sont équipés en France et à l’étranger. L’HistoPad s’invite aussi aux États-Unis, en Allemagne, en Belgique, et bientôt au Royaume-Uni. Une nouvelle exposition augmentée sur la Révolution américaine est prévue pour 2026, et un grand projet sur Guillaume le Conquérant verra le jour en 2027, à l’occasion du millénaire de sa naissance. « On veut exporter le patrimoine culturel au-delà de nos frontières, mais aussi donner envie de revenir dans les lieux physiques », explique-t-il.

Bruno l’assure : le numérique n’est pas un gadget, mais un levier d’engagement. Loin d’opposer innovation et culture, il les conçoit comme des alliées. « On donne des armes aux vieilles pierres », résume-t-il avec un sourire. L’HistoPad touche toutes les générations et les données d’usage le confirment : les seniors l’adoptent autant que les enfants.

Des dispositifs légers et modulaires permettent également d’implanter des Stations HistoPad dans des lieux variés pour quelques jours ou plusieurs mois. L’entreprise travaille aussi sur des formats adaptés aux collèges et lycées, où les tablettes permettent des activités pédagogiques interactives, en histoire comme en langues vivantes.

Par ailleurs, les données recueillies permettent une connaissance fine du comportement des visiteurs, au service de l’amélioration continue des parcours de visite. Taux de satisfaction, temps moyen, commentaires… : ces insights sont accessibles aux sites partenaires via un tableau de bord dédié.

Bruno de Sa Moreira : un parcours guidé par la narration

Diplômé de HEC, Bruno ne se destinait pas à l’entrepreneuriat culturel. Il débute chez Flammarion où il fonde le département multimédia, avant de créer en 1998 les éditions 00h00, pionnières du livre numérique. L’aventure se poursuit dans le documentaire et la production audiovisuelle, jusqu’à la naissance d’Histovery.

Son fil rouge ? Le goût de la narration, la passion pour les nouveaux formats, et une conviction forte : l’Histoire peut captiver si on permet à chacun de s’y relier. « Je ne laisserai jamais quelqu’un dire qu’il n’aime pas l’Histoire sans essayer de le convaincre du contraire », affirme-t-il. « Venez avec moi, on fera une visite ensemble ! ».

Son engagement repose aussi sur une éthique forte : chaque reconstitution est validée par un comité scientifique. Pour l’exposition sur Notre-Dame de Paris, plus de 30 experts ont participé à la validation du contenu. Rigueur historique et expérience utilisateur se conjuguent sans compromis.

Avec une équipe pluridisciplinaire et des projets d’envergure en cours, Histovery s’impose aujourd’hui comme un acteur clé de la médiation culturelle augmentée. Loin de considérer le passé comme figé, Bruno s’emploie à le faire vibrer avec les outils d’aujourd’hui. Et ça marche : l’HistoPad touche chaque année près de 3 millions de visiteurs.

Ce qui frappe chez Bruno de Sa Moreira, au-delà de la clarté de sa vision ou de la rigueur de sa méthodologie, c’est l’enthousiasme intact avec lequel il parle d’Histoire. Un enthousiasme communicatif, nourri par une foi profonde dans le pouvoir du récit. Pour lui, la technologie n’est qu’un outil au service d’une mission : rendre l’Histoire accessible à tous, engageante, incarnée. Un pari culturel, éducatif et humain. Et une preuve vivante que même les vieilles pierres peuvent écrire l’avenir.