L’Union Européenne s’est enfin saisie du sujet de la transparence salariale : les entreprises européennes seront désormais obligées de rendre publics leurs écarts de salaire et de résorber les différences injustifiées. De nouvelles règles devraient permettre d’agir contre les discriminations en matière de rémunération et contribuer à combler l’écart entre les hommes et les femmes. Les employeurs comptant plus de 250 employés ont désormais l’obligation de déclarer tous les ans l’écart de rémunération entre les genres. Cette transparence représente un véritable enjeu de marque employeur pour l’attraction et la rétention des talents.
Alors, comment la transparence salariale peut-elle contribuer à un environnement de travail plus équitable et motivant ? Quelles sont les meilleures pratiques à adopter pour mettre en place une politique de transparence salariale efficace ?
Le 10 décembre 2024, Bpifrance Le Hub a organisé une nouvelle session de sa série d’événements les Catch’Up du Hub pour découvrir comment la mise en place d’une stratégie de transparence salariale peut devenir un puissant levier de performance pour les entreprises, en attirant et en fidélisant des talents.
Autour de la table :
Virgile Raingeard – CEO de Figures, le logiciel de gestion de rémunération leader en Europe
Noëlla Gavier – Chief People Officer de Welcome to the Jungle
Joy Solvan – Avocate en Droit du Travail et DRH externalisée – Fondatrice de WePulp
Marie Meyers – Responsable Communautés RH et Talent de Bpifrance Le Hub et animatrice de ces échanges
Cette directive européenne, adoptée en mai 2023, l’a été sur la base de différents constats, dressés en introduction par Joy Solvan, notamment au niveau des écarts de rémunération entre hommes et femmes de l’ordre de 13% en moyenne en 2020. Si ces écarts n’augmentent pas, ils ne se réduisent pas pour autant : cette stagnation est liée à la fois aux discriminations envers les femmes mais aussi au manque de transparence dans les rémunérations.
Une véritable avancée pour les égalités salariales
Cette nouvelle orientation juridique avec pour objet la transparence des salaires va obliger les employeurs à mettre en place des mesures permettant aux salariés de comprendre et de comparer les rémunérations. Et cela change tout.
Joy Solvan, experte RH notamment auprès des startups, poursuit : « S’il existe déjà beaucoup d’outils en France en matière de traitement des inégalités, ils ne sont désormais plus jugés assez efficaces notamment au regard de cette nouvelle directive. D’ailleurs, en 2024, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes a considéré dans son bilan de l’index Egalité professionnel n’avait pas rempli toutes ses promesses et devrait être remanié pour être en ligne avec les nouvelles normes qui seront mises en vigueur au 7 juin 2026. »
Concrètement, beaucoup de choses seront proposées par cette nouvelle directive, à commencer donc par le droit et l’accès à l’information. C’est la plus grande révolution qui s’annonce dans ce cadre. L’employeur sera désormais tenu d’apporter une grande quantité d’informations précises aux salariés, notamment au sujet des fourchettes de rémunération.
Au cours de leur contrat, les salariés pourront connaître le niveau de rémunération individuel et moyen correspondant à leur emploi ou un emploi de même valeur.
Un travail de grande ampleur
Au-delà de l’accès à l’information, les employeurs devront mettre en place des critères objectifs et non sexistes sur la fixation et la progression de la rémunération, comme des grilles de salaire strictes. Ils devront également, lorsque l’entreprise compte plus de 250 salariés, communiquer des rapports détaillés sur les écarts de rémunération. Un compte important de mesures correctives sont donc à anticiper !
Virgile Raingeard, le CEO de Figures dont la startup a publié récemment un guide ultime sur la transparence des salaires, abonde : « De nombreux impacts sur la rémunération au sens large vont se faire ressentir. Il y aura une vraie transformation de la manière dont elle sera gérée car les entreprises devront se justifier de leur politique de rémunération. Toutefois, elles pourront le tourner en avantage concurrentiel : la transparence des salaires peut s’avérer être un véritable atout pour la marque employeur. Les entreprises qui seront prêtes avant les autres auront un avantage d’attractivité très important. »
Noelle Gavier, Chief People Officer chez Welcome To The Jungle, plateforme de recherche d’emploi et média sur le monde du travail, détaille ensuite comment, en anticipation de ces nouvelles mesures, elle et son équipe ont implémenté de nouvelles pratiques chez ‘Welcome’ et ses 300 salariés – des mesures d’autant plus faciles à mettre en place qu’elles correspondent à la politique et la culture de l’entreprise.
« Pour être beau à l’extérieur il faut être bon à l’intérieur », explique-t-elle. « Il faut également que les règles soient claires et comprises par tous. » Chez Welcome, le lancement d’une grille de salaire claire a ainsi pris un an, avec une classification par métier et niveau de séniorité, avec l’aide de l’outil proposé par Figures. Chaque collaborateur sait ainsi clairement où il se situe dans la grille.
L’anticipation sera donc la clé, ce qui est confirmé par les speakers du jour, qui pointent de nombreuses jurisprudences existantes dans les inégalités de traitement, ainsi qu’une potentielle explosion du nombre de contentieux dans les années à venir au sein des entreprises qui n’auront pas su imposer les ajustements nécessaires. La mise en place de la directive entraînera d’ailleurs un renversement de la preuve favorable aux salariés : c’est désormais l’entreprise qui devra prouver entièrement qu’il n’y a pas ou pas eu de discrimination.
Démarrer dès maintenant pour avoir un temps d’avance
Comment dès lors enclencher le changement ? « Se donner le temps est important » indique Noelle Gavier, qui souligne à nouveau l’importance d’embarquer la Direction et les managers dans le projet.
Mais pas que. La relation entre Direction et Partenaires sociaux va également être chamboulée, tout comme les politiques RH des ETI et Grands Groupes, qui devront se débarrasser de nombreux biais existant aujourd’hui dans les politiques RH, incluant de facto politiques salariales, politiques à l’embauche et culture d’entreprise.
Pour autant, toutes les entreprises ne semblent pas encore avoir saisi l’ampleur du changement, selon Joy Solvan. « Une partie d’entre elles n’a par ailleurs pas les moyens ou le budget pour mener le projet, ce qui est problématique pour bon nombre d’entreprises », ajoute Virgile Raingeard. Ce dernier conclut : « Demain, dans un monde dans lequel de plus en plus d’entreprises seront en difficulté, être prêt à faire face à cette nouvelle règlementation peut représenter un gain considérable pour la marque employeur et donc un véritable avantage compétitif pour attirer des candidats qualifiés qui feront la différence. »