L’année 2023 a été marquée par une profonde incertitude économique, qui a continué à peser sur les premiers mois de 2024. Malgré une lueur d’espoir en fin d’année dernière, notamment grâce à l’essor de l’intelligence artificielle (IA), la reprise tant attendue ne s’est pas concrétisée au premier trimestre 2024. Mais alors, quelles perspectives pour 2025 ?
Pour entrevoir les tendances à venir en matière d’investissement, Frenchfounders invitait en juillet dernier Michel Combes à Paris.
Pourquoi Michel ? L’ancien dirigeant d’Alcatel-Lucent et de SFR a fait carrière dans les télécoms à l’international, notamment chez Sprint aux États-Unis et chez SoftBank au Japon. Chez SoftBank, il a géré les investissements internationaux et a joué un rôle clé dans le redressement de Sprint, sa fusion avec T-Mobile, et le sauvetage de WeWork. Cinq ans après, il quittait le groupe mais restait actif au sein de conseils d’administration, comme ceux de WeWork et OneWeb, tout en soutenant des investissements dans des startups françaises.
Fort de cette expérience, nous vous avons résumé dans cet article son avis sur la situation.
Une Europe à la traîne face aux États-Unis
Le fossé entre les États-Unis et l’Europe n’a jamais été aussi grand. Alors que l’économie américaine continue de croître, portée par une dynamique d’innovation et de consommation, l’Europe se trouve dans une situation plus complexe. Ce différentiel, qui ne cesse de s’accentuer, pose un défi majeur pour le Vieux Continent.
“Je pense que pour les entrepreneurs ça signifie que malheureusement, il faut continuer à être excessivement focalisé sur son cash à court terme de manière à garder du runway jusqu’à 2025, 2026; que, si les choses vont dans le sens espéré, et donc si les taux commencent à se détendre un tout petit peu en Europe et aux États-Unis, les choses devraient plutôt mieux se passer. Deuxième élément à indiquer, qui me frappe toujours, c’est quand même le différentiel colossal entre les États-Unis et l’Europe. Les États-Unis, clairement, sont un marché en croissance. L’économie s’y porte bien” indique Michel.
Alors oui, l’Europe a ses atouts : des talents, une conscience climatique et des idées – plein d’idées ! Mais il est impératif de les valoriser pour combler cet écart grandissant. Et si de nombreux rapports ont déjà été commandés par les gouvernements européens pour identifier les leviers à actionner, visiblement, il y a un gouffre entre savoir et agir.
Les capitaux migrent, l’Europe médite
Face à ce contexte économique difficile, les flux de capitaux se redirigent vers des territoires offrant plus de stabilité et de potentiel de croissance.
En Amérique latine, le Brésil et le Mexique se démarquent, notamment grâce à la stabilité retrouvée du premier et aux avantages du reshoring pour le second. En Inde, l’explosion des marchés financiers, bien que parfois irrationnelle, ouvre des opportunités significatives pour les entreprises technologiques. Le Moyen-Orient, avec des pays comme l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, attire également des investissements massifs, bénéficiant d’environnements propices à l’investissement.
L’Intelligence artificielle : une révolution sur le pas de course…
L’intelligence artificielle continue de s’imposer comme un moteur de transformation technologique et économique. Cependant, Michel avertit que la majorité des investissements dans l’IA se concentrent actuellement sur les datacenters et le cloud, au détriment des applications pratiques.
“L’IA est encore beaucoup tirée par la recherche, et pas encore tellement par les cas d’usage et l’application, donc on va avoir une évolution dans les mois qui viennent qui va être assez significative. On a une pyramide aujourd’hui un peu inversée en termes d’investissement dans l’intelligence artificielle, puisque l’essentiel de l’investissement et de la marge est généré au niveau des semi-conducteurs, qui sont l’élément essentiel pour que celle-ci puisse se développer, et qui doit représenter à peu près 85% du chiffre d’affaires réalisé dans l’intelligence artificielle, et 90% de la marge réalisée dans l’intelligence artificielle avec des marges de 85 à 90%. Le deuxième étage de la fusée, c’est les infrastructures. Donc c’est tout ce qui tourne autour des datacenters et du cloud, avec les hyperscalers qui tirent également leurs épargnes de jeu. Et le parent pauvre aujourd’hui, c’est l’investissement dans tout ce qui est applicatif. Les LLM, eux, commencent à drainer une partie de l’investissement, mais au détriment de toute cette partie applicative, écosystème, qui va vraiment venir répondre à un certain nombre de cas d’usage.
Malgré cet état de fait, Michel reste optimiste quant à l’avenir de l’IA, soulignant que les investissements dans les applications finiront par rattraper leur retard, ouvrant la voie à des usages révolutionnaires pour les entreprises et les consommateurs.
Une situation comparable à l’ère du développement d’Internet, où les premiers bénéficiaires furent les opérateurs de télécoms, et in fine, les acteurs de l’écosystème.
Cependant, il met en garde contre les risques pour l’Europe, où les talents ne manquent pas, mais où les capacités d’investissement sont encore limitées par rapport aux États-Unis et à certains pays asiatiques.
… qui pose certains défis pour l’Europe
Alors que l’IA devient un enjeu clé, les grands hyperscalers, tels que Google, jouent un rôle déterminant en investissant massivement dans les startups du secteur. En échange de leur précieuse capacité de calcul, ces géants obtiennent des parts dans ces entreprises, ce qui soulève la question de l’indépendance européenne face à cette nouvelle dynamique de pouvoir technologique.
Un déjà-vu quand on se rappelle l’époque où les grands groupes de médias et de télécommunications utilisaient leur puissance pour soutenir certaines startups, leur offrant une visibilité médiatique en échange de participations au capital.
Aujourd’hui, ce pouvoir appartient aux hyperscalers, capables de décider quelles entreprises technologiques prospéreront.
Un optimisme prudent pour l’avenir
Alors, verdict ?
L’année 2024 sera déterminante pour savoir si l’Europe parviendra à rattraper son retard dans la course à l’innovation technologique, ou si elle continuera de s’enliser dans une dynamique de déclin relatif face aux États-Unis et à l’Asie. Les entrepreneurs, les investisseurs, et les gouvernements devront redoubler d’efforts pour transformer les atouts européens en succès tangibles, et ainsi, renouer avec une croissance soutenue dans les années à venir.
Michel conclut sur une note d’optimisme mesuré, en soulignant l’importance des investissements dans des technologies de pointe comme le calcul quantique, où l’Europe, et plus particulièrement la France, dispose d’atouts non négligeables.
Des entreprises comme Pasqal, pionnière dans le domaine du calcul quantique, pourraient jouer un rôle crucial dans l’avenir de l’IA, en offrant des solutions plus efficaces et économes en énergie.