Avez-vous déjà entendu parler de l’informatique quantique ? Il est probable que non. Même si c’est le cas, vous n’imaginez probablement pas l’étendue de ses possibilités. Et pourtant, le quantique risque de totalement accélérer le progrès et de révolutionner le monde. De nombreux grands acteurs, américains notamment, sont bien sûr pionniers dans le secteur. Mais la France n’est pas en reste ! Avec plusieurs startups en avance sur le sujet, l’écosystème tech français tient peut-être de futurs champions mondiaux du quantique. Quandela se situe en tête de peloton, accompagnée de Pasqal ou d’Alice & Bob. Son CEO et co-fondateur, Valerian Giesz, nous livre les ambitions de Quandela et sa vision du quantique, à commencer par l’ouverture d’une usine, inaugurée le 20 juin à Massy, servant à fabriquer à plus grande échelle ses propres ordinateurs quantiques et de doubler la puissance de calcul de ses machines. Impressionnant !
Bpifrance Le Hub : Avant toute chose, peux-tu nous faire une introduction à l’ordinateur quantique et aux spécificités de Quandela sur ce marché ?
Valerian Giesz : Si l’on reprend la définition de l’ordinateur, pour bien comprendre, il faut redire que l’on parle d’une machine qui manipule de l’information qui va être encodée de différentes façons sur différents supports. Au départ, il s’agissait de la position de roues mécaniques et d’engrenages pour les premières machines comme le boulier, la pascaline ou la machine de Turing qui servait à déchiffrer les messages des Allemands pendant la Seconde guerre mondiale.
Puis, avec l’arrivée de l’électricité, on a pu manipuler la tension électrique avec des tubes à vide, d’abord, mais qui étaient trop gros et pas assez robustes. La maîtrise des semiconducteurs a ensuite ouvert la voie à la miniaturisation des composants.
Aujourd’hui, les ordinateurs fonctionnent à partir de la manipulation d’information binaire – d’ailleurs le mot bit est la contraction de binary digit (chiffre binaire). Nos systèmes d’information sont totalement centrés autour du bit, ou de l’octet (paquet de 8 bits). Nos ordinateurs manipulent de l’information binaire à très très haute cadence, avec des niveaux de tension hauts ou bas.
L’ordinateur quantique est différent car son « cerveau » ne se base pas sur la manipulation de tensions électrique mais sur la manipulation d’information quantique codée sur des particules physiques uniques (à l’échelle de l’électron, de l’atome, du photon). Grâce à la dualité « onde – particule », l’information peut être localisée à plusieurs endroits en même temps. On parle d’état quantique dans lequel plusieurs particules peuvent être intriquées les unes avec les autres, leur état quantique étant relié par des liens invisibles.
Valerian Giesz, co-fondateur et CEO de Quandela (Linkedin)
A quel stade de développement du quantique en êtes-vous ? Quel est l’historique de Quandela ?
L’aventure de Quandela a démarré il y a quelques années dans les laboratoires de Pascale Senellart, chercheuse au CNRS et très grande scientifique dans le domaine des semi-conducteurs et de l’optique quantique, donc de la manipulation de la lumière l’échelle du photon. C’est aussi l’une des co-fondatrices de Quandela. J’ai eu la chance de rejoindre son équipe en 2012, avec Niccolo Somaschi, le troisième co-fondateur. Pascale avait commencé à développer des technologies à base de boîtes quantiques appelées émetteurs de lumière quantique – quantum dots en Anglais – pour « fabriquer » des atomes artificiels dans des cavités optiques très efficacement. Il y avait là une vraie rupture technologique qui ouvrait la voie à l’intégration de nouveaux systèmes quantiques, non seulement l’ordinateur quantique mais aussi la création de réseaux de communication internet ou de nouveaux paradigmes de cybersécurité.
Nous avons donc créé Quandela en 2017 sur la base d’une technologie développée et murie au CNRS pendant une vingtaine d’années afin de pousser cette technologie et d’en faire un produit utilisable. Dès 2018, nous avons commencé par vendre nos émetteurs de photons, ce qui nous a poussé à aller plus loin. Nous avons donc décidé de lever des fonds, de rassembler une grande équipe, avec des théoriciens, des mathématiciens et beaucoup d’ingénieurs entre 2020 et 2022, ce qui nous a permis d’accélérer dans le développement des ordinateurs quantiques et d’avoir réussi à mettre au point une première génération d’ordinateurs en 2020.
Aujourd’hui, nous avons développé plusieurs briques nécessaires à l’ordinateur quantique : les logiciels, le matériel, ce qui nous a conduit à proposer notre premier ordinateur quantique disponible dans le cloud et ouvert à tous, avec pour but d’encourager la recherche et l’éducation.
En quoi cette usine va permettre une vraie accélération pour Quandela et a fortiori pour le domaine du quantique ?
Le premier point c’est le marché. Lorsque l’on parle d’usine, on parle de produits et donc quand on parle de produit, on parle de clients. Nous sommes convaincus qu’il y a un marché, nous avons déjà reçu une première commande d’un industriel français, OVHcloud, pour que le quantique vienne équiper leurs datacenters. Nous sommes assez optimistes sur le nombre de commandes dans les mois à venir.
Avec cette usine, nous sommes prêts à absorber l’afflux de commandes à venir, en nous permettant de fabriquer 5 à 10 ordinateurs par an une fois que l’on aura atteint notre régime de croisière – ce qui est déjà conséquent par rapport au marché. Nous allons fabriquer des ordinateurs qui seront livrés chez nos clients mais nous allons aussi en conserver en interne pour notre catalogue de machines disponibles dans le cloud. Nous pensons qu’il est très important de mettre les machines à disposition dans le cloud pour évangéliser les clients sur cette nouvelle technologie, pour qu’ils puissent utiliser la techno et accéder à des capacités de calcul sans avoir à dépenser de sommes trop élevées en fonction de leurs besoins – comme un modèle de cloud « classique » d’aujourd’hui.
Grâce à cette usine, nous allons augmenter les performances de calcul de nos machines et multiplier par 4 le nombre de Qubits c’est-à-dire multiplier par plusieurs milliards leur capacité de calcul. Cela nous permettra d’atteindre des régimes dans lesquels nous aurons la capacité de fournir une véritable accélération dans la résolution des problèmes de nos clients, et ce dès 2024-2025.
Comment cette usine va-t-elle être organisée dans les grandes lignes ? Quelles sont les performances espérées ?
Cette usine s’appuie d’abord sur une « salle blanche » privée dans laquelle nous allons fabriquer les composants quantiques, c’est-à-dire les émetteurs de photons. Ces machines seront à 100% la propriété de Quandela. Elle pourra nous permettre d’augmenter les volumes de composants entrants dans notre nouvelle usine de Massy, que nous avons inaugurée le 20 juin. Cette usine d’assemblage servira à réunir les pièces du puzzle pour fabriquer les machines, puis les tester.
En termes de performances, nous visons donc une dizaine d’ordinateurs par an, ce qui représente un peu plus d’une centaine de million d’euros de chiffre d’affaires. Nous comptons aujourd’hui un effectif d’environ 90 personnes sur plusieurs sites et pour plusieurs activités. Nous avons une vingtaine d’ingénieurs, docteurs ou techniciens de salle blanche qui opèrent sur la partie fabrication des composants au sein de notre salle blanche, et nous avons par ailleurs beaucoup de chercheurs en algorithmie ou en mathématiques, mais qui ne seront pas dans les locaux de l’usine.
Quelle est la feuille de route du développement de Quandela ? Qui sont les clients actuels et potentiels / des années à venir ?
Cette année, il est important que nous réussissions à faire nos premières livraisons et à satisfaire nos premiers clients. Ensuite nous pourrons travailler sur l’augmentation des performances de nos ordinateurs en augmentant le nombre de qubits.
L’ordinateur quantique va exploiter toutes ces propriétés qui ont été « apprivoisées » sur les dernières décennies dans les laboratoires pour développer de nouveaux calculs. D’après les experts en algorithmie en mathématique et en informatique, cela ouvre la voie à la résolution de problèmes qui sont très complexes pour les ordinateurs classiques et leurs bits. On prédit donc que là où des problèmes auraient pris des milliards d’années pour le meilleur ordinateur classique, la résolution sur un ordinateur quantique pourrait se faire en un temps beaucoup plus raisonnable, de l’ordre de plusieurs minutes, plusieurs heures ou plusieurs jours. Mais à l’échelle d’une vie humaine cela ouvre des perspectives très intéressantes.
En parallèle, un de nos objectifs est de travailler avec de plus en plus de grands groupes dans leur stratégie d’appropriation et de formation de l’informatique quantique. Quandela en est déjà un acteur-clé. Nous travaillons avec de grands industriels, comme EDF, pour les aider par exemple à modéliser des systèmes mécaniques complexes comme des barrages hydroélectriques ou comme des canalisations dans des centrales électriques pour optimiser la maintenance et la prévention des risques. Nous travaillons également avec Thales, par exemple, sur la gestion de drones autonomes en milieu urbain et le développement de techniques d’optimisation et de gestion.
Nous pouvons également parler de la création d’engrais, aujourd’hui très énergivores en termes de gaz mais essentiels à l’agriculture… Le quantique pourra également aider sur la mobilité, en travaillant sur l’obtention de transports plus efficaces ou l’optimisation de batteries électriques. Dans tous les cas, le quantique aura un impact social et sociétal très important. »