L’émergence des crypto-monnaies et notamment du Bitcoin est régulièrement relayée dans la presse. Ce n’est pourtant qu’une des applications possibles de la technologie sous-jacente de ces crypto-monnaies qu’est la « Blockchain ». En effet, cette dernière pourrait bien constituer la base d’une nouvelle étape dans la désintermédiation financière, bousculer les modèles économiques classiques et devenir l’infrastructure de confiance du 21ème siècle.
La Blockchain porte la promesse d’une révolution de l’ensemble des échanges et des transactions, la suppression des plateformes centralisées, et la réduction des coûts d’infrastructure qui aura pour impact la désintermédiation et un changement de modèle pour les Tiers de confiance ou les acteurs économiques traditionnels. Elle peut également être un acteur décisif du développement pour l’économie circulaire, l’économie collaborative et une infrastructure de confiance de l’internet des objets.
Les crypto-actifs portent en eux la promesse du développement d’une nouvelle classe d’actifs, d’une nouvelle forme de levée de fonds via les ICO, et d’un nouveau système de valeur d’échange via les cryptomonnaies ou les tokens.
La blockchain est aux transactions ce qu’Internet a été à l’information : une infrastructure neutre capable de supporter une grande diversité de cas d’usages.
Elle constitue un défi économique et social, voire « politique » de grande ampleur. Sa promesse de décentralisation quasi-totale pourrait bousculer au-delà des équilibres économiques et de la répartition de valeur, les relations et les modes de transactions entre les citoyens, les états les acteurs économiques. Elle fera évoluer le modèle de tiers de confiance désormais des « Oracles », fournisseurs de données certifiées pour les smart contracts. Cette révolution constitue un enjeu stratégique pour l’Europe en général et la France en particulier.
UN ENJEU MONDIAL ET MULTI-SECTORIEL
Depuis fin 2014, cette technologie suscite un engouement mondial au travers d’une multiplication des initiatives dans les secteurs Banque-Assurances, Energie, Immobilier, Mobilité (dont R3CEV en finance, Labchain 1er consortium européen piloté par la Caisse des Dépôts, B3i avec les réassureurs en Allemagne, Cisco- Bosch-Foxconn sur l’IOT,..), et d’un fort engouement pour le financement de projets Blockchain, dont les montants atteignent $7,3 Mds depuis 2012 (VC + ICO).
En France un écosystème de startups émerge et quelques grands acteurs, principalement financiers, s’intéressent au sujet depuis plusieurs années.
Nous assistons aujourd’hui à une véritable course à la technologie entre l’Asie et les Etats-Unis, mais également de petits Etats qui investissent des centaines de millions de dollars. Par ailleurs, de nouvelles communautés s’ouvrent au-delà des Etats en écho à l’émergence de l’Economie Collaborative et Circulaire.
Les technologies sont certes encore peu matures mais les progrès technologiques sont très rapides. Des premiers choix de protocoles, pouvant devenir les standards de demain, se dessinent dans l’engagement marqué de certains industriels (IBM, Microsoft, Dell, NCIP Holding). Au-delà, les conditions de gestion des infrastructures posent également la question de la souveraineté nationale et de la transition énergétique.
Plusieurs cas d’usages ont également été identifiés dans les métiers juridiques (automatisation de la gestion des contrats, valeur de preuve des transactions, …), de certifications (traçabilité des œuvres d’art, des diamants, …), suivi de chaines de distributions dans la santé, le transport, la logistique, l’énergie et également dans l’administration et les services publiques.
Alors que certains protocoles technologiques sont en cours de consolidation et que des acteurs de référence mondiaux se repositionnent sur des projets à vocation industrielle, 2018 apparaît pour beaucoup comme une année charnière. L’Union Européenne et ses Etats membres, s’ils ne sont pas « en retard », pèsent encore bien trop peu dans une course engageant les Etats Unis et l’Asie (Chine, Japon) en passant par le Proche Orient (Dubaï et l’Arabie Saoudite) en vue notamment d’influencer les futurs standards et de défendre leur souveraineté économique.
Compte-tenu de l’excellence de nos ressources scientifiques et du dynamisme de nos entreprises innovantes, c’est une opportunité majeure pour la France et l’Europe de se positionner de manière stratégique sur ces nouvelles technologies. Par ailleurs, aujourd’hui les innovations pérennes et pertinentes prennent forme dans le cadre de partenariats et de coopérations inter-entreprises transnationales.
DES ATOUTS AUX NIVEAUX FRANÇAIS ET EUROPÉEN A CONSOLIDER
En France, beaucoup de grandes entreprises travaillent sur le sujet. Aujourd’hui la Caisse des Dépôts fédère l’écosystème des acteurs de la Banque-Finance-Assurance et des startups françaises dans le cadre du consortium LaBChain. Elle participe au développement de la R&D et soutient les jeunes entreprises du secteur. LaBChain et d’autres initiatives nationales commencent à se coordonner au niveau européen.
Dans les universités et les écoles d’ingénieurs, les initiatives se multiplient et certains cursus intègrent d’ores et déjà le sujet (ENPC, Paris Tech, HEC, Paris Dauphine, Pôle Vinci, …).
Des instituts de recherche comme l’INRIA, Mines Telecom, le CEA, le CNRS, l’ILB, le TSE, et l’IRT System X ont engagé plusieurs programmes et forment une communauté d’experts de haut niveau.
Les premières propositions en matière de réglementation de la blockchain en France concernent le domaine financier, notamment par des mesures sur les minibons et dans le domaine du « post-marché » permettant la circulation des titres et leur enregistrement dans un registre Blockchain, suite à quoi la société LiquidShare a été créée en juillet 2017 par les grands acteurs de la place.
L’ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité laisse également entendre qu’un registre distribué de type blockchain peut être utilisé comme dispositif d’enregistrement notamment en ce qui concerne le comptage de l’électricité, pour permettre la réalisation dans des conditions transparentes et non discriminatoires des opérations d’autoconsommation.
Les actions en cours sur la mise en place d’un cadre favorable au développement des ICOs par l’AMF et Bercy, les missions parlementaires en cours, et la Mission Landau reflètent une action et une prise de conscience des pouvoirs publics français qui sont en avance par rapport au reste du monde.
Au niveau européen, ces actions pourraient se consolider au travers du lancement de l’Observatoire Européen de la Blockchain et d’autres projets portés par la Commission et le Parlement européens.
Si aujourd’hui nous avons des atouts, il faut compte-tenu de l’excellence de nos ressources scientifiques et du dynamisme de nos entreprises innovantes, se positionner de manière stratégique sur les nouvelles technologies de registres distribués.
Il ne faut pas rester passif face aux innovations menées outre atlantique et encourager l’émergence de socles techniques et de protocoles européens.
Pour rattraper le retard constaté, il faut développer des axes de coopération à vocation industrielle, des accélérateurs et des fonds dédiés à la Blockchain aux niveaux français et européen, en lien avec le monde de la recherche. A la Caisse des Dépôts, nous avançons dans ce sens depuis 2015 et travaillons avec l’IRT System X. Ce type de partenariats mériterait d’être généralisé si nous voulons changer d’échelle et devenir une Blockchain French Nation.
Directrice des Programmes Blockchain et Pilote du Consortium LaBChain chez Groupe Caisse des Dépôts, Nadia Filali est spécialiste des sujets en lien avec l’innovation dans la finance.