La 5G commencera à être lancée commercialement en France à partir de 2020. Elle apportera plus de débit et d’usages surtout dans le domaine des applications industrielles à travers l’internet des objets (IoT industriel). Mais avant, elle fera face à des enjeux réglementaires liés à l’allocation de nouvelles fréquences. On s’attend à ce qu’elle se diffuse à de nombreux secteurs verticaux de l’industrie avec 1 233 Mds de dollars US de revenus en 2026 pour les acteurs mondiaux du numérique. En 2035 et en France, 7 Mds de dollars d’investissements annuels et 400 000 emplois sont espérés de la 5G. Ces caractéristiques ainsi que les tendances à la softwarisation et à la virtualisation laissent la place pour de nouveaux acteurs d’émerger.
QUELS ENJEUX TECHNIQUES ?
La 5G, 5e génération des réseaux mobiles, est la nouvelle évolution que vont connaitre les réseaux mobiles. C’est un ensemble d’évolutions technologiques qui va « doper » les réseaux mobiles.
Attendus pour fin 2019 par les prévisions optimistes, les vrais réseaux commerciaux sont espérés pour 2020, voire 2021 pour les prévisions les plus prudentes.
Comme toutes les précédentes générations, la 5G apportera à l’utilisateur final plus de débit (100 Mbps en moyenne partout sur le réseau et des débits crêtes de 10 Gbps, soit 100 fois les standards actuels 4G) et une latence réduite (cible de 1 ms). En plus de cela, elle est annoncée comme devant permettre l’émergence de l’internet industriel (grâce à l’IoT massif avec une densité de 10 000 à 1 million d’objets connectés/km², soit de 10 à 100 fois celle de la 4G avec une meilleure durée de vie de ces objets) et apporter l’ultra-connectivité à différents secteurs verticaux : l’énergie, la santé, les médias, le transport, etc.
Pour adresser ces verticaux, on distingue généralement 3 grandes familles d’usage 5G :
- mMTC – Massive Machine Type Communications : communications entre une grande quantité d’objets avec des besoins de qualité de service variés ;
- eMBB – Enhanced Mobile Broadband : connexion en ultra haut débit en outdoor et en indoor avec uniformité de la qualité de service (browsing, messagerie, visionnage de vidéo haute définition, application de réalité virtuelle ou augmentée, etc) ;
- uRLLC – Ultra-reliable and Low Latency Communications : communications ultra-fiables pour les besoins critiques avec une très faible latence, pour une réactivité accrue (télémédecine, véhicule autonome, applications industrielles critiques, technologies haptiques, etc).
Ces différents usages seront pleinement disponibles au fil de l’eau en fonction de la maturité de l’écosystème ou des avancées de la normalisation de la 5G.
Les premiers standards 5G ont été définis en décembre 2017 par le 3GPP, instance de normalisation des réseaux mobiles. Ils avaient pour objectif de permettre les expérimentations en utilisant un cœur de réseau 4G. Mais depuis juin 2018, de nouveaux standards, dits standalone, plus complets ont été spécifiés. Ils permettront aux opérateurs de déployer à grande échelle de la 5G avec un cœur de réseau propre à elle dans l’objectif d’une commercialisation à l’horizon 2020-2021. De nouvelles versions des standards sont attendues pour 2020. Elles apporteront la prise en compte complète des communications ultra-fiables et à faible latence et les communications de véhicule à véhicule.
Parmi les innovations technologiques qui sont typiques à la 5G, on pourrait citer le beamforming, une technique antennaire qui consiste à améliorer l’efficacité spectrale en focalisant l’énergie vers le ou les terminaux en communication plutôt qu’indistinctement vers un secteur donné. Le beamforming permettra aux réseaux d’être plus efficients en concentrant leur énergie sur les utilisateurs actifs. Une des technologies de rupture de la nouvelle génération sera l’utilisation des bandes de fréquence millimétriques (au-delà de 6 GHz, selon la terminologie de l’ARCEP[1]). Ces bandes ont la particularité d’être larges, au-delà de 100 MHz, pour pouvoir répondre aux impératifs de montée en débit.
A côté des technologies qui sont intrinsèques à la 5G, certaines évolutions déjà présentes dans les architectures 4G vont s’accentuer avec la 5G pour permettre des usages qui ont parfois des exigences opposées. Parmi ces évolutions, on peut citer le network slicing qui consiste à partager virtuellement le réseau de l’opérateur en « tranches », chacune des tranches servant à satisfaire les besoins précis d’une famille d’usages. Le slicing permet de gérer de manière différenciée tous les types d’usage. On donne à chacun les ressources selon ses besoins.
D’autres concepts comme les SDN (Software Defined Networks) et NFV (Network Function Virtualization) sont souvent cités. Avec ces derniers, on assistera aussi à une softwarisation et à une virtualisation des fonctions réseau. Les fonctions matérielles et logicielles seront probablement séparées et les opérateurs auront recours à des équipements génériques pour opérer leurs réseaux. On pourrait assister à une redistribution des cartes avec l’émergence de nouveaux acteurs venant du monde IT au détriment des équipementiers télécoms traditionnels. Cela constituerait une opportunité pour des PME et startups de s’insérer dans la chaine de valeur de la 5G.
Dans le même ordre d’idées, on s’attend à un recours aux techniques de l’intelligence artificielle dans l’opération des réseaux 5G dans les 5 prochaines années. L’utilisation de l’IA servira à développer les Self-Organizing Networks qui sont des réseaux capables de s’autoconfigurer, au moins partiellement, en utilisant des techniques d’apprentissage.
On projette aussi, du fait des débits possibles avec la 5G, une accélération du recours à des couvertures « fixes » déjà offerte par la 4G-fixe. Ainsi, la 5G-fixe pourrait servir à apporter du très haut débit sur « le dernier kilomètre » dans les territoires ruraux difficiles d’accès et les zones urbaines pratiquement impossible ou trop chères à desservir en solution fixe classique.
Avec la 5G, les usages de SIM virtuelle (e-SIM) seront amenés à se développer. L’e-SIM fera émerger des opportunités et facilitera, entre autres, la connexion des véhicules aux réseaux cellulaires. En contrepartie, elle induira des risques de churn (attrition) plus élevés pour les opérateurs.
QUELS ENJEUX ECONOMIQUES ?
Une étude du GSMA[2] a montré que chaque fois que les usages data mobile ont doublé dans un pays, le PIB a augmenté de 0,5% et que la 3G a contribué à augmenter le PIB mondial de 1,5%.
On s’attend donc à de réels impacts économiques de la part de la 5G, du fait de la diffusion espérée de l’internet industriel à tous les secteurs. L’apport de la 5G à l’économie mondiale a été estimé à 12 300 Mds de dollars US à horizon 2035 dans une étude publiée par IHS Markit[3]. Selon cette étude, la chaine de valeur 5G investira 200 Mds de dollars US chaque année en Capex et en R&D dans les infrastructures pour réseau et applications business avec environ 3,5% de ces investissements attribués à la France.
On peut remarquer que l’étude attribue la plus grande contribution à l’industrie manufacturière, bien au-delà de celui de l’informatique et des télécoms. Cela conforte la thèse d’un développement de l’internet des objets et de l’internet industriel comme implications majeures de l’avènement de la 5G.
Selon IHS Markit, 22 millions de nouveaux emplois seraient créés dont 400 000 en France avec une génération de revenus de 85 Mds de dollars US sur le territoire français. Le premier pays, en termes de revenus générés, qui tirera profit de la technologie 5G serait la Chine à hauteur de 984 Mds de dollars US.
En Europe et selon une étude de la Commission européenne, la 5G va générer 113 milliards d’euros chaque année à partir de 2025 et créer 2,3 millions d’emplois dans les 28 pays membres de l’UE.
Une étude[4] d’Ericsson et du cabinet Arthur D. Little portant sur 10 secteurs de l’économie a estimé que la 5G générera 1 233 Mds de dollars US de revenus en 2026 pour les acteurs du numérique, avec des contributions d’environ 20% chacune provenant de l’énergie et la production. Ce chiffre exclut les « objets intelligents » comme les objets connectés, les voitures, etc.
L’ETAT DES EXPERIMENTATIONS ET DEPLOIEMENTS EN FRANCE ET DANS LE MONDE
Les acteurs vont dans le même sens que les différentes autorités publiques. Ils ont lancé différentes expérimentations sur la 5G un peu partout dans le monde, certaines sont toujours en cours.
En France et selon l’Arcep, à la mi-2018, 22 expérimentations ont déjà eu lieu parmi lesquelles 11 en Ile-de-France et 3 portant sur le véhicule.
De leurs côtés, les opérateurs multiplient les annonces. Après un pilote en conditions réelles dans la ville de Bordeaux en partenariat avec l’équipementier chinois Huawei au second semestre 2018, Bouygues Télécom a annoncé, en janvier 2019, un appel outdoor dans les rues de Lyon. Orange après des tests effectués sur Lille et Douai annonce, pour l’année 2019 et sur Marseille, le déploiement et des tests, en partenariat avec Nokia, d’un réseau de 80 antennes 5G.
Les initiatives se succèdent un peu partout en Europe.
En Royaume-Uni, les opérateurs EE et O2 annoncent des ouvertures commerciales pour 2019 et Vodafone qui a procédé à un appel holographique 5G en septembre 2018 et annonce 1000 sites 5G pour 2020. En Italie, des tests se déroulent dans 6 villes dont Rome.
On s’attend à ce que la grande majorité des villes hôtes (sur différents pays) de l’Euro 2020 de football soit des villes 5G.
VOUS SOUHAITEZ ENTRER EN CONTACT AVEC DES STARTUPS INNOVANTES ?
Aux USA, on note un réel engouement pour la 5G-fixe pour la fourniture de haut débit aux foyers et entreprises dans la bande millimétrique des 28 GHz. Ainsi AT&T et Verizon ont lancé ce service de haut débit résidentiel en 2018. Ils prévoient l’étendre en 2019. Verizon prévoit également une extension aux services mobiles en 2019.
Dans une enquête datée d’août 2018 conduite par IHS Markit auprès d’opérateurs du monde entier, il ressort que 12% des sondés, tous nordaméricains, prévoient de lancer un réseau 5G en 2018. 29% lanceront en 2019 (dont Corée et BT au Royaume Uni), suivi par 24% autres (dont Deutsche Telekom, Vodafone, Telefonica, Orange et Bouygues Telecom) en 2020.
QUELS ENJEUX INDUSTRIELS ?
De la même manière que la 3G a pu modifier le paysage du numérique (développement des smartphones, des applications mobiles), on peut s’attendre à ce que la 5G en fasse de même. L’opportunité de pouvoir écouler des trafics gourmands en bande passante avec une faible latence favorisera des secteurs du numérique comme le jeu en ligne, les réalités virtuelle et augmentée, le téléchargement de contenus multimédia. Mais c’est plus au niveau des industries verticales qu’on s’attend à voir les impacts les plus significatifs du déploiement des réseaux 5G. Les différents équipementiers s’accordent pour dire que tout ce qui pourra être connecté le sera. On s’attend donc à la diffusion de l’IoT à presque tous les secteurs industriels (mines, énergie, transport, santé, ville intelligente, etc).
Ce Massive IoT avec ses capteurs dotera les différentes industries verticales de moyen de mesure y compris dans des localisations difficiles d’accès ou dangereuses.
On peut aisément imaginer que leur combinaison avec les moyens offerts par le big data ou l’intelligence artificielle permettra d’anticiper certains évènements ou d’optimiser l’utilisation de certaines ressources.
Le Massive IoT existera en parallèle des technologies Sigfox et LoRa. Sur certains segments de marché, ils seront en concurrence. L’avantage des déploiements Sigfox ou LoRa est d’avoir des coûts d’accès bas, une consommation basse et d’avoir commencé plutôt avec le potentiel d’atteindre aussi plutôt une taille critique. De l’autre côté, l’avantage des déploiements LTE-M et NB-IoT[5] est d’être poussés par les grands acteurs bien établis du secteur des télécoms et d’avoir été retenus comme standards IoT pour la 5G. Mais il existe une complémentarité entre ces technologies. Certains opérateurs ont choisi de déployer aussi du LoRa (Orange et Bouygues Telecom) ou Sigfox (SFR).
L’usine du futur (industrie 4.0) sera un des verticaux que la 5G investira. Les ondes millimétriques offrent l’opportunité de développer des réseaux sans fil très haut débit au sein des usines. L’absence de câblage physique améliorera la flexibilité et les capacités de reconfiguration des lignes de production. On espère une économie d’Opex de l’ordre de 15 à 20% pour le secteur[6].
Une autre industrie verticale qui sera impactée par le 5G sera celle de l’automobile. La voiture connectée pourra utiliser les réseaux 5G pour des besoins de divertissement et le véhicule autonome aura manifestement besoin de connexion pour mettre à jour ses cartes, recevoir des informations de signalisation. Mais l’écosystème autour du véhicule n’est pas encore arrivé à maturité, il faudra résoudre les problématiques de responsabilité vis-à-vis des assurances, de roaming, de cohabitation des normes wifi (ITS G5) et celles provenant des standards télécom.
Le secteur de la santé, grâce aux communications ultra-fiables à faible latence, pourra développer des interventions assistées à distance, effectuer des consultations et des diagnostics distants. Il pourra également profiter de la densité en objets connectés, rendue possible par la 5G, pour développer le suivi à distance de certains patients et prévenir la survenance de certains accidents.
LA CHAINE DE VALEUR ET OPPORTUNITE POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES
On ne s’attend pas à ce que la 5G modifie de manière drastique la chaîne de valeur des télécoms. Elle sera toujours composée d’équipementiers et d’opérateurs de réseaux télécom, de fournisseurs de composants et de technologies clés auxquels viendront se rajouter les industries verticales.
Pour transporter les débits attendus de la 5G, il faut amener la fibre optique quasiment au pied des antennes. Il faut donc s’attendre à ce que les opérateurs déploient de la fibre pour des raisons opérationnelles. Cela représente une opportunité pour les entreprises françaises du secteur optique. Parmi ceux-ci certains ont été financés par BPI : Ekinops, Keopsys, Cailabs.
Sur le segment de la connectivité, les services différenciés qu’offrira la 5G grâce au « slicing » rend possible l’émergence de nouveaux acteurs, des intermédiaires, dans la chaîne de valeur. On peut citer des intermédiaires positionnés en aval des opérateurs pour agréger et repackager des offres de connectivité pour certaines industries (par exemple des offres de connectivité transnationale pour des véhicules). En amont, il existe des opportunités pour des acteurs indépendants d’acquérir des sites en zones urbaines très denses ou dans des espaces publics indoor pour proposer des services de connectivité de gros aux opérateurs télécom. Aussi, certains acteurs peuvent se positionner dans la fourniture de service de connectivité à l’industrie 4.0. Ces opportunités sont tributaires des politiques d’allocation de fréquences que les différents pays adopteront pour les fréquences millimétriques.
Au-delà du segment de la connectivité, d’autres opportunités existent. Ainsi, une étude Ericsson/ Arthur D. Little portant sur 8 industries verticales[7] présente la chaine de valeur d’un point de vue opérateur comme suit :
C’est logiquement dans la fourniture de service, le développement d’applications que les opérateurs captent en ratio le moins de valeur laissant des opportunités à d’autres acteurs.
Bien qu’on imagine une diffusion à quasiment tous les secteurs de l’économie, il n’émerge pas pour l’instant de « killer application ». La 5G aidera dans un premier temps des marchés basés sur des usages Enhanced Mobile Broadband nécessitant une faible latence à éclore. Les applications IoT industriel se feront dans un deuxième temps, plutôt à partir de 2021.
[1] ARCEP : Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes. Autorité chargée, entre autres, de l’attribution des fréquences aux opérateurs mobiles
[2] https://www.gsma.com/publicpolicy/wp-content/uploads/2012/11/gsma-deloitte-impact-mobile-telephony-economic-growth.pdf
[3] The 5G economy : how 5G technology will contribute to the global economy
[4] Ericsson and Arthur D. Little, The 5G Business Potential : Second Edition, October 2017
[5] Standards du 3GPP, instance de normalisation du monde des télécoms
[6] The 5G Business Potential, Ericsson
[7] Services financiers, automobile, transports publics, media, santé, énergie, industrie 4.0, sécurité publique
Responsable Sectoriel Numérique à la Direction de l’Innovation de Bpifrance, Serge Bodjrenou est en charge d’animer les actions d’innovation conduites sur les secteurs télécommunications, fintechs, blockchain, assurtechs, et civic techs. Il instruit les projets soumis aux différents guichets de Bpifrance et est responsable des relations avec l’écosystème de son secteur.
2 Responses
Merci pour cet excellent article.