Cible majeure des sujets environnementaux, le secteur de l’aéronautique doit se réinventer. Porté par cette conviction, Jean-Christophe Lambert a travaillé durant 10 ans chez Airbus sur des projets d’avion décarboné avant de lancer Ascendance Flight Technologies, dont l’avion bas carbone devrait voir le jour fin 2024. Avec son appareil permettant de transporter jusqu’à 5 personnes et capable de décoller et atterrir à la verticale, le CEO d’Ascendance, qui vient de lever 34 millions avec un mix d’equity et de subventions, compte bien s’installer durablement sur le marché. Décryptage en 5 questions avec le principal intéressé.
Bpifrance Le Hub : Où en est le secteur de l’aviation aujourd’hui et quels sont ses grands enjeux ?
Jean-Christophe Lambert, CEO d’Ascendance Technologies : « J’ai toujours eu la conviction, lorsque j’étais chez Airbus, que l’aéronautique devait amorcer au plus tôt sa décarbonation. C’était le sens de l’histoire, mais avec un besoin d’aller plus loin et plus fort sur des questions environnementales. Mais à cette époque dans le secteur, la question environnementale n’était pas en haut de la pile, contrairement à aujourd’hui.
Au Salon du Bourget cette année, le mot d’ordre était celui de la décarbonation. En 5 ans, entre la création d’Ascendance et aujourd’hui, un changement de focus s’est opéré dans l’aviation, ce qui est très positif ! Toutefois, nous sommes dans une industrie dite « longue » et qui dit industrie longue dit certification avec des hauts niveaux de sûreté. Il faut donc partir le plus tôt possible pour ne pas arriver trop tard.
Cette décarbonation constitue véritablement la 4e révolution de l’aviation, qui a toujours été rythmée par l’effort d’innovation et l’excellence technologique. Il y a plein de sujets autour de cette nouvelle rupture, comme les avions électriques, les avions hybrides et les sujets énergétiques qui en découlent comme l’hydrogène, le Sustainable Aviation Fuel, les optimisations aérodynamiques, etc. C’est une période fascinante parce qu‘elle laisse libre cours à beaucoup de changement dans le secteur et d’innovation, conséquence aussi de ce grand défi. »
Comment ce contexte et ton parcours t’ont-ils amené à créer Ascendance Flight Technologies ?
« Je suis, de formation, ingénieur informatique spécialisé dans l’intelligence artificielle puis j’ai effectué un master en business à HEC. Je souhaitais trouver la parfaite cohérence entre mon profil et mon intérêt pour les nouvelles technologies avec des applications concrètes et physiques.
Le secteur de l’aérospatial m’a attiré et je suis rentré chez Airbus pour concilier ces deux aspects. Je suis arrivé à l’aviation durable en 2014 et ai pris la direction d’un projet d’avion 100% électrique développé pour être le premier avion électrique à traverser la Manche, ce que l’on a accompli le 10 juillet 2015. Après cette traversée historique, nous avions comme objectif de certifier le premier avion électrique au monde mais le projet a été arrêté en 2017.
La création d’Ascendance Flight Technologie a donc été le fruit de la rencontre entre deux facteurs : d’abord l’arrêt de ce projet sur lequel je travaillais chez Airbus et mon envie profonde d’entreprendre. Après 10 ans dans un grand Groupe comme celui-ci, toute l’expérience engrangée m’a permis d’acquérir une grande expertise et un savoir-faire solide que j’ai eu envie de mettre à profit. C’était le bon moment et l’opportunité parfaite pour moi, qui avais la volonté de mettre le sujet décarbonation sur lequel je travaillais au cœur de l’industrie dans laquelle j’évoluais. »
« La décarbonation, la 4e révolution de l’aviation »
Où le projet en est-il aujourd’hui ? Pourquoi avoir choisi Bpifrance pour cette levée de fonds ?
« Ascendance est née à Paris en 2018 et il nous a fallu apprendre le métier d’entrepreneur tout en faisant voler notre premier prototype, à taille réduite – d’environ 2,5m d’envergure. En 2020, nous avons levé à peu près 2M€ et nous avons décidé de nous installer à Toulouse pour recruter et avoir des infrastructures aéronautiques plus importantes.
Nous avons structuré l’entreprise et constitué un « Advisory Board » parce que j’avais besoin d’un organe structurant qui m’accompagne dans la stratégie de l’entreprise. Il est constitué, notamment, d’Agnès Plagneux-Bertrand, mon ancienne cheffe chez Airbus (aussi Vice-Présidente de Toulouse Métropole, entre autres), Jean-Christophe Kugler (ancien membre du Comex de Renault), dont l’historique dans l’électrique pour le secteur automobile constitue une aide précieuse. Nous pouvons également compter sur Jean-Paul Herteman (ancien CEO de Safran Group) qui a une connaissance très fine de l’industrie et de ses enjeux. Tous nous apportent leur expertise du secteur ainsi que leur important réseau.
En juillet 2021, nous avons à nouveau levé des fonds, 10M€, avec lesquels nous avons :
- construit un second prototype d’avion à échelle réduite de 4 mètres d’envergure
- développé un banc de propulsion à l’échelle de toute notre technologie hybride
- mené 2 campagnes en soufflerie pour vérifier l’aérodynamique de l’appareil et
- développé une aile à l’échelle car l’une de nos grosses innovations est d’intégrer des rotors dans les ailes pour décoller verticalement.
Pour ce faire, nous avons déposé 10 brevets donc nous nous sommes renforcés sur l’aspect propriété intellectuelle.
Nous sommes aussi passés de 20 à 50 personnes et j’ai formé une équipe de management autour des 4 fondateurs en y apportant des personnes de grande expérience et reconnus de l’industrie. Tous ont une connaissance aiguisée du secteur et une grande envie de mener à bien le projet.
Nous venons, à nouveau, de lever 21M€ (34M€ en tout avec un mix d’equity et de subventions) et nous faisons partie du plan France 2030 ce qui positionne la décarbonation de l’aviation comme un des piliers de la stratégie de développement à l’horizon 2030 pour la France. Cela nous permet de recruter 50 personnes et d’aller vers notre premier vol à l’échelle l’année prochaine. »
Le projet semble ultra futuriste mais déjà proche d’être réalisé : à quel horizon sa première mise en place opérationnelle est-elle prévue ? Et à grande échelle ?
« La date prévisionnelle pour ce premier vol est à fin 2024 pour une mise en service en 2027. Les premières étapes que nous avons franchies ainsi que le premier vol prévu l’année prochaine et le salon du Bourget nous ont permis de signer 555 lettres d’intentions d’achat, et ce premier test devrait pouvoir nous permettre d’en transformer une partie. Ces commandes proviennent d’Asie, d’Europe et des États-Unis.
Nous avons également annoncé de nouveaux partenariats avec notamment un accord avec Solvay, qui fournit du matériau composite pour l’aviation, et Airborne qui intègre ces solutions composites pour en faire des aérostructures. Nous avons également annoncé un partenariat sur notre technologie et expertise hybride avec Daher.
Nous sommes focalisés sur le marché de l’aviation durable avec nos deux premiers produits, notre avion ATEA et notre technologie hybride STERNA, mais cela ne nous empêche pas de regarder d’autres technologies et de nouer d’autres partenariats pour avancer sur d’autres enjeux de fond, que l’on espère faire émerger dans 3 ou 4 ans pour créer une 2nde génération de produits d’ici 2030. »
Ascendance Flight Technologies : un premier vol prévu fin 2024 pour une mise en service en 2027
Est-ce que tu peux nous récapituler en quelques mots toutes ses caractéristiques techniques qui en font un « avion du futur » ?
« Selon moi, pour rendre l’avion plus durable, il faut jouer sur 2 aspects :
1/ réduire le besoin énergétique de l’avion, c’est-à-dire le faire consommer moins d’énergie en optimisant les systèmes et en améliorant l’aérodynamique,
2/ intégrer dans cet avion des énergies qui sont moins polluantes, comme des batteries, de l’électrique, de l’hydrogène, et ce que l’on appelle des Sustainable Aviation Fuel.
Notre avion réuni les 2 points. Il est 4 fois plus efficient en croisière qu’un hélicoptère et il fonctionne sur une source d’énergie hybride électrique – une batterie sur la phase de décollage et des Sustainable Aviation Fuel sur la phase de croisière. Cela nous permet de réduire jusqu’à 80% les émissions carbone par rapport à un hélicoptère traditionnel et de diviser le bruit par 4.
Il peut être utilisé sur du transport de personnes, jusqu’à 5 personnes (un pilote et 4 passagers sur 400KM à au moins 200 KM/heure), pour dépasser des barrières naturelles ou faire des trajets entre localisations mal connectées. Par exemple, un Toulouse – Clermont-Ferrand se fait aujourd’hui en 9 heures de train, et notre avion pourra le faire en 1h30 en émettant très peu de CO2.
Mais il peut aussi remplir des missions de service public très importantes comme le service médical, le transport d’organes, le transport de blessés, l’acheminement de médecins ou alors le transport de marchandises, par exemple des convois humanitaires ou de la surveillance sur des thématiques de surveillance. »